Musique, chansons, costumes … l’ensemble a fait la beauté du spectacle.
Il s’est levé du lit fatigué, a survolé du regard la chambre d’hôtel où il a passé la nuit, et pendant quelques minutes, s’est demandé où il était. Sans avoir de réponse claire. Il ignorait le nom de l’hôtel et a oublié celui du pays dans lequel il se trouvait, ainsi que son nom. Tout ce qui l’entourait lui paraissait très bizarre ! Effaré, il a eu peur d’avoir été atteint d’amnésie ou d’Alzheimer. Mais apaisé, il a vite retrouvé ses esprits ; récemment, il a été accablé de travail et de stress. Il a même pris l’avion trois fois cette dernière semaine, vers trois destinations différentes.
Enfin, il a pu se rappeler qu’il était à Paris, pour une mission de travail, car il faisait partie d’une boîte spécialisée dans le domaine de la technologie et du marketing. Il a réalisé également que cela faisait des années qu’il menait ce train de vie hallucinant et qu’il n’avait pas vu ses enfants grandir, étant tout le temps très occupé. En ce moment précis, il a décidé de renouer avec l’art, son champ de prédilection qu’il a abandonné pour faire carrière au sein d’une multinationale, dans une tentative de reprendre sa vie en main. A partir de là, l’ingénieur Ahmad Al-Bouhi s’est résolu à écrire et à mettre en scène une pièce de théâtre sur Charlie Chaplin. Celleci se donne avec succès au Caire, depuis plusieurs mois, passant en revue la vie et l’oeuvre du comédien britannique mythique. « Nous avons passé des mois à préparer cette pièce, à faire des archives et de la documentation, à effectuer une étude de faisabilité, à sélectionner l’équipe de travail, et surtout à chercher une boîte de production car il s’agit d’un spectacle qui nécessite un budget énorme », souligne le metteur en scène Ahmad Al-Bouhi.
Le spectacle n’est pas conçu pour décrocher les rires du public, alors que l’on s’attendait à voir une pièce comique. Or, Al-Bouhi a choisi de mettre en lumière l’autre facette de Chaplin, celle du « clown triste », qui a dit qu’une journée sans rire est une journée perdue. « Nous misons sur d’autres éléments que le rire afin de faire plaisir aux spectateurs », poursuit le metteur en scène. Et d’ajouter : « Nous voulons montrer des aspects méconnus de sa vie, qui n’était pas toujours joyeuse ».
« La vie peut être merveilleuse si on n’en a pas peur. Il suffit de courage, d’imagination … et d’un peu de fric ». Cette citation de Chaplin a été bien assimilée par le comédien Mohamad Fahim qui a incarné son rôle sur les planches dans la pièce égyptienne. Lui, qui s’est fait connaître en interprétant le personnage du penseur islamiste Sayed Qotb dans une série télévisée sur l’histoire des Frères musulmans, rêvait déjà depuis dix ans d’entrer dans la peau de Chaplin. Et en fin de compte, il a eu le courage et la chance de le faire. Cela faisait donc si longtemps qu’il s’y préparait : il a essayé de chanter, de participer à des performances musicales comiques, de lancer des vidéoclips sur YouTube, de s’entraîner à danser sur scène. Et durant la crise du Covid, il a profité pour visionner les grands classiques du cinéma mondial et a enregistré les chansons du célèbre film Joker par sa voix et dans son propre style, étant un admirateur de Joaquin Phoenix.
Charlie, un parcours parsemé de hauts et de bas.
Ennemis jurés de l’artiste
Le poète et scénariste Medhat Al-Adl a réussi à bien formuler ses pensées, à dessiner les personnages, ce qui l’a aidé à entrer dans la vie de Chaplin. Celui-ci a connu des événements très durs : sa mère a été atteinte de troubles mentaux, il avait des relations amoureuses tumultueuses et il a été expulsé de manière injustifiée des Etats-Unis à cause de la loi Mccarthy, mais malgré tous ces tracas, il était persuadé qu’il fallait sourire et rester optimiste pour pouvoir avancer.
Al-Adl évoque les rapports parfois difficiles avec la presse, car celleci traitait souvent de ses scandales qui ont secoué Hollywood, ayant la réputation d’être un séducteur, attiré par des femmes beaucoup plus jeunes, parfois même des mineures. De quoi lui avoir valu des déboires judiciaires. Après la Seconde Guerre mondiale, le FBI, ne supportant pas la présence de ce Britannique aux idées jugées bien trop à gauche, le fait fuir des Etats- Unis. La pièce égyptienne fait écho à ses rapports compliqués avec la presse, à travers le personnage caricatural d’une journaliste, qu’a tenue brillamment la comédienne Dalia Al-Guindy.
Le scénariste a également bien choisi les paroles chantées par l’agent du FBI, l’ennemi juré de Chaplin dans l’oeuvre, exprimant parfaitement son état d’esprit, celui du « monsieur je-sais-tout », provoquant la peur de tous.
Prochaines tournées
Outre la trame, les paroles et le jeu des acteurs, plusieurs autres facteurs ont contribué à la réussite du show. La mise en musique d’Ihab Abdel-Wahed a voulu se rapprocher de l’âme égyptienne, sans forcément rester collée aux morceaux musicaux composés parfois par Chaplin lui-même. Et ce, contrairement aux danses du chorégraphe Amr Patrick lequel s’est inspiré essentiellement des célèbres films du comédien britannique. Les costumes de Rim Al-Adl et le jeu de lumières ont permis, à leur tour, de recréer l’univers de Charlot, à tel point que la pièce a été sélectionnée afin d’être présentée à l’ouverture du Festival du théâtre expérimental, à la suite de son succès commercial. Elle sera prochainement en tournée aux Emirats arabes unis, au Koweït et au Liban, et il y a des tentatives de la faire traduire et de la donner au Canada, en Australie et aux Etats-Unis.
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