L’exposition plage champollion, actuellement à la galerie Access, au centre-ville du Caire, réunit 47 plasticiens, aux styles et techniques différents, nous révélant plein de plaisirs du bord de mer. « L’exposition Plage Champollion fait allusion à la rue Champollion qui nous mène à la galerie Access, tout en étant une invitation à changer d’air », déclare Mina Noshy, curateur de l’événement et directeur de la galerie. La peinture de grand format, signée Salam Yousry, met en scène un homme et une femme en maillot de bain et aux corps déformés. Au bord de la mer, ils ont un côté cosmonautes ou robots. Ils baignent dans une couleur jaunâtre, en allusion au soleil ardent de l’été. L’artiste se plaît à déformer le réel ; pour lui, l’apogée de la sagesse c’est le rire. Dans son tableau, il y a de tout comme dans la vie, des couleurs, des formes disparates, la chose et son contraire.
Sur l’une des peintures de Mina Ossama, étudiant aux beaux-arts d’Alexandrie, figure un robot humanoïde en bois ; il est lié à trois barques juxtaposées, sur la corniche d’Alexandrie. L’artiste a recours à des couleurs pâles, proches de la nature et de la terre : marron, beige, rouge carmin ... Son monde est peuplé d’illustrations et d’histoires entre réalité et chimère. « Ici, je montre du doigt les blocs de ciment qui cachent la mer. Avec ces blocs, on est devenu sans sentiments. On n’a plus de vue ! Plus d’interaction avec la mer ! Même les barques et les outils de pêche sont désorientés. On a perdu la boussole, dans un monde de consommation et de chaos », explique Mina Ossama. Il en est de même pour Emad Abugrain qui peint des pêcheurs, vêtus sobrement. Ils ont des yeux larges, des têtes déformées, sous l’effet de la lune et les reflets de la mer. Tout a l’air romantique, vulnérable.
Mohamed Farahat, la plage vue d’en haut. (Photo : Névine Lameï)
Des clowns en vacances
Maher Guirguis, lui aussi, est animé par un désir de déformer le réel. Il peint des êtres déguisés se promenant à vélo. Habillés comme des clowns à la plage, en vacances d’été. La couleur lapislazuli domine l’oeuvre, qui n’est pas sans rappeler l’ambiance du carnaval. On retrouve d’ailleurs cette même ambiance festive dans la toile de Mariam Sameh, dépeignant un vendeur ambulant, faisant le tour des plages.
C’est l’été, il fait beau. Voici des parasols, un ciel lourd et trop chargé de couleurs vibrantes. La plage est décrite par Mohamed Farahat comme prise du haut d’un avion. Ce dernier capte les détails propres aux vacanciers, leurs loisirs, leurs voyages, etc. « J’ai voulu refléter l’esprit de la détente, de la relaxation … Là, on est moins stressé, aspirant au bonheur. Et à chacun de créer son propre bonheur », affirme Farahat.
Robot au bord de la mer, par Mina Ossama. (Photo : Névine Lameï)
Des femmes encore et toujours
Affinons notre silhouette pour avoir un corps parfait sur la plage ! Heidi Galil révèle délicatement à travers ses deux peintures les secrets de femmes, sous le titre de Chillaxing. Deux mères semblent passer un moment agréable de liberté. « L’art peut refléter la réalité, mais pourquoi ne pas peindre ce que nous rêvons de vivre ? Personnellement, c’est la présence de la mer qui me fait plaisir. Mère au foyer ou femme active, nous avons toutes le droit de nous détendre, loin des obligations familiales », précise Heidi Galil, qui participe à l’exposition avec deux peintures à l’acrylique, teintées de jaune et de bleu. Couleurs de la mer et du soleil.
Héba Amin, pour sa part, peint une femme assise au bord de la mer, sur du sable fuchsia, accompagnée de son chien, sous un ciel grisâtre et nuageux. L’artiste cherche à soulever plusieurs interrogations autour de la solitude, l’insouciance enfantine, l’âge de l’innocence.
Rania Khallaf place ses protagonistes dans un monde maritime ou dans un autre imaginaire. Dans son oeuvre, la mer est toujours loin, et le ciel si bas. Il occupe la moitié du tableau, avec des nuages épais. Le côté fantaisiste de Rania Khallaf est marqué par sa sensibilité de femme. Elle laisse libre cours à son imagination et nous livre des créatures fantasmagoriques peintes avec beaucoup d’émotions. S’agitil de visages d’hommes, de femmes, ou encore de tête d’animal ? Les créatures de Khallaf suscitent à leur tour de multiples interrogations, se rapprochant de l’art naïf. L’artiste n’aime respecter ni les règles de la perspective, ni les formalités concernant l’intensité de la couleur, optant plutôt pour un style ludique et spontané.
Rania Khallaf adopte la méthode de gestalt-thérapie qui considère l’être humain comme un tout, le corps, l’esprit et leur environnement doivent être en harmonie. Il en est de même pour Lina Ossama, qui installe ses personnages absurdes sur la surface de l’eau : mer, fleuve …, la scène se déroule dans une ambiance de rêve, qui permet quand même de méditer.
Créatures fantasmagoriques de Rania Khallaf. (Photo : Névine Lameï)
Des corps libres
Philosopher, c’est apprendre à rire, à se réjouir de l’existence. L’installation gaie et amusante de Nada Sayed s’intitule Puppet Show. L’artiste mêle l’art à l’environnement. Ici, c’est la mer qui prend le dessus. Trois silhouettes de filles qui dansent, accrochées par un fil au haut d’un plafond. Elles sont en mouvement constant sous l’effet du vent. « Libre comme le vent, mon installation s’inspire de l’ambiance rafraîchissante de la mer qui égaye la nuit … Il y a le mouvement des feuilles sous un arbre, celui du sable, d’une mer scintillante sous un soleil rayonnant, un délicieux moment de bien-être et de détente », exprime Nada Sayed. Miriam Hathout fait une escapade dans les plages égyptiennes des années 1960, synonyme de liberté et d’émancipation. Elle les peint d’un goût vintage, étant bondées de femmes en maillots de bain, allongées au bord de la mer. C’est une « autre » Egypte, selon Hathout, que l’on retrouve sous les parasols. Une Egypte plus ouverte d’esprit, plus émancipée et moderne. C’est de cette Egypte dont elle est nostalgique.
« Recréer une plage au centre-ville cairote, cela m’a paru comme une idée amusante », lance Hala El-Sharouny, dont les deux peintures ont été réalisées pendant le confinement du coronavirus, « celui-ci a provoqué la fermeture des frontières et a limité les possibilités de déplacement, alors j’ai voulu échapper à la situation en créant un univers parallèle à celui de la mer ».
Voici un autoportrait d’El-Sharouny dans sa baignoire, entourée de son chat. Une autre toile montre l’artiste allongée sur un canapé, durant un moment de détente. Une sorte de patchwork, avec du rouge, du vert et du bleu, qui lui a permis de réinventer la réalité.
Jusqu’au 6 octobre, de 12h à 21h (sauf les jeudis et vendredis). 10, rue Nabrawi de la rue Champollion, centre-ville.
Lien court: