Dans sa 3e édition, tenue sur le Plateau des pyramides à Guiza jusqu’au 18 novembre, l’exposition Forever is Now, organisée par la société Art d’Egypte, regroupe 14 artistes plasticiens locaux et internationaux. Cette année, l’exposition en plein air se fait remarquer par des installations interactives qui, ayant leurs propres perceptions de l’espace et du temps, génèrent un équilibre parfait avec le site historique. Aménagées en perspectives, elles conservent leur parallélisme et leur alignement avec les pyramides.
Le tout est né à partir d’une combinaison de matériaux naturels et industriels emportés par le sable du désert. Forever is Now III invite le public à percer les secrets du temps, à convoquer le passé et à dialoguer avec un présent en évolution rapide afin de penser l’avenir.
La visite commence par l’installation de l’artiste égyptien Mohamed Banawy, intitulée As Above, So Below (dessus comme dessous). A l’aide d’un nombre infini de colonnes de moulins à vent, teintées de couleur blanche, l’oeuvre symbolise la fragilité et le sens de l’éphémère. Le sommet de l’installation est teinté en or.
Sam Shandi. (Photo : Bassam Al-Zoghbi)
Avec une ligne d’horizon qui explore le pouvoir de la perspective, les moulins sont conjointement liés et dignement dressés à la même hauteur du sommet des pyramides ; ils passent tout d’abord par l’oeil de l’observateur. Ici, l’observation se fait à vol d’oiseau, on a toute liberté d’agir, de voler, de penser. Sur ces moulins qui s’interrogent sur la condition de la vie humaine sont gravées à foison des écritures inspirées des lois cosmiques de l’Egypte Ancienne : « Je n’ai pas affamé. Je n’ai pas fait pleurer. Je n’ai pas tué. Je n’ai fait de peine à personne. Je n’ai pas volé … ». Banawy explique : « Mariant dans mon installation le spirituel, le mental et le physique, ces moulins qui vont trop vite ou trop lentement, sous l’effet de l’énergie du vent, s’inspirent des lois cosmiques de l’Egypte Ancienne, aussi appelées les 42 lois de la déesse Maât, que l’on retrouve dans le chapitre 125 du Livre des morts des Anciens Egyptiens. Ces lois sont les seules capables aujourd’hui de sauver le monde du chaos et de l’obscurité ».
A quelques mètres de l’oeuvre de Banawy, l’artiste émirienne Azza Al-Qubaisi nous invite à effectuer un voyage interactif à travers lequel se confondent l’horizon des pyramides et celui des dunes de sable sur lesquelles elle a aménagé son installation Treasures (trésors). L’installation représente de grandes branches de palmiers sèches, fabriquées en acier doux/inoxydable, en couleurs terre/ocre. Elle est inspirée de la nature des Emirats arabes unis, de ses paysages désertiques : dunes de sable, branches de palmiers, entrecoupées d’ombres et de lumières.
Al-Qubaisi atteint une perspective claire des pyramides perçues à distance. C’est la voie de la sagesse. Raison pour laquelle l’artiste émirienne place des pièces d’or en forme pyramidale, au sommet de son installation, synonyme d’une gloire passée.
Mohamed Banawy. (Photo : Bassam Al-Zoghbi)
Perspective en cercle
L’artiste belge Arne Quinze choisit pour son installation Lupine Aurora, un rouge flamboyant. C’est l’humain. L’oeuvre revêt la forme d’un disque solaire, en référence à l’interaction sociale, à la communication entre les êtres humains. L’artiste marie peintures abstraites et couleurs électriques (rouge, bleu, jaune et vert), dans des constructions métalliques massives. Elle oppose la splendeur sauvage des plantes à leur vie à l’abri d’une serre, dans un jardin, où le lupin est bien protégé. En même temps, elle nous permet d’observer les pyramides à travers la forme circulaire de son installation. « Lupine Aurora joue sur la perspective à travers le cercle ; elle aborde la diversité génétique de l’humanité selon une approche naturaliste. J’ai aimé garder le lien direct avec les pyramides, la riche civilisation égyptienne dans laquelle le soleil avait un rôle influent étant l’élément fondamental de la vie », déclare Quinze.
