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Le chant amazigh … la lutte contre l’oubli

Houda Belabd, Lundi, 13 janvier 2014

Plus qu’un style musical, le chant amazigh est une institution. Un patrimoine voué à l’immortalisation. Au Maroc, après plusieurs siècles d’arabisation, la chanson amazighe semble renaître de ses cendres, au grand bonheur de ses fervents amoureux.

Fatima Tabaamrant
Fatima Tabaamrant.

« L’amazighophilie ». Ce néo­logisme vous interpelle-t-il ? Il s’agit d’un courant sociocultu­rel maghrébin né de la volonté de plusieurs artistes et intellectuels de faire connaître, au-delà des frontières, leur culture et leur identité amazighes, datant de plusieurs milliers d’années.

Au Maroc, ce courant s’est égale­ment emparé de la musique, cet éten­dard emblématique de toute civilisa­tion qui se respecte. D’ailleurs, ces dernières années, de plus en plus de festivals s’intéressent à la chanson amazighe. Parmi eux, nommons le festival Timitar (symboles en ama­zigh) de la ville d’Agadir.

« La langue amazighe est une partie indissociable de l’histoire marocaine, qu’elle soit ancestrale ou contempo­raine. Il s’agit de la première langue parlée par la population de ce pays. Si le festival Timitar est né, c’est bien pour répondre à un grand besoin réclamé par les artistes et les citoyens marocains d’origine amazighe. Lancé il y a à peine une décennie, ce festival rend un vibrant hommage à la chan­son amazighe, qu’elle soit sentimen­tale, patriotique, révolutionnaire ou autre. Cette année encore, et plus exactement en juin dernier, les ténors maghrébins de ce répertoire musical se sont donné un rendez-vous inou­bliable avec la chanson amazigho­phone, au grand bonheur des amou­reux de cette dernière », affirme Brahim El-Mazned, directeur artis­tique de Timitar. Et d’ajouter que ce festival a une bien forte identité puisqu’il part d’une dimension régio­nale, d’une appartenance culturelle qui côtoie les autres identités musi­cales du monde.

Mais avant d’arriver à ce stade, le manque de reconnaissance vis-à-vis de ce répertoire musical s’est longue­ment fait sentir à l’échelle locale. C’est du moins ce que confirment un grand nombre d’artistes et d’intellec­tuels amazighs. Car contrairement à l’Algérie voisine, le chant amazigho­phone du Maroc venait en deuxième, voire en troisième position, et ce, après la langue arabe (le dialecte marocain) et la langue de Molière (représentée par les variétés fran­çaises).

Mais depuis que le nouveau gouver­nement tient les rênes du pays, soit depuis 2011, la langue amazighe a littéralement envahi les stations de radio et chaînes de télévision. De plus, la nouvelle Constitution, validée par l’actuel premier ministre, Abdelilah Benkirane, a concilié le Maroc avec son « amazighité ». Ce qui fait que cette langue marocaine a enfin pu occuper tous les champs de la vie socioculturelle. La musique n’en fait pas exception.

« Même si dorénavant, les médias marocains accordent un peu plus d’importance à la chanson d’ama­zigh, il est malheureux de constater que les maisons de production peinent à suivre cette lancée. Force est de constater que la chanson arabophone, voire francophone, supplante celle amazighe au niveau de l’industrie des disques », indique le chanteur compo­siteur amazigh Ahmed Soultan.

Mais quoi qu’il en soit, ces chan­teurs hors du commun continuent de sillonner le bassin euro-méditerra­néen — lors des festivals internatio­naux de la région — et ce, dans l’unique optique de faire connaître leur identité et leurs arts ancestraux. D’ailleurs, leurs chansons sont riches en leçons et en valeurs humaines.

Un chant, des valeurs …

« Chanter en amazigh, c’est d’abord rendre un hommage sans précédent à la maternité et au fémi­nisme. En effet, les chansons ama­zighes respectent majestueusement la femme, qu’elle soit épouse, mère, fille ou bien-aimée. Elle fait d’elle sa muse, son thème principal et sa quête initiale. La grâce de la femme ama­zighe vaut des milliers de louanges de ces chanteurs à part entière. Les chanteuses amazighes, elles, vouent un amour sans pareil au passé glo­rieux du Maroc de leur aïeul Tarik Ibnou Ziad et de leur patriarche Mazigh. De même, dans ces chan­sons, la mère patrie est, plus que toute autre chose, vénérée », témoigne l’ethnomusicologue maro­cain et critique d’art Ahmed Aydoune.

Parmi les figures emblématiques du chant amazigh il y a lieu de mention­ner le groupe Oudaden, ou le plus grand groupe amazigh du monde entier, comme il est nommé à l’unani­mité. Ces férus du tam-tam, du banjo et de la guitare électrique ont hissé très haut l’étendard de l’amazighité, et ce, à l’échelle universelle. Où qu’ils se produisent, ils donnent per­pétuellement naissance à des publics enchantés. Toutefois, l’artiste Tabaamrant est à deux doigts de les supplanter. En effet, cette chanteuse et militante de la cause amazighe s’est même présentée aux dernières élections législatives et a décroché, haut la main, un siège au sein de l’hé­micycle marocain en tant qu’élue parlementaire.

Tout cela pour dire que cette partie intègre du patrimoine musical maro­cain revêt une histoire pétrie de mili­tantisme, de leçons humaines et de lutte acharnée contre l’abandon et l’oubli. Un patrimoine condamné à être perpétué.

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