Douze plasticiens venus de par le monde entretiennent un dialogue d’intemporalité avec les monuments emblématiques des pyramides de Guiza. Et ce, dans le cadre de la deuxième édition de l’événement international Forever is Now, organisé par la société Art d’Egypte, qui se déroule jusqu’au 30 novembre.
A partir d’une combinaison de matériaux naturels et industriels, ils évoquent le passé, l’interaction entre l’Homme et la nature, la technologie, etc. Le tout est emporté par le sable du désert de Guiza.
Riche en oeuvres spectaculaires, aménagées en perspective cavalière conservant le parallélisme et l’alignement avec les pyramides, la visite de Forever is Now commence par l’installation de l’artiste émiratie Zeinab Al-Hashemi. Celle-ci est éprise de figures géométriques et organiques arabes. Respectant le nombre d’or (la divine proportion) et le nombre « Pi » (rapport entre deux longueurs dans la géométrie sacrée des pyramides), l’installation d’Al-Hashemi, intitulée Camouflage 1.618 : L’obélisque inachevé, prend la forme d’un pyramidion, ou encore d’un obélisque dont le piédestal quadrangulaire assure l’équilibre de l’ensemble. L’obélisque d’Al-Hashemi est divisé en deux parties. Sa moitié inférieure est ensevelie dans des peaux de chameaux, symbole de la protection, de la régulation de température … Quant à sa partie supérieure, elle est formée de fins treillis métalliques à l’état brut. La verticalité dans l’installation représente l’âme qui s’élève vers le ciel après la mort.
L’Esprit d’Hathor de Natalie Clark. (Photo : Névine Lameï)
C’est une invitation à voyager dans un monde de contrastes, délicatement équilibré, celui du dur et épais de la peau de chameau et le lisse du métal... « Camouflage est un jeu de mots entre chameau et camouflage, inspiré par les caravanes de chameaux qui traversaient les grandes dunes du Sahara. Mon obélisque inachevé, en symbole du dieu solaire Râ, est proche dans sa forme des tas de bâtiments à moitié construits et des squelettes décapités sur le chantier du futur. Une construction qui se tient quand même au sol où elle est née, faisant face à tous les aspects de la modernité », explique Al-Hashemi.
Le disque solaire en marbre blanc, serré à l’intérieur de deux cornes imbriquées en acier teinté de couleur marron et dont les courbes sensuelles atteignent les cieux ou le divin, est fort présent dans l’installation de la sculpteuse anglo-américaine Natalie Clark.
Les Secrets du temps d’eL Seed.
Son oeuvre tridimensionnelle et polyèdre, installée à quelques pas de celle d’Al-Hashemi, s’intitule L’Esprit d’Hathor. L’acier qu’utilise Clark, en symbole de masculinité et d’audace, est en équilibre avec la déesse Hathor (représentée par le disque solaire). L’installation de Clark mêle design moderne et styles ethnographiques, formes organiques et géométrie sacrée, faisant écho aux pyramides. « Mon installation incarne le pouvoir de la déesse Hathor. Elle incarne tout ce qui est universellement féminin: la beauté, l’amour, la fertilité, la protection, la musique, la danse et le plaisir. Hathor, la contrepartie du dieu soleil Râ, du dieu ciel Horus, et la mère symbolique des pharaons, est celle qui maintient dans mon art l’ordre et l’harmonie, un équilibre de lumière et d’obscurité », souligne Clark.
Le maître du trompe-l’oeil et le célèbre street artiste français d’origine tunisienne Jean René ou JR est un passionné du collage photographique. Il donne à son immense installation pyramidale de couleur blanche le titre Inside Out Guiza. Aménagée face aux pyramides, l’installation invite les visiteurs à rentrer par sa porte servie de cabines photographiques pour se prendre en photo noir et blanc. Une fois la photo prise, elle sera collée sur une grande pancarte affichée à l’espace extérieur de l’installation, pour être vue par les passants. Après, la photo sera envoyée par courrier électronique à la personne concernée. « Mon installation interactive nous aide à mieux nous connaître, grâce à un jeu de photomaton, de selfie pris au moment, en parallèle avec l’histoire du lieu (les pyramides) », déclare JR.
