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Barbie : Débat houleux teinté de « rose bonbon »

Yasser Moheb , Jeudi, 31 août 2023

Sortie récemment dans les salles de cinéma en Egypte, la nouvelle comédie fantaisiste américaine Barbie a fait couler beaucoup d’encre. La fiction hollywoodienne ne cesse de diviser, elle a été interdite dans certains pays arabes.

Barbie : Débat houleux teinté de « rose bonbon »

A chaque saison d’été sa polémique ! Cette fois-si, c’est la comédie fantaisiste hollywoodienne Barbie qui fait grincer les dents. Le film a été banni des écrans dans plusieurs pays arabes comme le Liban, le Koweït et l’Algérie. Car il est considéré comme « choquant » pour les uns ou encore faisant « la promotion de l’homosexualité ou du changement de sexe » par les autres. En Egypte, les rumeurs couraient sur les réseaux sociaux d’un possible boycott du film, mais finalement il a été projeté dans plusieurs salles de cinéma au Caire, mais pas pour tout public. Il a été censuré et interdit aux moins de 12 ans, à la demande des responsables de l’Organisme de la censure. Sa sortie a été ajournée à plusieurs reprises en Egypte comme en Arabie saoudite et aux Emirats arabes unis. Les régulateurs de l’audiovisuel ont demandé aux distributeurs du film d’y apporter quelques retouches pour que la version projetée ne soit pas contraire aux valeurs des sociétés arabo-musulmanes.

Déprogrammation soudaine

Par ailleurs, en Algérie, Barbie c’est fini ! A deux semaines près de son arrivée sur les écrans du pays, le film de Greta Gerwig a été soudainement déprogrammé. D’après plusieurs médias locaux, les autorités l’accusent « d’atteinte à la morale », mettant en avant « des scènes destinées à un public adulte » et des allusions à l’homosexualité ou au moins à un féminisme qui dérange.


Il est juste Ken !

L’Algérie rejoint ainsi la liste des pays jugeant que cette comédie féministe est en désaccord avec les moeurs locales. De même, le Koweït a interdit le film pour « atteinte à la morale publique » après avoir réclamé en vain à la Warner « la suppression de certaines scènes obscènes encourageant des comportements inacceptables ». Quelques jours avant, c’était le Liban qui avait annoncé son interdiction pour des motifs relativement similaires. « Barbie fait la promotion de l’homosexualité et du changement de sexe, soutient le rejet de la tutelle du père, mine et tourne en ridicule le rôle de la mère et remet en question la nécessité du mariage et de la formation d’une famille », a déclaré le ministre libanais de la Culture dans un communiqué de presse.

Phénomène de société ou de marketing, Barbie est le plus gros succès cinématographique de l’été avec déjà plus de 1,25 milliard de dollars de recettes à travers le monde. Un palier symbolique qui n’avait jamais été franchi par un film réalisé par une femme dans toute l’histoire du cinéma. Et ce carton est d’autant plus impressionnant que les pays arabes ne sont pas les seuls à faire de la résistance. Même si ce n’est pas partout pour les mêmes raisons. Au début de l’été, plusieurs pays asiatiques comme le Vietnam et les Philippines s’étaient offusqués de la présence à l’écran d’une carte où apparaît « la ligne en neuf pointillés » que Pékin utilise pour justifier ses revendications territoriales litigieuses en mer de Chine méridionale. Si les autorités vietnamiennes sont restées inflexibles et ont interdit la sortie du long métrage, leurs homologues aux Philippines ont accepté de projeter le film, à condition que la carte en question soit floue.


L’un des cinémas qui projettent le long métrage polémique. (Photo : AFP)

Après des mois de développement et de préparations chaotiques, l’adaptation de Barbie, la célèbre poupée de Mattel, débarque enfin sur les écrans. La réalisatrice américaine Greta Gerwig, signataire de plusieurs succès tels que Lady Bird ou Les Filles du docteur March, a hérité du projet, promettant « un regard féministe et réflexif dans un écrin de comédie délirante ». De quoi lui attirer les foudres de la droite américaine conservatrice.

La présence de Margot Robbie et de Ryan Gosling, ainsi qu’une propagande intensive ont fait de cet étrange objet pop l’un des films les plus attendus de l’année. Mais le film a-t-il réussi à dépasser cette séduisante poudre aux yeux ?

