Chacun dévoile sa vraie nature par le choix de son masque.
L'exposition Magra al-oyoune (littéralement, le canal des yeux) ne montre que des visages. Des visages familiers, d’hommes et de femmes, issus de cultures et de nationalités différentes. Ces visages aux regards très expressifs se dotent d’une empreinte soudanaise, sans doute celle du peintre et illustrateur Salah El-Mur, né à Khartoum en 1961.
L’artiste favorise souvent l’esprit du « carnaval » et s’intéresse abondamment à nouer un rapport étroit entre la nature physique des êtres humains et leurs états psychologiques.
Très influencé par les contes populaires et la mythologie, chaque visage taillé par El-Mur s’inspire de l’imaginaire des populations locales. « Pour moi, la métaphysique a pour objet la connaissance de l’être absolu, dans son rapport avec le cosmos et la nature », déclare El-Mur, lequel dote ses figures d’une ornementation empruntée aux animaux (plumes, dents, cornes de buffle, tête d’un chien, d’un éléphant ou d’un lion …) et aux végétaux (fruits et légumes). L’ensemble vise à atteindre une expression symbolique sans précédent. Spontanéité des couleurs, naïveté des formes et fraîcheur enfantine rendent l’oeuvre d’El-Mur assez palpante. Il n’est donc pas question qu’El-Mur soit influencé par l’art de Paul Klee, l’artiste de « l’énigmatique ». « Chez Klee, le tableau est une chose organique, comme les plantes et les animaux. Bref, comme tout ce qui vit dans le monde », estime El-Mur.
Pour partager sa vision du monde, l’artiste a recours à l’acrylique jaune pour peindre un visage tout blanc. Et la peau mate ? Celle-ci est peinte en vert. « Le Soudan est un pays multiculturel, avec des sectes et tribus multiples. Mes couleurs puisent dans la mémoire visuelle de mon environnement soudanais, et mon riche héritage arabo-africain. De même, je m’inspire du patrimoine culturel de l’humanité », indique El-Mur. Ses visages donnent l’impression d’être des masques ensorcelants : un soldat égyptien, un paysan, un Soudanais, un Chinois, un cow-boy, un bugaku japonais, l’homme porc, le clown, l’homme carotte, la femme grenade, l’amant, le garçon de goyave, l’ogresse, un barong (créature mythologique balinaise ressemblant au lion). « La réalité est un bal masqué où chacun cache sa vraie nature et la dévoile par le choix de son masque », déclare El-Mur. Et d’ajouter : « Aucune société humaine n’a ignoré le masque. De la Grèce antique à l’Amérique ancienne, en passant par l’Asie, l’Océanie, l’Afrique du Nord, les masques ont symbolisé les dieux, incarné la beauté et l’effroi, exprimé l’immanence et l’illusion. C’est par le masque que nous pouvons acquérir la vision la plus pénétrante de la culture d’un peuple », déclare El-Mur, lequel conçoit les masques comme de véritables oeuvres d’art, et non pas comme de simples objets utilisés dans les cérémonies rituelles ou religieuses.
En matière d’art africain, la question-clé est toujours la question des fonctions. A travers les styles et formes qu’El-Mur donne à la matière, ses oeuvres s’efforcent de rendre visible l’invisible et d’exprimer des idées qui lui sont propres. L’union des éléments naturels et abstraits, des éléments expressionnistes et d’autres surréalistes donne corps à une entité tout à fait nouvelle.
Jusqu’au 15 janvier, de 10h à 21h (sauf le vendredi). 8, rue Champollion, centre-ville. Tél. :2578 4494
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