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Marie Karall : Je suis tout à fait différente de la Carmen que j’incarne sur scène

Névine Lameï , Mercredi, 13 mars 2024

Dans le cadre du programme organisé par l’Institut français d’Egypte pour célébrer le mois de la Francophonie, la mezzo-soprano française Marie Karall vient d’interpréter le rôle de Carmen de Bizet à l’Opéra du Caire. Entretien.

Marie Karall

Al-Ahram Hebdo : Avec la couleur de votre timbre hautement dramatique, charnu, velouté, savoureux et plein d’émotionnel, il semble que Carmen de Georges Bizet soit votre grand rôle, celui que vous chantez le plus dans les prestigieux Opéras du monde. Qu’en pensez-vous ?

Marie Karall : C’est vrai, Carmen c’est l’opéra auquel je consacre le plus de temps. C’est l’opéra de la liberté et de l’amour par excellence. C’est riche, fascinant et passionnant. J’ai incarné le rôle de Carmen sur des scènes aussi prestigieuses que l’Opéra Hong-Kong, en 2018, le Theater Winterthur en Suisse, en 2020, l’Opéra National de Lettonie à Riga … Cette expérience à Riga était la plus spéciale pour moi. A première vue, le rôle de Carmen me semblait basique. Néanmoins, plus j’étudie l’opéra Carmen, plus je découvre de nouvelles choses et de nouvelles interprétations. A chaque nouvelle interprétation, j’aime montrer des visages différents de Carmen, des regards autres sur cette femme, avec de nouvelles idées et réflexions. Pour le public cairote, j’ai cherché à chanter une Carmen un peu différente du déjà-vu. Et ce, après 15 jours de répétitions vécues dans l’enceinte de la prestigieuse Opéra du Caire. J’ai incarné Carmen d’après une mise en scène de Hazem Tayel et sous la baguette magique du maestro Nader Abbassi lors de deux soirées les 6 et 8 mars. J’essaie de faire évoluer ce rôle d’une production à une autre de la manière la plus spontanée possible.

Nous les femmes, nous rêvons toutes d’être comme Carmen de Bizet, vivre nos moments de liberté dans l’instant. Fidèle à elle-même, à son caractère très fort, à ses convictions, à son équipe de contrebandiers, Carmen, la bohémienne séduisante et fantasque, est volage, changeante et instable. Quant à moi, au niveau personnel, je suis tout à fait différente de la Carmen que j’incarne sur scène. Je suis très calme, stable, fidèle, pudique et sage. Alors que Carmen est beaucoup plus libre. Moi, je réfléchis beaucoup. Je prévois les choses. J’organise. Dans l’amitié et l’amour, je suis à mes valeurs et principes. Je suis très loyale. J’ai un sens de l’honneur. Carmen se laisse tuer. C’est sa manière de fuir son maktoub (destin) qui apparaît en filigrane tout au long de l’opéra. Je me demande : Peut-être que Carmen aurait été une autre personne si elle avait été plus rassurée dans son existence et sa stabilité. Carmen reste mon grand défi, celui de jouer une personnalité bien différente de la mienne. A la fin de chaque interprétation du rôle de Carmen, je rêve du jour où je pourrai à nouveau le rejouer.

— Qu’est-ce qui vous a le plus marquée dans votre première visite en Egypte ? Il paraît que vous connaissez quelques lexiques arabes …

— Chanter à l’Opéra du Caire, cela m’est très spécial. Pour moi, l’Opéra du Caire c’est un peu le temps d’Oum Kalsoum. Elle est la chanteuse préférée de mon père, un Syrien né à Alep et marié à une Française, ma mère. J’écoute Oum Kalsoum depuis ma tendre enfance. D’ailleurs, j’ai tant rêvé de visiter l’Egypte. Et ce, surtout depuis ma visite des monuments égyptiens au Louvre à Paris, avec ma mère, il y a presque un an. Je ne m’attendais pas du tout à voyager si vite en Egypte, surtout que je venais de rentrer de l’Opéra de Nice où j’étais occupée par mes master class. Pendant les répétions de Carmen, mon amie et confrère la soprano Dalia Farouk, directrice artistique de la troupe de l’Opéra du Caire, m’a aidée à apprendre la langue arabe. Diplômée en droit et en lettres, j’ai étudié l’histoire de l’Egypte Ancienne dans mon école en France. Ce qui m’a le plus frappée en Egypte, c’est le soleil très rond, très orange et très bas. C’est la Tour cairote du Nil que je vois tous les matins de ma chambre d’hôtel. C’est l’entrée principale de l’Opéra du Caire décorée de somptueuses colonnes ... Le Caire est une ville qui chante tout le temps. Les sonneries des téléphones portables de son peuple me sont des chants. Les prières du muezzin le sont également. Même les couloirs de l’Opéra du Caire, au cours des répétitions, sont emplis de chants sublimes … C’est la magie du Caire, une ville bien accueillante et généreuse.

