Au Musée égyptien de la civilisation, Mayssâa Al-Bardawil, Rihaf Al-Batniji, Amira Mannah, Dina Mattar, Rana Al-Batrawi et Rime El-Mezayen ont exposé leurs oeuvres parmi 144 plasticiennes de 40 pays, du 18 au 22 mai. Et ce, à un moment fatidique de l’histoire de leur pays, la Palestine.
Mayssâa Al-Bardawil, formée aux beaux-arts à l’Université d’Al-Aqsa, a incarné les violences perpétrées par les soldats israéliens contre son peuple. Agée de 38 ans, elle était présente avec six tableaux dessinés au crayon noir, qu’elle a intitulés Journées en suspension, faisant part de son désarroi face à un pays qui se vide, au su et au vu de tous, plongé dans la misère. Comme des centaines de milliers de Palestiniens, elle a été contrainte de quitter sa maison avec son époux et ses quatre enfants, en octobre 2023, et de s’installer au camp de réfugiés de Deir Al-Balah, au nord-ouest de la bande de Gaza. Ses toiles décrivent le quotidien des déplacés, qui ont suivi comme elle les ordres d’expulsion de l’armée israélienne.
Les plasticiennes présentes à ce forum d’art parlaient souvent d’une deuxième Nakba, à l’instar de l’exode forcé qu’ont subi les Palestiniens en 1948, lorsque 800 000 personnes ont été chassées de leurs terres. Leur production artistique ne diffère pas trop de celle des hommes, car ils souffrent tous des mêmes conditions catastrophiques. Ils connaissent les vagues d’arrestation, la prison, l’oppression, la nostalgie, le déplacement ... et donc, leurs tableaux expriment les mêmes sentiments, avec quelques nuances.
Amira Mannah et sa famille ont atterri en Egypte. « Nous étions dans un exil forcé et chronique, étant constamment traités comme des étrangers ou des citoyens de seconde zone », avoue l’artiste, originaire du village de Migdal, situé à 18,5 km au nord-est de Ramla et à 4 km à l’est de Jaffa. Et d’ajouter : « Dans ces conditions, l’art est un acte de résistance. Pour lutter contre l’occupation, il faut oeuvrer à préserver notre mémoire et à effacer les effets délétères de l’exil et du déracinement ».
Dès l’âge tendre, chaque artiste en herbe apprend à peindre les symboles de la Palestine, à représenter ses contours géographiques, à utiliser les couleurs propres au pays. « A l’école, on nous montrait quel pinceau utiliser pour tel ou tel tableau, et les couleurs du drapeau palestinien étaient souvent d’usage », se souvient Mayssâa Al-Bardawil, fille d’un professeur d’art. A 5 ans, elle avait l’habitude de s’asseoir auprès de lui, en essayant de l’imiter. Aujourd’hui, elle fait de même avec son fils de 12 ans, lui aussi très doué.
A Gaza, devant leur tente de réfugiés, elle faisait avec son enfant des dessins en lien avec leur quotidien, alors que les bombes retentissaient de partout. « Tout autour, il n’y avait que sang et cris. Je continuais alors à pratiquer ce que j’ai toujours eu l’habitude de faire : raconter ce que je vis par l’art », confie Mayssâa.
Résister en créant
En 1948-1949, l’Etat hébreu a mené une guerre contre l’art. Il adoptait une stratégie visant à anéantir la mémoire collective du peuple palestinien. C’est la raison pour laquelle il a ravagé tous les centres culturels, détruit les salons d’artisanat, etc. Mais les Palestiniens ont continué à créer contre vents et marées. Ils ont tenu à perpétuer la tradition, en reprenant des motifs classiques, hérités de père en fils, mais aussi allant de pair avec les sujets fréquents dans leurs oeuvres. Leur palette est souvent dominée par certaines couleurs : le rouge, symbole de la lutte et de l’Intifada ; le noir, signe du deuil et des massacres ; le vert, emblème de l’islam et de la mosquée d’Al-Aqsa, etc.
Ces traits sont présents dans les tableaux qui ont été exposés au Musée égyptien de la civilisation. Mayssâa, à titre d’exemple, a participé avec une toile divisée en deux : la première partie montre un demi-visage triste, celui d’une femme aux cheveux longs, tandis que la deuxième montre une tranche de pastèque, désormais symbole de la cause palestinienne, puisqu’elle arbore les mêmes couleurs que le drapeau palestinien : vert, rouge et noir. Ce fruit coloré a été adopté pour la première fois par les Palestiniens en tant que signe de protestation, vers 1967, pendant la guerre des Six Jours. Il a été ensuite popularisé, lors de la première Intifada, entre 1987 et 1993. Puis, il a ressurgi de nouveau, avec la signature des accords d’Oslo.
Paysage d’Amira Mannah.
Le noir et blanc du keffieh
L’un des motifs récurrents aussi dans les oeuvres de ces artistes palestiniennes est le fameux keffieh, cette coiffe bédouine rendue populaire par l’ancien leader palestinien Yasser Arafat. Le morceau de tissu blanc et noir est devenu un emblème à partir des années 1930, lors du combat des nationalistes palestiniens contre les Britanniques.
« Nous gardons tous en mémoire l’image de Jérusalem et ses maisonnettes labyrinthiques, dormant dans une sérénité immaculée. C’est une image d’avant-1948 ; l’occupation n’avait pas encore tout ravagé », confie Amira Mannah, 56 ans, qui a été obligée de quitter la Palestine à l’âge de 9 ans.
Diplômée de la faculté des beaux-arts de Hélouan, en Egypte, elle nous propose de partager son univers enfantin, composé de paysages et de maisons, peints dans un style naïf, tout en étant consciente que le retour vers ces lieux est quasiment impossible. Et ce, non seulement pour des raisons politiques, mais aussi parce que simplement ces endroits n’existent plus, ils ont été rayés de la carte.
Ma vie là-bas !
« Ceci dit, il ne nous reste que le souvenir et la peinture », commente Rana Al-Batrawi, 41 ans, une autre artiste qui vit actuellement en Egypte. Dans ses toiles, elle nous laisse voir la Palestine telle qu’on ne la verra plus. Elle se souvient parfaitement des lieux de son enfance. A l’aide de fils électriques, passerelles, escaliers, elle dépeint les rapports étroits entre les voisins et sa vie là-bas.
« Malgré tout, on n’est jamais découragé. Les défis nous obligent en tant qu’artistes de retrouver de nouvelles voies. Nous renforçons notre immunité en dessinant, en créant des projets, en brisant la barrière de la peur. A travers l’art, on réussit à reconstruire ce qui a été détruit par l’occupation », conclut-elle.
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