Ensuite, l’artiste français Stephan Breuer nous emmène dans un voyage au coeur des pyramides, mariant high-tech et spiritualité. Et ce, à travers son installation Temple ayant la forme d’une pyramide inversée, composée d’une lamelle en acier inoxydable doré et métallisée par PVD (dépôt physique en phase vapeur qui peut fournir différentes couleurs). La pyramide dorée de Breuer, attachée par un aimant magnétique et une puce NFC sur du plexiglas transparent, semble flotter dans l’air. S’agit-il d’une apparition divine et lumineuse en plein désert ? Breuer explore les liens entre l’icône digitale (son temple) et l’icône monumentale (la pyramide) à l’aide d’une perspective bidimensionnelle, entre la grande pyramide des pharaons et la sienne inversée. « Face aux Pyramides que je considère comme des merveilles du génie humain, mon installation met en relief la technologie de l’époque en contraste avec la mémoire, le rapport entre l’éternel et l’instantané », dit l’artiste. On peut ainsi nous connecter à nos racines via le plexiglas transparent. L’installation est en forme triangulaire, car le triangle était considéré comme une figure divine symbolisant l’harmonie et la sagesse dans l’Egypte Ancienne. Il représentait la voie juste, l’équilibre et la perfection, permettant de réconcilier les contraires.
L’installation Meditation on Light (méditation à partir de la lumière) de l’artiste grec Dionysios brille au loin. Elle se présente comme un trésor de l’antiquité. Formée de quelques petits bouts de feuilles d’or dispersées sur un sarcophage, installé par terre, nous avons l’impression que le dieu soleil Râ est ressuscité en plein désert.
Rashed Al-Shashai. (Photo : Bassam Al-Zoghbi)
« Je suis Hathor »
Assise tout près de son installation Femme en forme de la déesse Hathor, l’artiste américaine hyperréaliste Carole A. Feuerman est vêtue d’un serre-tête proche des cornes de vache de la déesse Hathor et d’une longue robe satinée d’un jaune soleil. Elle éprouve un grand plaisir à échanger avec les visiteurs sur son oeuvre. Hathor de Feuerman est couronnée d’un disque solaire ; elle incarne la femme contemporaine. L’artiste aime mêler design moderne et style ethnographique. « Je m’identifie à Hathor. Mon installation vise à lui rendre hommage, en mettant en avant son rôle protecteur envers le pharaon et l’ensemble du peuple. Hathor incarne tout ce qui est universellement féminin : la beauté, l’amour, la fertilité, la protection … C’est la femme de tous les temps », affirme Feuerman.
Tout près de cette déesse de l’Egypte Ancienne se dresse l’installation Pyramide translucide de l’artiste saoudien Rashed Al-Shashai. C’est une oeuvre monumentale qui revêt également la forme d’une pyramide. Al-Shashai use d’un nombre infini de petits paniers d’osier tressés. Les osiers sont aménagés selon une perspective singulière qui se situe à distance égale avec la pyramide de Mykérinos. Les petits paniers ont la couleur terre de l’extérieur, mais sont fuchsia de l’intérieur. Avec des objets banals du quotidien, des matériaux locaux (osier, tapis en feuilles de palmier …). Al-Shashai joue sur les rapports interne-externe, individu-environnement, cherchant à brouiller les frontières entre le traditionnel et le moderne, le passé et le présent …
Dionysios. (Photo : Bassam Al-Zoghbi)
Se perdre dans le labyrinthe
A quelques mètres de l’oeuvre d’Al-Shashai, l’installation Reality is Timeless de l’artiste bahreïni Rashid Al-Khalifa associe philosophie zen et spiritualité, pour nous livrer à une contemplation méditative. Ayant une forme labyrinthique, elle se compose d’immenses planches ou fragments d’aluminium lis et doré, qui sont perforés en laiton et en cuivre.
Ces planches colossales sont alors inclinées selon des angles variables, et les petits trous percés dans l’aluminium nous permettent d’entrevoir les pyramides à distance. Ces trous portent des écritures mystérieuses et énigmatiques, inspirées du livre Turris Babel de l’érudit jésuite Anthanasius Kircher (1602-1680). Ainsi sont gravés des signes hiéroglyphiques, des symboles de l’astrologie chaldéenne, du mystère de Zoroastre … L’installation labyrinthique d’Al-Khalifa met en perspective les pyramides au-delà des époques.
