Al-Madfaageyya et Salma Abou-Deif dans la série Aala Nesbat Mochahada (un grand taux de vues).
Il n’y a pas que les musiques originales de séries qui sont marquantes. Cette saison de Ramadan, des chansons font aussi leurs effets : pas mal de génériques rythmés de chansons ou des chansons insérées dans le déroulement de la trame des séries sont interprétées, notamment par des chanteurs populaires d’électro-chaabi (Mahraganat).
Au même titre d’un casting réussi, l’utilisation des chansons ne doit pas se faire à la légère, puisqu’elle résume les incidents ou participe clairement au récit. Pertinentes, elles propulsent la fiction vers quelque chose de qualitatif qui embarque le téléspectateur. C’est le cas avec la série Aala Nesbat Mochahada (un grand taux de vues) de Yasmine Ahmad Kamel.
Le générique interprété par la chanteuse populaire Poussy résume l’histoire fondée sur le rapport des classes les plus dénuées aux réseaux sociaux. Il agit comme une boussole d’orientation dans la narration, puisqu’il fait le lien dès le départ entre misère, besoin et nombre de vues sur TikTok. En outre, le genre électro-chaabi est présent au sein de la série avec la chanson Aala Marqa (haut de gamme) interprétée par le groupe Al-Madfaageyya, accompagnée de la comédienne Salma Abou-Deif. La chanson colle parfaitement au personnage de Chaïma, joué par Salma Abou-Deif. Cette dernière est une jeune fille issue d’un milieu modeste qui trouve dans les réseaux sociaux un moyen pour améliorer son niveau financier. Vivant entièrement dans le besoin, elle se lance avec un groupe de Mahraganat (musiques et chansons électro-populaires, avec des paroles parfois vulgaires, reflétant souvent les bas-fonds de la société), pour filmer un vidéo-clip et faire des vues sur TikTok.
Le choix du groupe Al-Madfaageyya vient sublimer la scène, puisqu’il ajoute une couleur et un fond à la trame et au personnage même. Composé de 4 membres portant chacun un surnom : Diesel est arrangeur, Kanaka et Chindy paroliers et interprètes avec Dolsika, le groupe est originaire de la banlieue cairote de Madinet Al-Salam. Il s’inscrit dans la lignée de la tendance électro-chaabi qui s’est développée dès la fin des années 2000, notamment dans les quartiers informels du Grand Caire. Utilisant des logiciels gratuits ou bon marché, ces jeunes musiciens ont débuté en remixant de la musique égyptienne traditionnelle avec des sons électroniques tout en s’inspirant des rythmes de rappeurs. Ayant un succès fou, ils ont commencé à avoir leurs propres paroliers.
Nom étrange pour un groupe musical, Al-Madfaageyya (les mitrailleurs) a été choisi pour dire que les paroles du groupe et ses musiques sont comme des mitraillettes. Ayant déjà participé à plusieurs séries à succès telles Kalabch (menottes) de Peter Mimi, Khalsana bi Chiaka (ça s’est terminé élégamment) de Hicham Fathi, leur succès ne cesse d’être investi dans des oeuvres télévisées. « Plein de chanteurs populaires ont connu un grand succès durant le dernier Ramadan, ce qui a poussé les boîtes de production à recourir à eux cette année », a noté dans la presse le parolier Salah Ateyya.
Essam Sassa et Ahmad Moza dans Al-Atawla (les malfaiteurs).
Vox populi
Massar Igbari (voie obligatoire) de Nadine Khan a emprunté le nom d’un groupe plutôt rock. Celui-ci commente les incidents dramatiques musicalement, et une chanson interprétée par Essam Sassa a brillamment marqué le 13e épisode. D’ailleurs, la chanson constitue aussi le générique de la fin. S’articulant autour de deux jeunes hommes d’âges proches qui font face à différents défis et qui viennent de découvrir qu’ils sont des demi-frères, la série a bénéficié de deux génériques différents. Le téléspectateur passe d’abord par le générique d’ouverture ayant le rôle classique de le préparer à trouver le bon mode de réception, d’aiguiser sa curiosité, de stimuler ses sens et son imaginaire face à l’atrocité de la vie. Ensuite, le générique de la fin met de l’ambiance, se focalisant sur le thème de la découverte.
Essam Sassa chante aussi en duo avec Ahmad Moza dans la série Al-Atawla (les malfaiteurs) d’Ahmad Khaled Moussa. Dans un cadre de suspens, les incidents de cette série tournent autour de deux frères malfaiteurs dont les parcours impliquent constamment des risques. Dans l’épisode numéro 12, la chanson vient accompagner une cérémonie de mariage populaire. Celle-ci ne fait que donner de la couleur locale à la scène. Mais elle n’ajoute rien sur le fond, puisqu’elle aborde les caractères de ce groupe de malfaiteurs, déjà soulignés dès le générique d’ouverture.
Ces trois exemples suffisent à prouver que certaines chansons populaires ont été utilisées à bon escient au sein des épisodes. Ces chansons ont dépassé les millions de vues sur les réseaux sociaux et ont connu un succès inattendu, dépassant même celui des génériques des séries.
« Il faut distinguer deux types de génériques : d’une part, les génériques faits de chansons populaires qui traduisent les idées de personnages issus de milieux modestes, et du coup elles sont au centre des événements. D’autre part, les génériques employés pour mieux commercialiser les séries. Donc la qualité des chansons n’est pas un critère de choix, ce qui compte plutôt c’est la présence du chanteur ou du groupe de Mahraganat, qui attire tant de fans », souligne Yasmin Farrag, professeur de critique musicale à l’Académie des arts, qui a consacré un livre en deux tomes aux génériques des séries TV.
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