Something old, Something New, Something Borrowed, Something Blue (quelque chose de vieux, quelque chose de neuf, quelque chose d’emprunté, quelque chose de bleu) est le titre d’une exposition collective, qui se tient actuellement à la galerie Machrabiya et qui regroupe les oeuvres de 29 artistes parmi les plus fidèles à la galerie. Entre des oeuvres anciennes et nouvelles, d’autres empruntées à la grande collection privée de Machrabiya, ainsi que des oeuvres inédites, l’exposition est travaillée en série. Avec une approche visuelle spectaculaire, Machrabiya narre sa longue histoire d’art contemporain de 30 ans. « Le titre de l’exposition remonte au XIXe siècle, à la période victorienne. Il s’inspire de l’une des traditions de la mariée le jour du mariage, pendant lequel elle emporte avec elle ces quatre objets : un vieux, un nouveau, un emprunté et un de couleur bleue. Ce sont les quatre éléments essentiels de la réussite d’un mariage. Il en est de même pour Machrabiya qui représente des liens avec son passé, son avenir et son bonheur. Voici à l’exposition quelque chose de vieux qui te ramène au passé. Quelque chose de neuf qui donne de l’espoir en l’avenir. Quelque chose d’emprunté qui nous prête de la bonne chance. Et quelque chose de bleu, une couleur considérée comme étant la source du bonheur et de la prospérité des futurs mariés, le bleu est synonyme d’une perspective futuriste », explique Stéphania Angarano, propriétaire de la galerie Machrabiya et curatrice de cette exposition. Et d’ajouter : « A ces derniers, l’exposition ajoute l’émouvant et le spécial. Il est temps de revivifier les années 1990, cette période de grande effervescence artistique vécue à Machrabiya et pendant laquelle les artistes étaient beaucoup plus contemporains, au niveau de l’expérimentation avec la matière et de la production de nouvelles techniques picturales ».
A la tête d’une sélection significative des oeuvres présentées, vient le pop art de Hani Rached. « Avec un style particulier, Rached a beaucoup expérimenté avec la matière en utilisant de nouvelles techniques : peinture collage, monoprint, sculpture en bois, en plastique, en gypse … », expose Angarano. Elle ajoute que « ses anciennes peintures colorées, joyeuses et enfantines, que j’avais choisies pour cette exposition, ont permis à l’artiste d’échapper au sentiment de culpabilité à l’égard de sa soeur de 11 mois, morte entre ses mains à l’hôpital, il y a 30 ans ». Six peintures mixed media de Rached accentuent sa réflexion sur ses origines, son deuil ... Ses figures, qui ressemblent à des fantômes d’un passé lointain, montent à cheval et galopent dans les champs entourées d’anges gardiens.
Oum Kalsoum est la pièce iconique choisie pour l’Italien Qarm Qart. Il s’agit d’un collage de perles sur photos. Cette oeuvre à valeur historique a été exposée en 2008 à l’Institut du Monde Arabe (IMA) à Paris, en hommage à la diva égyptienne.
Pour l’artiste italien Marco Magrini (1945- 2021), la galerie montre une peinture de sa dernière série Happy Islands. « Cette série reflète le séjour de Magrini en Egypte, avec ses contrastes entre le rouge et l’orange, le noir et le bleu, tout comme le jour et la nuit », décrit Angarano. Dans un style pop art, la peinture de Magrini accentue des motifs pharaoniques et religieux (cartouche énigmatique, dieux, déesses …).
Conjointement à Magrini, la peinture de l’artiste espagnol Xavier Pugmarti fait partie de sa série Les souvenirs ne sont pas à vendre, exposée à Machrabiya en 2017. Pugmarti a recours à la diptyque (peinture composée de deux volets pouvant se refermer l’un sur l’autre).Voici de petites figures de femmes iconiques qui travaillent, jouent et transportent des objets du quotidien. La peinture nous rappelle la technique des bas-reliefs employés par les Anciens Egyptiens dans leurs tombeaux. Des bas-reliefs que Pugmarti crayonne sur papier calque et papier carbone.
Oeuvre de Hani Rached.
Artistes d’un temps révolu et fantasmé
Possédant une énorme collection du grand Adel Al-Siwi, Machrabiya dévoile ses deux oeuvres inédites : Tête d’une princesse (2007) et Le Chien rouge (2019) de sa série In The Presence of The Animal (en présence de l’animal). L’animal est un thème récurrent chez le peintre depuis 1980. Son chien rouge est une créature iconographique, silencieuse et hiératique, mi-animale mi-humaine en caleçon.
