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L’art soudanais sur fond de crise

May Sélim, Samedi, 22 juillet 2023

Organisé par l’Institut Français d’Egypte (IFE) à Mounira, Ici le Soudan est un événement artistique et culturel qui accueille des artistes soudanais et lance différents projets de coopération entre ces derniers et leurs homologues égyptiens. Focus.

L’art soudanais sur fond de crise
Nyerkuk.

Les locaux de l’Institut Français d’Egypte (IFE) à Mounira ont connu une ambiance chaleureuse la semaine dernière. Pendant deux jours, ils ont accueilli une foule de Soudanais à l’occasion de la manifestation artistique et culturelle Ici le Soudan. En réponse à l’actualité au Soudan et aux nombreux déplacements de population, notamment des artistes qui fuient vers l’Egypte, l’IFE a ouvert ses portes pour recevoir les artistes installés au Caire, leur offrant l’espace physique et moral pour s’exprimer et partager leur expérience. C’est un acte d’accueil et de bienveillance envers tous ceux qui ont été contraints de quitter leur pays et souhaitent se connecter avec leurs homologues égyptiens.

A l’entrée de l’IFE de Mounira, les oeuvres de trois jeunes artistes soudanais accueillent le visiteur. Il s’agit d’une exposition regroupant les peintures de Khaled Abdelrahman et Dalia Basheer et les photos de Faiz Abubakr. Organisée par Rahiem Shadad, directeur de la galerie Townhouse au Soudan, cette exposition révèle l’impact de la guerre sur les Soudanais et les artistes eux-mêmes. Dans ses photos, qui font partie de son projet de documentation intitulé « Pertes collatérales », le photojournaliste Faiz Abubakr documente les changements au Soudan depuis 2018. Il présente une installation de photos qui montre un jeune homme blessé par une balle durant la guerre par erreur. Les photos, réparties dans un ordre particulier, évoquent les barreaux d’une prison. Dalia Basheer, dans ses tableaux, peint des visages d’hommes et de femmes dont les traits se ressemblent. Des visages tristes qui suggèrent une peine collective. Quant aux peintures de Khaled Abdelrahman, elles montrent des maisons de Khartoum désertées et qui sont exposées au vol après la fuite des Soudanais en exil.

Une sélection exceptionnelle de courts métrages produits par de jeunes talentueux dévoile un cinéma soudanais, indépendant et courageux qui a percé depuis 2016. Les créations de ces jeunes cinéastes soudanais prévoyaient un changement certain dans le pays.

Le documentaire Voyage au Kenya (2021) de Brahim Ahmad Snoopy retrace le voyage, par route, d’une équipe soudanaise de Jujitsu au Kenya dans une mini-fourgonnette pour participer à une compétition sportive à Nairobi. L’équipe traverse trois pays sans argent, ni nourriture. L’oeuvre est inspirée de la révolution soudanaise de 2019 avec la volonté de dédier quelque chose aux martyrs de cette révolution.

Mara (2018), signé par le réalisateur Mohamed Khalil, est un court métrage qui relate l’histoire d’une jeune fille qui souffre de la violence de sa famille. Elle voit dans un mariage arrangé l’espoir de fuir sa famille et un pas vers l’indépendance et la liberté. Son histoire nous rappelle aussi l’histoire de son pays.


Les musiciens soudanais et égyptiens font danser le public.

Iman (foi, 2017), réalisé par Mia Bittar, est un court métrage basé sur des faits réels. Quatre Soudanais — dans des circonstances différentes et pour des raisons différentes — sont poussés vers l’extrémisme.

Nyerkuk (2016), de Mohamed Kordofani, évoque l’histoire d’Adam, 12 ans, qui devient un sans-abri après la destruction de son village lors d’un raid aérien. Il est obligé de travailler comme cambrioleur sous les menaces du voyou Mazda. Des films alarmants qui dénoncent la situation sociopolitique dans le pays et qui appellent au changement.

Des projets de narration

« Nous voulons soutenir les jeunes artistes soudanais. Nous cherchons à collecter leurs témoignages et nous les incitons à faire part de leur expérience », souligne Ragnhild EK, présidente du Global Media and Film Institute (GMFI), cinéaste et experte en communication, spécialisée dans la narration documentaire et humanitaire. Avec GMFI, et en coopération avec d’autres institutions, la plateforme de témoignage Voices 4 Sudan est créée avec comme slogan « Sans histoires, il n’y a pas d’histoire ». Les témoignages des artistes soudanais sont utilisés comme des noyaux à d’autres projets artistiques à l’avenir. « Les histoires narratives ne se limitent pas à un genre artistique particulier. On parle des films, des arts plastiques, de la musique … », lance Ragnhild EK qui a modéré une table ronde autour des industries créatives et du pouvoir de la narration dans les zones en conflit. « Les industries créatives peuvent donner une vision de ce qui se passe. C’est un moyen de sensibilisation nécessaire. La table ronde a également abordé la construction de ponts avec les industries créatives dans des pays hôtes comme l’Egypte », souligne-t-elle. Le cinéaste soudanais Yasir Faiz a participé à cette table ronde et a parlé de l’importance du documentaire et de son objectif en temps de guerre. Il a expliqué son choix de dénoncer la guerre et la violence sans faire paraître des séquences agressives ou violentes. Son nouveau court métrage Bougainvillea sortira prochainement et participera à différents festivals de cinéma. Le photojournaliste Faiz Abubakr a expliqué le rôle des photos dans la situation actuelle au Soudan. L’Egyptienne Mary Adib, de GEMINI AFRICA, s’est exprimée sur l’entrepreneuriat social et créatif. Quant à la speakerine de radio soudanaise Rawan Alzain, elle a souligné le pouvoir de la musique et du chant pour traduire les idées des jeunes pendant et après la révolution.


Visages soudanais tristes par Dalia Basheer.

La musique et le chant ont clôturé deux jours d’activités. Mais cette fois-ci, la coopération entre les artistes soudanais et égyptiens était de mise. Les musiciens sur les planches jouaient ensemble. Le guitariste soudanais Hassan Mubarak a salué le public et a dit : « Ces musiciens égyptiens nous ont bien accueillis. Allons-y, jouons pour le Soudan et prions pour le Soudan ». Sa musique est porteuse de l’identité de son pays, gaie et triste à la fois. Mubarak est accueilli par d’autres musiciens soudanais et égyptiens. Avec la musique, l’agitation a atteint son apogée. Le public bougeait et les personnes, qui ne trouvaient pas de place, ont dansé librement pendant les deux heures du concert.

Ensuite, la voix merveilleuse de la jeune Sall a ensorcelé le public. Sall a chanté en anglais, transmettant des émotions assez vives à ses compatriotes et à son pays. Avec son interprétation, des youyous soudanais ont été lancés dans la salle. Et les mots « Nous sommes fiers de toi jeune fille » lui ont donné beaucoup d’énergie sur les planches.

L’Egyptien d’origine nubienne Adel Mikha a, lui, interprété des chansons rythmées qui puisent dans le folklore nubien répandu en Egypte et au Soudan. Il a chanté en dialecte nubien enflammant la scène et donnant lieu aux applaudissements du public. Une quinzaine d’artistes soudanais ont partagé les planches avec des artistes égyptiens. Le concert a témoigné aussi d’une coopération continue entre ces musiciens. Malgré la guerre, l’exil et la tristesse, les artistes soudanais veulent s’exprimer à haute voix et défendre leur pays jusqu’au bout.

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