— Née à Strasbourg, en France, vous avez joué et chanté sur les scènes de nombreux Opéras français (Bordeaux, Toulouse, Lille, Rouen …), mais aussi à l’étranger. Votre tessiture est riche en rôles d’opéras. Quels sont ceux les plus proches de votre coeur ?

— J’aime énormément le personnage de Charlotte dans l’opéra-comique Werther, de Jules Massenet, qui est l’un des fleurons du répertoire lyrique français, avec son romantisme exacerbé. Chanter en français, dans ma langue natale, me permet de m’exprimer davantage avec plus de justesse. Par ailleurs, j’aime les incarnations les plus légères, telles que celles offertes par le répertoire de Jacques Offenbach, à l’instar du rôle-titre de la Périchole, jouée en 2019 à l’Opéra Grand Avignon, avec une mise en scène signée Eric Chevalier ... Parmi les rôles que j’ai interprétés dans ma carrière : Federica dans Luisa Miller, à Lausanne. La comtesse Ceprano dans Rigoletto, au Théâtre du Capitole de Toulouse. Malika dans Lakmé, à l’Opéra National de Montpellier. Catherine dans Jeanne au bûcher, à l’Opéra National de Lyon et au Festival Enescu en Roumanie. Suzuki dans Madame Butterfly, à l’Opéra National du Rhin, en 2021. Dalila dans Samson et Dalila, aux arènes d’Avenches, en Suisse. J’aime aussi chanter en italien, Donizetti et surtout Verdi. Les oeuvres de Verdi sont écrites avec beaucoup de bonheur, ce qui m’offre une composition extraordinaire et vocalement irréprochable. D’ailleurs, j’écoute toutes les musiques classiques et j’adore le jazz, le blues, le rock et surtout Oum Kalsoum.

— Vous avez incarné Fenena aux Arènes d’Avenches dans l’opéra Nabucco, au Misikverein de Graz, en Autriche, en 2022, aux côtés de Placido Domingo. Pouvez-vous nous parler de cette expérience ?

— Suite à une audition à Vienne, en Autriche, il y a quelques années, le directeur artistique de Misikverein de Graz m’a demandé si je voulais chanter Fenena. J’ai accepté. Après, j’ai su que j’allais chanter avec Placido Domingo. Moi dans le rôle de Fenena et lui dans celui de Nabucco. Placido Domingo est une personne très simple, gentille et humble. Il était impressionnant au niveau de la maîtrise vocale et du souffle.

— La musique, qui a toujours été votre passion, a-t-elle contribué au développement de votre personnalité artistique, couronnée de distinctions et de premiers prix de concours internationaux de chant lyrique ?

— J’ai toujours adoré la musique. J’ai fait tout d’abord mes études au Conservatoire de Strasbourg avec Françoise Kubler. C’est là que j’ai commencé à chanter et à faire de petits contacts. Puis, je suis allée à l’Ecole normale de musique de Paris, avec Daniel Ottevaere, mon coach vocal avec qui je travaille à présent. Après, je suis allée à l’Opéra Studio de Rome (Accademia Santa Cecilia) avec la grande soprano italienne Renata Scotto. Et ce, avant d’intégrer la troupe de L’Envol de l’Opéra de Lausanne.

Il faut affirmer que les concours de chants que j’ai faits dans ma vie ont été un bon tremplin pour ma carrière. D’ailleurs, j’ai été la lauréate de plusieurs premiers prix : du Concours de Saint-Jean Cap Ferrat en 2006, du 20e Concours de chant de Clermont Ferrand en 2007, du 15e Concours de Picardie en 2008, de l’audition annuelle des directeurs d’opéra du Centre français de promotion lyrique, au New York International Opera Audition, présidée par Raymond Duffaut en 2010 … Les jurys de ce plus grand concours sont les directeurs d’opéras en France. Absolument, tous ces concours, que j’ai passés avec brio, m’ont professionnalisée.

— Quels sont vos prochains projets de chant d’opéra ?

— J’incarnerai le rôle de Fenena à l’Opéra de Lausanne, en Suisse, en juin 2024. J’aime beaucoup cet Opéra où j’avais été prise dans sa petite troupe et où j’ai beaucoup chanté au début de ma carrière. C’est à l’Opéra de Lausanne où j’ai appris mon métier de chanteuse lyrique d’opéras. D’ailleurs, ce qui me marque le plus tout au long de ma carrière, ce sont les rencontres et les voyages qui enrichissent mon regard sur la vie et approfondissent ma connaissance de l’homme et du monde.

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