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Cairo Photo Week : La photo, domaine d’expérimentation

Lamiaa Alsadaty , Jeudi, 16 février 2023

La 3e édition du Festival de la photographie (Cairo Photo Week) a été lancée cette semaine par Photopia. Intitulée Back to Raw, cette édition cherche à remettre Le Caire sur la carte internationale des grands festivals de photos. Tournée.

Cairo Photo Week : La photo, domaine d’expérimentation
Kritsiopi Panayiota, par Konstantinos Tsakalidis.

A l’instar du Paris Photo Week et du Milan Photo Week, le Cairo Photo Week est devenu une occasion pour attirer et rassembler la communauté photographique non seulement en Egypte, mais aussi au Moyen-Orient et en Afrique. Ainsi, le public a rendez-vous avec 14 expositions allant de la photographie documentaire à la photographie de la mode et de la nourriture, en passant par le photojournalisme.

Plus de 64 000 photographies

Pour cette 3e édition, en coopération avec l’ambassade des Pays-Bas au Caire, Photopia accueille l’équipe de World Press Photo (WPP) 2022. Jusqu’au 28 février, le public aura l’occasion de visiter l’exposition de la WPP, en tournée mondiale. Pour assurer une vraie représentativité internationale et pour permettre une évaluation plus juste et plus proche des problématiques locales, le 65e Concours mondial de photos de presse a prévu, à partir de cette année, 6 jurys. Un pour chaque région. Les lauréats ont été choisis par un jury indépendant qui a examiné plus de 64 820 photographies saisies par 4 066 photographes de 130 pays. 24 photographes lauréats ont été sélectionnés de 23 pays.


Bike Families, de May Hussain.

Parmi les lauréats, Sodiq Adelakun Adekola, qui a présenté la photo d’une femme pleurant l’enlèvement de ses deux filles au Nigeria. Un portrait qui témoigne du traumatisme vécu par les mamans dans ce pays où les filles sont enlevées pendant qu’elles se rendent à l’école.

Konstantinos Tsakalidis a remporté le prix de la WPP pour la photo d’une femme de 81 ans réagissant à un feu de forêt qui s’approche de sa maison dans le village de Gouves, sur l’île grecque d’Evia, le 8 août 2021. Après une longue vague de chaleur, qui était en fait la plus torride que la Grèce ait jamais connue en 30 ans. Des milliers de résidents ont été évacués par bateaux après que les feux de forêt avaient englouti la deuxième plus grande île de la Grèce.

La photographe égyptienne Rehab Eldalil remporte le prix WPP dans la catégorie format libre. Rehab Eldalil retrouve ses racines et revient à la communauté bédouine de Sainte-Catherine, au Sud-Sinaï, en Egypte. Dans son projet The Longing of The Stranger Whose Path Has Been Broken (le désir de l’étranger dont le chemin a été brisé), elle examine l’idée d’appartenance et d’attachement entre les gens et la terre. Si les membres de la communauté bédouine ont toujours été victimes de stéréotypes dans la société égyptienne, dans le travail d’Eldalil, ils participent au processus de création et font entendre leurs voix. Elle associe leurs broderies, leurs poésies et leurs récits à son travail photographique pour aborder la question de l’injustice sociale. Le résultat final est une collection de photographies. Eldalil espère ainsi construire un pont entre la communauté bédouine et les auditoires occidentaux. Ces derniers ont longtemps vu les bédouins et de nombreuses autres communautés autochtones dans une optique de fétichisation. « Je considère mon travail comme des documents historiques alternatifs tissés par la voix de la communauté. Je me réjouis de la complexité d’une identité au lieu de la réduire à des étiquettes », souligne-t-elle.


All Things That Have Meaning. Own The Short Age, de Noureddine Ait Mouden.

Un nouvel esthétisme à déchiffrer

Avec chaque projet photographique, il y a de nouvelles choses à dévoiler. Avec chaque angle, et chaque focus, il y a un élément à analyser. Par ailleurs, le dénominateur commun de plusieurs expositions de photos organisées durant cette semaine de la photo est l’absence d’images stéréotypées de corps humains. Le corps humain est un sujet plutôt qu’un objet. Et la question majeure devient le rapport qui le lie à son environnement.

La galerie Cocoon, située 26, rue Chérif, accueille l’exposition Conversations With the Women of Cairo (conversations avec les femmes du Caire). Il s’agit de 14 photographes de femmes explorant, via leurs photos, leurs visions du monde. Nada Judi et Fatima Hesham exposent différemment la femme.

Alors que Fatima prend en photo une main qui semble noyée dans l’eau, Nada Judi prend en photo une fille debout entre une rue et un cimetière dans un village cairote, ou assise dans un jardin. La première donnant une impression macabre, la deuxième plutôt réaliste.