Le film Barbie, inspiré par cette célèbre poupée de Mattel, explore des thèmes profonds et féministes tout en conservant l’essence ludique du monde « rose bonbon » de Barbie. La réalisatrice, connue pour sa capacité à créer des histoires hardies et émotionnellement résonnantes, a essayé d’exploiter son talent pour donner vie à ce personnage iconique, avec l’aide de la co

médienne Margot Robbie, déjà encensée par la critique depuis quelques mois pour le succès de son dernier film, Babylon.


Barbie peut tout faire.

Barbieland, l’eldorado des poupées

Alors, de quoi parle Barbie ? Les événements se déroulent à Barbieland, où la poupée Barbie, dite « stéréotypée », incarnée par Margot Robbie, mène une vie de rêve avec toutes les autres Barbie. Alors que tout se déroule pour le mieux, comme d’habitude à cette Barbieland, la poupée commence à percevoir des anomalies dans son quotidien parfait. Un soir de fête, elle demande à toutes les autres Barbie et Ken s’il leur arrive de penser à la mort. Très anxieuse, elle découvre qu’une brèche s’est ouverte entre son monde pailleté et la réalité humaine. Le lendemain, les choses s’aggravent : son lait inexistant est expiré, sa douche sans eau est froide, sa peau n’est plus parfaite, mais surtout ses pieds sont devenus plats, ce qui lui est un vrai cauchemar !

Avec l’aide du personnage de la Barbie bizarre, campé par Kate McKinnon, elle décide de se rendre dans le vrai monde pour comprendre ce qui cause tous ces problèmes. Mais, elle va devoir voyager jusqu’au monde réel à cause d’un événement inattendu. Surprise, dans la vraie vie, les femmes sont dominées par les hommes, qui occupent la plupart des postes de pouvoir. Barbie découvre l’existence du sexisme et ne l’apprécie pas. Pendant ce temps, Ken, joué par Ryan Gosling, éperdument amoureux d’elle, lutte pour la suivre partout et gagner son affection. Parti avec elle, et une fois arrivé à Los Angeles, lui aussi posera un tout autre regard sur le monde, au grand dam des Barbie mais il semble plutôt s’en réjouir !

Donc, pour Barbie, c’est la désillusion : les petites humaines la détestent et pensent qu’elle est l’une des raisons de leur malêtre. Pour Ken, la découverte du patriarcat en vigueur chez les humains sera une révélation, et il tentera de l’instaurer à Barbieland, en remplaçant les « Barbie Dreamhouses » par des « Mojo Dojo Casa Houses » à la gloire de ses muscles et des chevaux !

On peut suivre alors Barbie traversant sa crise existentielle avec une adolescente Sasha, interprétée par Ariana Greenblatt, qui, avant, adorait les Barbie et maintenant les répudie, ainsi que sa mère, Gloria, campée par la talentueuse America Ferrera. Partant, on ouvre tout un tableau très intéressant dans le deuxième tiers du film, où l’humanité de Gloria et la perfection illusoire de Barbie s’affrontent, tandis que leurs ambitions profondes sont les mêmes. Greta Gerwig nous propose une nouvelle version de la Barbie de Mattel, plus féministe et politisée. Le film et son esthétique tout en plastique rose sont un régal qui nous lance tant de messages durant 114 minutes.


prestation de Margot Robbie est l’un des points forts du film.

Un féminisme qui dérange

Côté critique du film : il faut d’abord souligner que lorsqu’un film reçoit un traitement promotionnel comme celui dont a profité Barbie ces derniers mois, on prend le risque de susciter des attentes impossibles à satisfaire. Avant même sa sortie, Barbie était déjà qualifié de « grand film féministe ». Le conte philosophique dans lequel s’engage la réalisatrice prend alors une tournure à la fois aventureuse et surprenante, où elle oppose l’idée abstraite de Barbie à l’individu concret, qui incarne le jouet ou le manipule : c’est donc l’opposition de l’abstraction au concret. Dans cette salle de jeux géante, chaque détail est le fruit d’une véritable réflexion de la part d’une réalisatrice qui prend Barbie au sérieux comme personne. A Barbieland brillent différents soleils, essayant que ses habitants ne soient pas dans l’ombre, alors que les rares effets spéciaux du film reproduisent les techniques de 1959, année où Barbie a été inventée. Ce degré de minutie est certainement le plus poignant dans ce gros « bonbon ». Cependant, cette immersion dans le monde kitsch et contrefait de Barbie est plus acide que sucrée. Du fait de sa démarche ouvertement féministe, le film avait cependant autant à dire qu’à montrer, amenant nettement quelques déséquilibres et lourdeurs contradictoires. Mais pas de quoi souiller la sincérité de la prestation de Margot Robbie. Barbie barbante dans un bel exercice d’autosatisfaction pseudomalin, qui expose toutes ses bonnes idées en 10 minutes avant de tourner en rond, avec une overdose de clins d’oeil vides !