Deux oeuvres de la série intitulée Sérendipité d’Ibrahim Al-Haddad sont exposées. Elles décrivent des rencontres joyeuses, mais inattendues entre des personnages et des animaux (singes, poissons …). « Haddad jouit de l’art de découvrir, d’inventer et de créer, ce à quoi on ne s’attend pas », explique Angarano.
Pour l’Alexandrin Amr Heiba, la galerie a sélectionné une pièce datant de 1990 et 3 autres oeuvres datant de 2013. « Amr Heiba est un peintre authentique, totalement dévoué à la peinture », assure Angarano. Ses peintures sont obsessionnelles et métaphoriques, saturées de motifs répétitifs, de figures humaines et d’éléments de la culture populaire. Elles obéissent à un coup de pinceau rigoureusement travaillé sur un fond informel, nuancé, doux et poétique. Heiba accentue le jeu de contrastes entre le confort et l’inconfort, le mieux et le pire, le mouvement et le calme, la solitude et le chaos, les actes et les émotions.
Dans ses deux peintures de vases, Hicham Al-Zeini use du sable sur canevas et des rouleaux de tissus transformés par les agents atmosphériques, la poussière et les taches de saleté. Et ce, avant de peindre là-dessus. C’est la manière d’Al-Zeini de refléter l’effet du temps sur son oeuvre. C’est émouvant avec ces couleurs ocre et gris mélangées. Une oeuvre travaillée sur papier révèle aussi l’art rigoureux de Hazem Al-Mestekawi. Le papier est un matériau cher à Mestekawi. Il rend ce matériau, à structure poreuse et mince, dure et incassable. « A mon avis, le travail en noir et blanc, aux formes architectoniques, très sophistiquées, minimalistes et raffinées d’Al-Mestekawi trouve une grande difficulté à être compris en Egypte », estime Angarano.
Chameau de Said Kamel.
Retouche et recyclage
Travailler sur du papier recyclé et des photos retouchées avec du dessin, du collage, de l’encre de chine et de la peinture oxyde à effet poussiéreux né de pigments naturels aux couleurs ocre et grise, c’est ce qui enchante Amr El- Kafrawy, préoccupé par la ville cairote et ses bidonvilles. Les immeubles irréguliers et choquants évoquent un certain rapport à la mémoire collective et cachent derrière eux une silhouette. « L’art de Kafrawy simule les décombres d’un présent vague et confus. Un présent qui garde d’un passé nostalgique quelque chose de beau, de poétique, de doux et d’esthétique », estime Angarano.
Retouches de photos à texture ancienne, c’est ce que partage également Sami Elias. « Le flou et les taches qui dominent ses tableaux favorisent le surgissement de formes évanescentes, susceptibles d’être interprétées comme spectrales », dit-elle. Les sculptures en métal de Mazen Ismail, accentuant un immense oiseau en fer, et celles de Said Kamel, avec son chameau recyclé, redonnent une deuxième vie aux objets de rebut ou métaux à jeter en les transformant en chefs-d’oeuvre.
Nouveauté et audace
Parmi les plus récentes découvertes artistiques étonnantes et exceptionnelles de la galerie, les créations des jeunes artistes Essam Alaa, Rawan Abbas, Ahmed Sabri, Marwa Saad et Ahmed Lessi. « Ils font partie de la jeune génération qui se détache du panorama artistique ambiant » accentue Angarano. Les figures humaines pendues, écrasées et mélangées dans la foule de Essam Alaa sont travaillées dans des contextes absurdes donnant impression qu’elles sortent d’un cauchemar. Pour Ahmed Sabri et Marwa Saad, il s’agit d’un art surréaliste. Leurs mondes sont animés de créatures légendaires, extravagantes et thérianthropes. Quant à Rawan Abbas, elle nous partage une sculpture bizarre et érotique. Voici des cornes qui sortent du mur. Voici un nez d’éléphant … « L’art de Rawan, riche en matières (couleurs et textiles à touches de velours), est sujet à de nombreuses interprétations », affirme Angarano, en invitant le public à une exposition exceptionnelle l
Jusqu’à fin juillet, et du 1er au 10 septembre, de 11h à 20h (sauf le vendredi) à la galerie Machrabiya. 15, rue Mahmoud Bassiouni, centre-ville (la galerie ferme ses portes au mois d’août).
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