A quelques pas, au 6, rue Al-Nabarawi, The Factory regroupe May Hussain et Nathalie Guironnet. Avec une prise de vue à la hauteur de l’oeil, Hussain expose à travers une série de photos sous l’intitulé Bike Families (familles de motos) des groupes de personnes sur des motos. Les personnes occupent la plus grande partie de l’image. Elles sont identifiables et leur relation avec l’environnement reste prépondérante. Guironnet, quant à elle, prend en photo les petites voitures décorées dont les coffres servent de cafés ambulants très à la mode ces jours-ci dans les rues cairotes. Le corps est présent implicitement à travers les décorations et le nouveau mode de consommation.


Photo d’une bédouine brodée, par Rehab Eldalil.

Dans la galerie d’à côté se tient l’exposition « Sard » (narration). Tarek Wajeh traite le religieux à travers le mausolée d’Aboul-Hassan Al-Chazli, situé dans la vallée d’Homaythara dans le désert oriental, et les fidèles qui lui rendent visite. La prise de vue plongeante donne une impression de solitude et de détresse. On a l’impression que le photographe domine en quelque sorte le sujet.

 Le religieux est aussi présent dans les photos de Hassan Emad Hassan. Il expose des photos du mausolée de Sidi Al-Arbaïne à Suez. Le cadrage accentue les perspectives et met en relief le sujet qui est ici les fidèles et le mausolée.

Le rapport entre l’homme et la ville est merveilleusement souligné à travers les photos du Soudanais Hassan Kamil. Sous l’intitulé Récits d’une ville oubliée, il prend en photo des portes et des murs de Berber. Capitale de la région nord au Soudan, cette ville était un centre commercial important liant l’ouest du Soudan à la mer Rouge. Mais faute d’une bonne planification urbaine, la ville a été abandonnée par ses habitants. Un Soudanais marchant dans une tempête de sable, des maisons en terre cuite, une femme en costume soudanais … tous sont là, mais on ne voit pas les détails de leurs visages. Le corps est donc pris dans sa totalité et mis en rapport avec son environnement.


Aminah Labaran, par Sodiq Adelakun Adekola.

L’Algérienne Cléa Rekhou souligne le rapport entre l’identité algérienne et la tension post-coloniale à travers des photos de 3 bâtiments construits par les Français et transformant le territoire d’Alger en un laboratoire architectural. Ainsi, Rekhou expose sous différents angles le climat-de-France fondé en 1957, Diar Es-Saada en 1953 et Diar El Mahçoul entre 1953-1955.

Le culinaire est présent également avec sa dimension socioculturelle. D’ailleurs, les photos de nourriture exposées dans The Factory sous l’intitulé When We Eat ne visent ni à stimuler l’appétit, ni à inspirer de nouveaux repas. Il s’agit plutôt de mettre l’Homme en rapport avec son environnement. Ainsi, Sherine Shoukry expose à travers une série de photos, prise en 2016, un marché de poissons japonais : Tsukiji Fish Market. De gros poissons sont pris sous différents angles. Ahmad Hayman, quant à lui, présente à travers une série de photos, prise au Caire en 2014, une centaine d’Egyptiens profitant de leur iftar pendant le mois du Ramadan. Le gros plan et la prise de vue plongeante accentuent les surfaces horizontales et mettent en valeur le décor constitué de tables colorées avec différents plats et des hommes assis.


Photo de Fatima Hesham.


Self control de Youssef Alaouad.​

Le rapport esthétique homme-objet est présent aussi dans l’exposition Borderless organisée au cinéma Radio. Les oeuvres de deux photographes marocains, Youssef Alaouad et Noureddine Ait Mouden, ne passent pas inaperçues. Ayant recours à un gros plan, ce dernier met en valeur un enfant dont une partie du visage est cachée par un bouquet de fleurs. Le décor est inexistant et le bleu constitue l’arrière-plan de la photo animée par des couleurs harmonieuses. Alaouad, quant à lui, se sert d’un plan rapproché. On ne voit qu’un homme debout coupé à la taille avec une cage sur la tête, et son ombre est reflétée sur un mur, ainsi que l’ombre d’un oiseau. Une photo prise en 2020 pendant le confinement. « J’y traite le problème du contrôle de soi et la façon de vivre avec nos émotions et nos idées qui mènent à une plus grande confiance et à un comportement plus productif », souligne-t-il. Représentation de la réalité ou construction arbitraire, la photographie est avant tout une production d’un esthétisme à décrypter.

WPP 2022 au cinéma Radio, rue Talaat Harb, jusqu’au 28 février.

Toutes les autres expositions de Cairo Photo Week, au cinéma Radio et à ses alentours, au centre-ville cairote, jusqu’au 18 février. (A part Impressions à l’IFE à Mounira, jusqu’au 4 mars, et Misr à Tintera Art à Zamalek, jusqu’au 25 février).

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