Une pyramide, avec d’autres éléments de vocabulaire, par Ahmed Karaly.
A quelques mètres de l’oeuvre de JR, les cinq cadrans solaires de la sculpteuse égyptienne Thérèse Antoine s’intitulent Panthéons de divinités. En forme circulaire influencée par la forme de l’obélisque antique (une au centre et quatre au bord du contour, en référence aux directions cardinales), les cinq colonnes verticales, agencées de manière répétitive, représentent cinq divinités de l’Egypte Ancienne, à savoir Râ, Maat, Osiris, Isis et Horus. « Mon installation fait référence au cadran solaire, à cet instrument de mesure immobile et silencieux qui indique le temps solaire. Ce cadran solaire se présente comme une métaphore du lien entre le soleil, la terre et le passage du temps. Il a pour but de créer un environnement interactif, une composition dynamique qui aide à apporter un nouvel équilibre, une nouvelle dimension à l’aménagement de l’espace avec le public », précise Thérèse Antoine.
Des rêves à Guiza, du Camerounais Pascale Marthine Tayou.
Les gardiens de l’Histoire
La tournée nous amène un peu loin vers une visite de l’installation gigantesque du sculpteur égyptien Ahmed Karaly, intitulée Une pyramide dans un autre vocabulaire. Karaly crée quatre pyramides, liées l’une à l’autre, usant d’un fer doré, en signe de la richesse, de la spiritualité et de la continuité. Les quatre pyramides de Karaly reflètent un dialogue, une sorte de fusion entre le présent et le passé du pays. « Depuis mon projet MasrKhanka, ma fascination pour les nombreuses civilisations de l’Egypte me les a fait voir comme une seule entité », avoue Karaly, membre du groupe Mamar (passage), dont la visée est de faire un bond en arrière, de fouiller dans l’histoire de l’Egypte Ancienne, son architecture, sa culture locale. Ce retour aux sources qu’il propose inspire de nouvelles compositions sculpturales à la vision moderne. Voilà tout le charme de l’oeuvre de Karaly.
Ensuite, l’installation très poétique de l’artiste et cinéaste saoudien Mohammed Al-Faraj, intitulée Les Gardiens du vent, utilise des matériaux naturels provenant de la campagne égyptienne. Construite sur un socle en fer recouvert de sable, afin de ne pas altérer le site archéologique (les pyramides), l’installation d’Al-Faraj est créée dans le but de réfléchir sur le lien humain et ses histoires avec la nature et son environnement. Et ce, d’un point de vue local, global et cosmique. Fabriqués à partir de conduits d’eau en acier rouillé, ceux utilisés dans les fermes rurales, les tuyaux de canalisations d’Al-Faraj se transforment dans son installation en un instrument de musique interactif. Il s’agit de tuyaux recouverts de branches de palmiers qui ressemblent à des fossiles futuristes, à des créatures mythiques faisant des sons musicaux une fois que le vent les traverse.
Le visiteur est invité à marcher entre ces tuyaux, à entendre leurs voix, à convoquer une Egypte Antique définie par une agriculture prospère.
Panthéons de divinités de Thérèse Antoine.
Un pont entre deux mondes
L’artiste italien Emilio Ferro se sert de la lumière naturelle du Sahara, du son et du vent chaud qui charrie le sable du désert, pour créer son installation Portail lumineux. On doit alors entrer par la porte rectangulaire en métal noir bien ouverte, franchir le seuil de l’oeuvre, son « unique pont » entre le monde des vivants et des morts. Le seuil de Ferro, laissant traverser un faisceau de lumière, guide les visiteurs dans leur voyage aventureux du monde des ténèbres vers le monde de la lumière et du divin sacré. « Inspirée de deux anciens papyrus, le Livre des Morts et l’Amdouat, mon installation est à la recherche de l’énergie comme source vitale », dévoile Ferro.