Esthétique de l’essentiel
Au loin, nous pouvons distinguer un long couloir en acier inoxydable, symbole de la vie contemporaine, de la technologie … Ce couloir tape à l’oeil à cause de sa couleur rouge sang. C’est Ghost Temple (temple fantôme) du sculpteur britannique d’origine égyptienne Sam Shandi. Son temple est d’une rigueur esthétique sans pareille ; il offre une vue panoramique sur les pyramides. L’artiste féru de l’art minimaliste aux formes géométriques simples et réduites, aux compositions abstraites, trahit l’influence du constructivisme. Il a créé un pont de passage entre le passé et le futur.
Artiste incontournable de la scène artistique brésilienne contemporaine, Artur Lescher expose une oeuvre tridimensionnelle, en acier inoxydable et à la géométrie solide, qu’il intitule Observatory (observatoire). Prenant la forme d’une antenne sauvage, aux mille mains montées sur un poteau d’éclairage, l’installation guette la grande pyramide et place l’homme au centre de l’univers. « Quelle est notre position face à la monumentalité des utopies humaines ? », s’interroge-t-il, en mariant des matériaux variés : métal, pierre, bois, eau, feutre, sel, laiton et cuivre. L’oeuvre fait naître un sentiment d’inquiétude, de brutalité.
Pilar Zeta. (Photo : Bassam Al-Zoghbi)
Reflets du monde
Dans un emplacement plus proche des pyramides s’installe l’oeuvre Horizon, du Grec Costas Varotsos. Elle est formée de huit cercles en acier, liés à mesure égale. Ces cercles — on dirait des dômes célestes à moitié vitrés — empruntent la couleur bleue du Nil, celle de la vie. « La transparence lumineuse du verre nous permet d’avoir une perspective métrique », précise Varotsos. (Ndlr : technique de représentation graphique qui utilise un point de fuite unique sur une ligne d’horizon pour donner l’impression de profondeur et de distance).
Les reflets nous suivent partout. Outre l’oeuvre de Costas, l’installation Mirror Gate (porte miroir) de l’artiste Pilar Zeta, basée à Los Angeles et née à Buenos Aires, offre une nouvelle perspective sur les pyramides. Deux immenses boules de cristal poli sont placées à droite et à gauche. Elles sont en verre miroité ultra brillant de couleur bleue et or, et percent le centre de deux colonnes blanches, situées à la base de l’installation.
Ces boules de cristal, aux couleurs pop et acidulées, trônent comme des icônes improbables au coeur d’un temple païen. Ces boules frôlent le kitsch et baignent dans le mystère. Le visiteur se voit en personne et se retrouve avec les pyramides, à l’intérieur de ces boules miroitées. En déformant la réalité, le cristal poli et ses reflets permettent de visualiser ses fantasmes. Désormais, les pyramides deviennent étonnamment proches du visiteur, le soleil et le ciel se trouvent à ses pieds, son corps devient immense.
Ensuite, le célèbre street-artist français d’origine tunisienne Jean René ou JR affiche 130 portraits d’hommes et de femmes, sur deux grandes pancartes mises par terre sur le sable. Aux regards dirigés les uns vers les autres, les 130 portraits, pris en photos noires et blanches, sont ceux et celles qui ont interagi l’an dernier (à la 2e édition de Forever is Now) et ont pris des selfies sur le Plateau de Guiza. JR, un maître du trompe-l’oeil et du jeu de photomaton, a recouru cette année à ces 130 portraits et les a installés en perspective parallèle, pour entrer en interaction avec l’histoire du lieu.
La tournée prend fin avec l’installation Râ, le dieu soleil, de l’artiste néerlandaise Sabine Marcelis. Fabriqué à l’aide de verres solaires feuilletés et de résines de coulée, le Râ de Marcelis est muni d’un cadran solaire simple, gnomon, marquant les heures par la direction de l’ombre et revêtant la forme d’un obélisque. L’artiste use de l’énergie solaire pour éclairer son obélisque qui projette des ombres allongées sur le sable.
Les visiteurs se voient dans l’obélisque doublé de néons. Sabine Marcelis se plaît comme son habitude à expérimenter avec le réfléchissement de la lumière. « Je suis à la recherche de moments d’émerveillement et je pense que la lumière en est un bon catalyseur. Cela m’offre la possibilité de jouer avec les matériaux, de travailler avec la diffusion, la réfraction, la transparence et l’ombre », conclut la plasticienne néerlandaise.
Plateau des pyramides de Guiza, jusqu’au 18 novembre. De 8h à 15h. Entrée principale du site, près de l’hôtel Mena House.
Lien court: