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L’Amour en exil

Samedi, 29 octobre 2022

Al-Hob fil manfa (L’Amour en exil) est l’un des romans les plus importants de l’écrivain égyptien Bahaa Taher. Nous publions ici un extrait du premier chapitre, Une conférence comme une autre.

Bahaa Taher

Je la désirais d’un désir impuissant, comme la peur de violer un tabou.

Elle était jeune et belle et j’étais vieux, père et divorcé. Je n’avais pas envisagé l’amour et je n’avais rien fait pour exprimer mon désir.

Mais elle me dit plus tard : « Cela sautait aux yeux ».

J’étais un Cairote expulsé de sa ville, vivant l’exil au nord. Elle était comme moi, étrangère dans ce pays, mais Européenne et son passeport lui permettait de faire de l’Europe entière sa ville. Et lorsque nous nous rencontrâmes par hasard dans cette ville x à laquelle j’étais astreint par le travail, nous devînmes amis.

Astreint par le travail ? Quel mensonge ! ... En fait, je n’avais aucun travail. J’étais le correspondant d’un journal du Caire qui n’avait pas d’intérêt à recevoir mes correspondances. Peut-être même préférait-il que je n’envoie rien.

A midi, au moment de la pause du déjeuner qui coupe la longue journée de travail, pour ceux qui travaillent, nous nous installions ensemble. Nous buvions le café, elle me parlait d’elle-même et je lui parlais de moi, et le silence nous rapprochait davantage lorsque nous portions notre regard à travers la vitre du café vers cette montagne rectangulaire et sinueuse, tapie sur l’autre rive du fleuve comme un crocodile à la longue queue.

Mais lorsque je commençai à la désirer, je devins bavard. Je me protégeai derrière un mur de paroles pour ne pas me trahir, des paroles vides se précipitèrent, s’enchaînant distrayantes et successives, comme le cocon d’un ver saisi par la folie de tisser et ne pouvant cesser. Peut-être — et comment le savoir maintenant ? — qu’inconsciemment je tissais avec les mots des filets autour d’elle. Et elle me dévisageait de ses beaux yeux, des yeux qui s’ouvraient tout grand alors qu’elle souriait en me demandant : « D’où viennent toutes ces paroles ? Mon métier à moi, c’est de parler, comment est-il possible que tu me surpasses ? ».

Mais ce midi-là, je ne le pus. Les fils des mots s’éparpillèrent et se déchirèrent. De longs interstices de silence s’installèrent durant lesquels je regardais pensif le fleuve. Elle se pencha sur sa tasse de café vide qu’elle tournait dans la soucoupe, je ne voyais que l’auréole de ses cheveux touffus et son nez saillant et aquilin. Elle releva sa tête subitement, me regardait lorsque je me taisais et disait : « Poursuis ... Poursuis ». Mais les mots ne suivaient pas. A l’extérieur du café, nous marchâmes vers l’endroit où j’avais garé ma voiture ... Je la conduirai comme tous les jours jusqu’à la porte du bureau où elle travaille, je la quitterai en feignant moi aussi de partir au travail.

Lorsque nous arrivâmes à la voiture, elle dit :

— Je veux que nous marchions un peu, y vois-tu un inconvénient ?

Elle marcha à mes côtés, lente, pas comme à son habitude, et à peine avait-on fait quelques pas qu’elle s’arrêta et dit d’une voix ferme :

— Ecoute, je ne veux plus te voir à partir d’aujourd’hui. Pardonne-moi, mais il vaut mieux que l’on ne se voit plus. Je crois que je t’ai aimé et je ne veux pas. Je ne le veux plus après tout ce qui s’est passé dans ma vie.

Et je savais ce qui s’était passé dans sa vie. Je me tus alors un instant et dis :

— Comme tu le souhaites.

Je l’observais alors qu’elle s’éloignait de moi à pas rapides.

Mais cela n’était pas le commencement.

