Le Soudan danse malgré tout
Deux spectacles soudanais de danse contemporaine sont prévus, mis en scène par Nagham Salah Othman.
Pour la première fois, le festival She Arts, aujourd’hui à sa 3e édition, accueille des spectacles de danse contemporaine, notamment deux performances soudanaises. Celles-ci sont présentées par une artiste engagée, qui a élu domicile au Caire depuis plusieurs années, à savoir la danseuse-chorégraphe et metteure en scène Nagham Salah Othman, qui a conçu les danses données pour célébrer la route de Rams, à Louqsor, en 2021.
Elle avoue avoir vécu le bouleversement sociétal qu’a connu son pays à sa manière, et a appris à relever les défis affrontés. « L’art et la politique ne se dissocient pas. Par la danse, je peux tout exprimer. C’est aussi ma manière d’affirmer mon identité soudanaise et de mener ma lutte en solo. C’est un peu ce que je fais dans le spectacle Ta-Seti, que je donne à l’occasion du festival », souligne Nagham Salah, ajoutant : « La danse tient une place à part au Soudan, étant pratiquée par de nombreuses tribus, du nord au sud, des Béja aux Zandé, depuis des siècles ».
Créé en 2020, ce solo de danse contemporaine porte le nom de la Nubie, Ta-Seti, dans l’un des dialectes locaux. L’artiste y traite de l’histoire de sa terre natale, en mettant l’accent sur la condition des femmes soudanaises. « La danse contemporaine m’accorde une liberté de mouvement, elle reflète ce que je ressens et me donne l’impression que je contribue à reconstruire mon pays », déclare-t-elle. Ta-Seti se déroule sur une musique composée par le bassiste Ahmed Omar, un Egyptien d’origine érythréenne. Le son du tambour et de la lyre traditionnelle africaine se raccorde à un manche de guitare électrique. De par la musique, il essaye d’exprimer la diversité de plus de 500 groupes ethniques, répartis sur le territoire soudanais. Il commence d’abord par des mélodies rythmiques, tantôt à l’accéléré, tantôt au ralenti, à l’image d’un Soudan qui lutte contre la marginalisation des femmes, l’oppression, la suppression des libertés … « Je suis les femmes de partout au Soudan. Je suis Omdurman. Je suis Khartoum. Je suis Ad-Damzin, ma ville natale … La femme soudanaise a été en premières lignes afin de faire tomber le régime d’Al-Bachir. Elle craint aujourd’hui de payer le prix et de voir ses conditions de vie régresser », estime la danseuse-activiste.
Nagham se libère par le mouvement.
Toute seule sur scène, elle incarne tantôt la femme victorieuse, radieuse et leader, tantôt la femme craintive et oppressée, soumise et accablée. Deux réalités différentes, propres à des périodes différentes. Nagham porte une robe blanche, puis peu de temps après, elle met une autre de couleur rouge, symbole de la mariée soudanaise durant sa nuit de noce. Les scènes de joie et de peine s’entremêlent, faisant place à une grande nostalgie. « J’ai choisi de porter une robe toute blanche, à l’instar de Alaa Salah, l’icône des contestations au Soudan, en avril 2019. Elle avait 22 ans, chantait sur le toit d’une voiture à Khartoum, vêtue de blanc. La robe de coton est l’habit des travailleuses. Ses boucles d’oreilles dorées, appelées fedaya, sont aussi des bijoux traditionnels du pays », explique Nagham.
La danseuse-chorégraphe dirige depuis 2010 des ateliers de danse traditionnelle soudanaise mêlée à la danse moderne et au hip-hop. Elle a monté ensuite sa propre école de danse, en collaboration avec le Contemporary Danse Program PTP. « En 2021, j’ai défié tout le monde au Soudan, un pays où l’on arrêtait les femmes qui dansaient ou qui portaient des pantalons ! J’y suis retournée afin de monter à l’Institut Goethe de Khartoum un premier atelier de danse moderne, avec de jeunes Soudanaises », indique Nagham.
Une île isolée
Le deuxième spectacle de danse contemporaine attendu à cette 3e édition est Isolated Island, toujours une mise en scène de Nagham Salah. Elle y parle de la guerre, avec d’autres jeunes réfugiées soudanaises installées à Alexandrie, lesquelles ont récemment lancé une compagnie de danse qu’elles ont appelée From Here We Start (d’ici on commence). Isolated Island mêle hip-hop et danse traditionnelle, évoquant, entre autres, la célébration du sibir dans les monts Nouba, fêtant la récolte, la naissance d’un enfant, le mariage … « Avec mes consoeurs soudanaises, nous dansons pour célébrer l’égalité, la démocratie et la liberté. Nous ne lâcherons pas. Les femmes soudanaises, à la différence de leurs ethnies, aiment danser et participer aux diverses festivités. Pendant les mariages, au son des youyous, elles agitent en l’air des cannes traditionnelles en ponctuant le rythme. Pendant un concert de musique traditionnelle ou moderne, elles battent la mesure et se dandinent », confie Nagham Salah, diplômée en sciences politiques.
A l’âge de 17 ans, elle a participé à des ateliers de danse contemporaine, avec Mirette Mechail, Karima Mansour, Tomio Fergas, Jennifer Irons et Olivier Dubois. Puis a contribué à l’Arab Arts Focus d’Edinburgh Festival Fringe. Et depuis, elle a mis le doigt dans l’engrenage.
Le 1er octobre, à 20h, au théâtre Al-Falaki, rue Al-Falaki, centre-ville du Caire.
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