Des rêves à Guiza, du Camerounais Pascale Marthine Tayou, est une installation monumentale créée dans une parfaite cohérence entre l’art coloré et exubérant de Tayou et l’histoire majestueuse et intemporelle de l’Egypte. Vingt tubes en acier inoxydable sortent du sable tels des flûtes (anciens témoins des banquets et des fêtes des pharaons) ou encore tels des totems qui sifflent et qui jouent avec le vent. Les vingt tubes sont ornés d’oeufs en bois multicolores. C’est vif et festif, en symbole de bon augure et de renaissance, faisant ainsi appel à la mythologie égyptienne antique où l’oeuf cosmique tenait une place centrale en tant que symbole primordial de naissance et de création, générant le dieu solaire Râ.
Ça brille, ça rayonne
Prenant une forme demi-circulaire, l’installation du Franco-Tunisien eL Seed Les Secrets du temps utilise une calligraphie arabe trempée dans la couleur fuchsia saturée pour diffuser des messages de paix, d’unité et d’abandon. C’est la manière d’eL Seed d’unifier les communautés et d’éliminer les stéréotypes. Le rideau suspendu au milieu de son installation est muni de cordes pendantes en pailles tressées. Une fois bougées, une fois ouvertes, ces cordes inspirées des anciens salons arabes de coiffure cachent derrière elles une vue panoramique des pyramides, de tout un monde de gloire, de mythe et de mystère.
« Je me suis inspiré d’une citation de la romancière égyptienne Radwa Ashour qui dit: Le temps ne révèle pas ses secrets à l’humanité. C’est là que réside la magie des pyramides, qui sont pour moi un symbole visuel de l’éternité et du pouvoir », déclare eL Seed.
L’installation Orbe sous le même soleil de l’artiste espagnol SpY revêt la forme d’une boule gigantesque, incrustée de pièces rondes, permettant d’avoir une belle luminosité. Ça brille, ça rayonne. C’est beau, c’est amusant. C’est unique et séduisant. SpY, considéré comme « l’espion le plus urbain des street artistes en Europe, avec ses graffitis et ses pochoirs », aime engager un dialogue avec son environnement urbain. Dans Forever is Now, SpY puise son inspiration dans l’héritage historique égyptien qui l’entoure et donne à son installation la forme de l’orbe de géométrie sphérique abstraite.
Ce communicateur d’énergie (l’orbe) proche de la fleur de vie, avec son effet 3D, fait aussi allusion au nombre « Pi » dans la géométrie sacrée des pyramides. Il capture sur sa surface les pyramides, le ciel …, offrant une réflexion fragmentée sur le paysage environnant.
Sables vitaux est le titre de l’installation du Syro-Suédois Jwan Yosef. Le Sahara lui est une source de vitalité. Yosef sculpte son autoportrait sur le sable, régi par un moment de colère. Voici son nez, sa bouche et son menton, sculptés comme des vestiges monumentaux, sous la forme de trois blocs gigantesques en pierre calcaire de teinte ivoire. Les trois blocs, sculptés l’un à côté de l’autre à courte distance et formant l’autoportrait de Yosef, se dirigent vers le ciel, regardent l’au-delà, voyagent dans le temps et l’espace, interagissent avec l’histoire du Sahara et s’adaptent au changement climatique de l’environnement où l’autoportrait est installé. « J’invite à un jeu conversationnel d’autoréflexion sur soi, sur l’humanité, sur la nature, sur l’histoire d’un lieu, d’une Egypte d’hier et d’aujourd’hui », déclare Jwan Yosef.
Au Plateau des pyramides de Guiza, jusqu’au 30 novembre. Tous les jours de 8h à 16h. Entrée principale du site, près de l’hôtel Mena House.
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