On sent d’ailleurs l’envie profonde du film de recouvrir tout le spectre de ces problématiques sociales et sociétales. Même si ce trop-plein s’accorde aisément avec le rose du monde de Barbie, le récit mené tambour battant dérive en cours de route et laisse sur le bas-côté certaines de ses meilleures idées. Il est dommage que la réalisatrice n’aille pas plus loin avec ces sentiments en quête de mots, alors que de nombreux personnages secondaires restent sous-développés. C’est le cas par exemple du duo prometteur mère-fille qui est censé aider l’héroïne dans sa quête initiatique.

Néanmoins, Barbie n’est pas une simple relecture féministe de la célèbre poupée, puisque les deux coscénaristes de l’oeuvre, Greta Gerwig et Noah Baumbach, ont créé un scénario dans lequel cohabitent deux mondes : celui des Barbie et le vrai monde, tout en partant du principe selon lequel Barbie est féministe, puisqu’elle vit dans un monde matriarcal qu’elle a construit à son image et selon ses désirs.

Les Ken, eux, n’existent que pour le regard et la considération des Barbie et exercent tous le même métier obscur, « the beach » (la plage), qui consiste à être sur la plage mais sans la surveiller. En plaçant Barbie et Ken dans le monde réel, le film soulève des questions sur le féminisme et l’objectification.

Un casting sans fausse note

La guerre des sexes à laquelle se livreront les Barbie et les Ken sera homérique. Outre les scènes où le clan des Barbie tire profit de la vanité des rivaux de Ken, les multiples références à la culture populaire et les surprenantes apparitions de certains personnages, la réalisatrice réserve au public une véritable scène d’anthologie !

L’affiche du film met d’ailleurs en exergue l’opposition entre Barbie qui « peut tout faire » (She’s everything) et Ken qui se contente d’être lui-même, sans avoir d’activité particulière. La version française ajoute une critique ironique du rôle d’hommeobjet de Ken en traduisant le slogan associé à Ken par « Il est juste Ken » (He’s just Ken). Côté performance : tout ce que représente Barbie dans ce long métrage est impeccablement rendu grâce au jeu de Margot Robbie. L’Australienne crève l’écran avec une performance qui capture à la fois la naïveté candide et l’intelligence de Barbie, permettant au public de voir un côté de Barbie rarement exploré. Surtout, elle rend très charmante cette Barbie, aussi complexe qu’elle est en apparence superficielle, et défère finalement une grande sensibilité à son personnage de plastique.

Au travers de son regard, Greta Gerwig brosse un portrait intelligent du féminisme, de l’objectification des femmes et des pressions continues qui pèsent sur elles aujourd’hui, alors même que le combat pour l’égalité prend de l’opulence.

Ryan Gosling, qui joue Ken, apporte également une touche unique au film. Son personnage, souvent négligé dans l’univers de Barbie, est présenté comme une figure beaucoup plus nuancée et intéressante que celle de simple « Toy Boy ».

La musique occupe d’ailleurs une grande place dans le film Barbie, qui prend souvent des airs de comédie musicale. Dua Lipa joue une Barbie sirène dans le film, mais elle a aussi enregistré le morceau piquant, Dance the Night. Ce mini-tube accompagne une scène de fête dans la maison de Barbie. Le reste de la BO demeure aussi explosif, offrant une relecture du hit Barbie Girl (1997) d’Aqua avec, comme surprise, l’acteur Ryan Gosling au chant et à la guitare.

Le film reste nettement plus que l’histoire d’une simple poupée en plastique. Il essaye de présenter cette icône sous un nouveau jour, se veut être un symbole de la lutte pour l’identité et l’autonomie de la femme, mais d’une manière qui ne cesse de susciter polémiques et divergences d’opinions. Car sur la toile, plusieurs spectateurs égyptiens partagent leurs avis, après avoir assisté à la projection. Certains en font une plaidoirie en faveur des femmes, haute en couleur, alors que d’autres trouvent que le jeu n’en vaut pas la chandelle. Les commentaires se poursuivent, plus d’une semaine après la sortie du film au Caire, loin de faire l’unanimité.

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