Al-Ahram Hebdo : Vous avez manqué deux opportunités que vous regrettez beaucoup, celles de collaborer avec les monstres sacrés du cinéma africain, Abderrahamane Sissako et Haile Gerima. Racontez-nous ...
Pedro Pimenta : Je suis très marqué par deux projets qui n’ont pas abouti avec Djibril Diop Mambety et Med Hondo. J’ai fait beaucoup de déplacements entre le Zimbabwe, le Mozambique et plein d’autres pays, et à la fin je n’ai pas pu concrétiser ces deux projets de films pour des raisons multiples.
— Qu’est-ce qui vous incite à produire pour tel ou tel réalisateur ?
— J’ai beaucoup de défauts, mais deux qualités. Je sais être à l’écoute et aussi je suis très patient. On peut comparer les rapports producteur-réalisateur aux rapports au sein d’un couple dans la mesure où il y a énormément de tension et de situations qu’il faut savoir gérer. La tension créative est compliquée à gérer. Le producteur doit faire l’effort d’intervenir, d’influencer et de proposer, même si le réalisateur campe sur sa position. On doit savoir comment introduire notre vision qui parfois sera adoptée par le réalisateur en clamant que c’est sa propre idée. Comme je n’ai pas d’ego, ceci ne me dérange guère. Mais je reste ferme et rigoureux dans mon travail. Pour répondre de manière directe à la question, j’aime accompagner les cinéastes les moins connus, ceux qui me donnent l’envie de travailler avec eux, qui ont quelque chose d’intéressant à raconter. Très souvent j’investis mon temps et mon énergie sur des scénarios, en donnant mon avis et en aidant les jeunes à mieux trouver leur chemin.
— On voit bien que vous êtes dévoué à ce que vous faites, vous vous y donnez corps et âme …
— Mon vrai moteur est la passion. J’ai grandi en regardant les films de Youssef Chahine et d’Ousmane Sembène, c’est leur cinéma qui m’a donné envie de faire du cinéma. Au début, il y a 30 ans, j’étais très enthousiaste et motivé. Chaque film était un rêve, une aventure, une envie. Avec le temps, je ressens un peu la monotonie et j’ai de moins en moins de motivation. Aujourd’hui, je n’ai plus envie de produire.
— Quand et pourquoi la monotonie s’est-elle installée ?
— Vous savez, avec la révolution technologique, tout le monde est devenu réalisateur, tout le monde fait des films sans se soucier ni de l’esthétique, ni de la structure, ni de l’écriture. Il suffit d’avoir une caméra et un ordinateur, des images et du son, et on croit que la technologie peut remplacer tout le reste. Autrefois, on s’asseyait à deux tables : la préparation et le montage. L’industrie a été prise d’assaut par les avocats et les comptables. Le producteur passe aujourd’hui plus de temps avec ces derniers qu’avec le réalisateur. Les échanges humains ont diminué.
Maintenant je voudrais me consacrer à la formation des jeunes. Leur transmettre mon savoir et mon expérience. C’est d’ailleurs ce que je fais depuis quelque temps à Ouaga Lab et à Dakar pour les courts métrages.
— Vous avez été producteur durant quasiment toute votre vie. Avez-vous été confronté à la censure ?
— La censure est anachronique à cause d’Internet. Je voudrais vous dire qu’en 2016, on a projeté sans problème le film La Noire de…, d’Ousmane Sembène (ndlr : produit en 1966, évoquant le suicide d’une femme de ménage africaine, en France, le film était parfois accusé de racisme). Le plus grave est l’autocensure que pratiquent certains cinéastes, afin de plaire à leur régime ou accéder plus vite à la célébrité. La censure existe malheureusement dans certains pays et c’est dommage pour la liberté d’expression cinématographique.
— Souvent on a tendance à parler du cinéma africain comme étant un. Comment voyez-vous ce genre de généralisation ?
— C’est l’esprit colonial. Quand nous parlons du cinéma arabe, on fait tout de suite la différence entre cinéma égyptien et cinéma marocain ou tunisien, etc. L’esprit colonial voyait l’Afrique comme un ensemble de personnes ayant la même couleur de peau et qui peuvent partager parfois les mêmes langues nationales. Mais la réalité est qu’il y a 54 Etats sur le continent et chacun d’entre eux a sa propre culture, ses propres traditions qui ne sont pas forcément identiques. La diversité fait de l’Afrique une terre riche en culture et en art.
Dans cet esprit, il fallait séparer le nord du reste de l’Afrique, c’est-à-dire de l’Afrique subsaharienne.
Bio express
Le producteur mozambicain Pedro Pimenta a débuté sa carrière cinématographique à l’Institut national du film du Mozambique en 1977. Il a produit et coproduit de nombreux documentaires, ainsi que des courts et longs métrages, en Afrique comme ailleurs. Entre 1997 et 2003, il a été le principal conseiller technique du projet de formation au cinéma et à la vidéo de l’Unesco au Zimbabwe pour l’Afrique australe à Harare. Il est l’un des fondateurs d’AVEA, un programme annuel de formation professionnelle au profit des producteurs d’Afrique australe. Il est également le fondateur du festival DOCKANEMA sur les documentaires et a été directeur du Festival du film de Durban en 2015. Il est l’un des mentors à Ouaga Film Lab.
Il a à son actif des centaines de films dont Fools, de Ramadan Suleman (1997), Africa Dreaming, de João Ribeiro (1997), Teza, de Haile Gerima (2008), et son dernier opus La Colline Parfumée, d’Abderrahamane Sissako (2022).
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