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Entre souffle de vie et cri à la mort

Yasser Moheb, Mardi, 31 décembre 2013

Avec Villa 69, la jeune réalisatrice Ayten Amin signe un premier long métrage commercial, au goût et au style indépendants, brossant le crépuscule d’un homme âgé face à la maladie et l’approche de la mort.

Villa 69
Lebleba, et une prestation en tout point saisissante

Nous sommes tous pri­sonniers de notre espace, il nous domine et nous y appartenons. Telle est la philosophie de Villa 69, premier long métrage de la jeune réalisatrice Ayten Amin.

Solitude, fraternité, amitié, amour et dialogues de cultures et de généra­tions … La jeune cinéaste brasse tous ces thèmes de bienveillance et réaffirme l’aplomb de son talent, quitte à s’aliéner une fois de plus son ancien public.

Hussein est un homme âgé, seul dans sa villa de famille, où il mène avec bonheur une vie solitaire, mal­gré sa maladie. Toutefois, il ne se rend pas compte que son passé refait surface, lorsque sa soeur et le petit-fils de cette dernière arrivent pour vivre chez lui. C’est là seulement qu’il commence à vivre une série de souvenirs et de surprises, en atten­dant la fin de ses jours.

Les deux points essentiels de ce film sont une histoire sombre et un réalisme, parfois même excessif. On peut ne pas aimer Villa 69, en effet, son cinéma peut confondre, étant donné qu’il l’épure de tout artifice, afin d’en faire une oeuvre la plus réaliste possible, en revanche, dire que son cinéma est « fade » n’est pas tout à fait juste. Ayten Amin aime mettre en avant le lignage de notre quotidien, et le fait sans grands arti­fices.

Ce film glacé, construit avec une précision de ciseleur, surveille la brutalité au coeur du quotidien et de l’intimité. Il explore avec génie les nombreuses facettes de l’âme humaine, dans toute sa splendeur et dans toute son atrocité.

La distance, d’ailleurs, est fonda­mentale dans le film. C’est la géo­graphie de la villa dont on ne sortira plus, passée cette introduction, une villa qui est d’abord un labyrinthe classique, sombre et sinistre, mais qui va devenir, au fil du drame raconté, chaleureux et spacieux, quoique nostalgique. C’est là que l’on doit sans cesse traverser des meubles plongés dans les souvenirs, pour se rendre d’une chambre à une autre, ou de la salle à manger à la cuisine. Ici, la réalisatrice maîtrise l’espace de la villa avec un talent et une élégance certaine. On ne sort que rarement des murs de ce cercueil à pièces.

Dans sa mise en scène, elle a tou­jours privilégié l’épure, une grande tempérance et une certaine fermeté. Sa grammaire cinématographique se compose très souvent de plans fixes aux cadres parfaitement soignés avec une grande profondeur de champ. Son montage est lent, son ambiance est froide. Pas de musique à outrance pour souligner telle ou telle émotion, sauf si celle-ci est super-nécessaire. Chez ce genre de cinéaste, les multiples effets visuels, les images épileptiques et autres mouvements de caméra rudes n’ont pas la mainmise. Aucun artifice ne semble être toléré dans les partitions de la jeune cinéaste.

Dure réalité

Sous sa baguette, on est très heu­reux de retrouver un excellent Khaled Aboul-Naga qui joue là, sans fausse note, un homme âgé, abattu par la maladie, un être au caractère bien imprégné à la limite de l’audace, mais si fragile et décon­certé face à la dure réalité d’une vie menacée par la mort recroquevillée dans l’ombre. Il est prisonnier de son espace, comme de son propre corps et de son propre affaiblisse­ment. Et surtout, comment ne pas être subjugué par la performance de Lebleba ? Elle livre une prestation en tout point saisissante, d’une soeur qui voit son frère cadet dépérir sous ses yeux, mais qui refuse de le quit­ter agoniser seul, tout en lui offrant une certaine chaleur familiale qu’il refuse pourtant. Quant à Arwa Gouda, elle a réussi à briller à tra­vers un rôle super-cliché, mais dans lequel elle a déployé un grand effort, afin d’exprimer plusieurs sentiments condensés. Un grand bravo égale­ment à tous les jeunes comédiens participants, dont plusieurs sont des invités d’honneur ou de nouveaux venus, même si un ou deux parais­sent parfois hors de mode, ou qui ne sont pas mis sur le même diapason.

D’évidence, le tandem Ayten Amin et Mohamad Al-Hag a construit ses personnages avec ce passé, mais aussi avec le présent. Des visages témoins d’un temps agencé, d’une mort qui approche et de la maladie qui erre. Des person­nages qui incarnent, chacun à sa manière, la souffrance et le rapport à la mort. Une note spéciale doit être d’ailleurs adressée au maquillage, grâce auquel on peut voir la mort qui se dessine petit à petit sur le visage du protagoniste agonisant.

Villa 69 n’est pas forcément un film grand public malgré son sujet universel, car il ne cesse de créer volontairement une distanciation, refuse la directe lisibilité. Il affiche clairement un minimalisme appuyé tout comme une grande brutalité pouvant conduire à un certain manque d’émoi, ainsi qu’un rythme assez lent, cause de certaines lon­gueurs, dont le film souffre vers la fin.

Toutefois, malgré les nombreux détails dont le film est gorgé, les idées abordées manquent de pro­fondeur, comme si l’on témoignait de plusieurs idées profondes, mais d’un traitement qui plane au-dessus sans y plonger avec la même pro­fondeur. Ce qui laisse le public finalement sur sa faim.

S’il ne s’agit pas là du meilleur film sur ce thème, on ne peut s’em­pêcher d’être malgré tout marqué par ce quasi-huis clos très intimiste qui, avec ses défauts, reste fort et renferme un goût spécial. Même si le film manque un peu de rythme par moment, on suit avec attention un morceau de la vie de cet être humain qui avance involontaire­ment vers sa fin.

C’est lent, bien sûr, pas très joyeux et un peu long, mais il n’est rien du film larmoyant et voyeu­riste que l’on pouvait craindre.

Bref, cela commence par un cri à la mort et finit par un souffle de vie. Cette Villa 69 est un pur désir de vie.

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