Au début, tout était différent. Ce jour-là, j’hésitais beaucoup à me rendre à cette conférence de presse. Je savais d’avance qu’on dirait des choses qui ne seraient pas publiées par le journal du Caire si je les envoyais. Et si elles étaient publiées, elles seraient coupées, allégées avec des paragraphes qu’on retarderait et d’autres qu’on avancerait de manière à ce que les lecteurs ne comprennent pas ce qui s’est passé au juste, ni de quoi il s’agit. Je pensais, alors que j’étais en route pour me rendre à l’aéroport. C’était le jour où il y avait un avion en partance pour l’Egypte. Dans cette ville où des responsables mettaient souvent les pieds sans préavis, peut-être qu’arriverait un ministre qui ferait des déclarations qui réjouiraient le rédacteur en chef. Il les mettrait à la Une et serait enfin satisfait de moi. Le ministre ... déclare : « Notre économie est sortie du goulot d’étranglement ». Le ministre explique : « Nous étudierons la coopération européenne dans l’essor du développement ... ». Et la voiture tourna effectivement vers la route de l’aéroport. Le rédacteur en chef n’est-il pas profondément satisfait de ce développement en plein essor ? Cela apparaît toutes les semaines dans ses articles. Voilà de longues années que chez lui l’essor ne cesse de sauter du goulot d’étranglement. Pourquoi donc ne pas satisfaire le rédacteur en chef ? Pourquoi aller à cette malheureuse conférence en ce beau matin d’été ? Suis-je en réalité un « adepte des difficultés » comme avait l’habitude de le dire Manar ? Mais pourquoi aller à l’aéroport ? Qui donc a dit qu’un ministre viendrait ou que le rédacteur en chef serait impatient de recevoir ma correspondance ? Il est préférable que je me taise tout à fait. Je le dispenserais ainsi des excuses embarrassées : « Je vous assure untel, la correspondance est arrivée trop tard, ou nous l’avons imprimée effectivement, mais nous avons reçu à la dernière minute des communiqués de la présidence et ils ont mangé la page », ou encore : « Vous savez, j’enquête à propos du garçon untel de la section internationale parce qu’il ne m’a pas présenté votre correspondance. J’ai effectivement fait ouvrir une enquête sur lui », etc. Pourquoi fatiguer le rédacteur en chef et me fatiguer ? Le salaire ne sera pas ponctué et c’est le plus important. Jouissons donc de cette belle journée.

Je pris une partie de route élevée en direction de l’aéroport.

Je quittai la route asphaltée et je m’enfonçai dans un chemin aplani parsemé d’arbres, puis je me garai à l’ombre. La forêt était humide et calme et les feuilles nouvelles qui habillaient de nouveau les arbres depuis peu étaient d’un vert vif, presque transparentes ... Ensemble, elles formaient une coupole fragile et lisse que balançait la brise légère alors que les rayons du soleil s’infiltraient dans les ouvertures dispersées. Ondes jaunes naviguant rapidement au-dessus de l’herbe, puis disparaissant pour revenir comme une surprise ; ondes successives qui illuminaient sur leur passage les petites fleurs sauvages jaunes et blanches qui décorent la terre en été ... La première fois que nous sommes partis à l’étranger dans le cadre de ce voyage organisé d’une semaine en Bulgarie, je fus ébloui par cette décoration tout en miniatures sur la terre. Manar aussi. Elle me demanda, alors que nous étions dans la forêt :

— Il est défendu de les cueillir ?

Je dis :

— Je ne crois pas.

Elle se mit alors à rassembler un bouquet en assortissant les couleurs, puis elle regarda les fleurs dans ses mains et dit avec un désenchantement dans la voix :

— Mais elles étaient belles sur le sol !

En fait, les petites fleurs venaient juste de mourir. Elles avaient replié leurs pétales sur leur cœur rond et jaune et leurs tiges fines pendaient sur les côtés. Je lui dis :

— Je pense que ces fleurs sauvages ne vivent que sur le sol.

Puis je pris le bouquet flétri et le jetai au loin, ne gardant qu’une seule fleur jaune plus grande que les autres qui était restée ferme et dont les pétales étaient ouverts. Je la piquai dans les cheveux de Manar en lui disant :

— Que tu es belle ainsi !

Et elle était réellement belle avec cette fleur dans ses cheveux noirs ; alors je l’embrassai et nous rîmes de nouveau, heureux comme nous l’étions auparavant parce que pour la première fois nous marchions au milieu d’une forêt verte où le regard était sans limites. Mais le soir, alors que nous étions à l’hôtel, il me fallait payer le prix.

Dans quel endroit étrange de son cerveau gardait-elle ces petites choses ? Ces choses que j’oubliais à l’instant même ... Et quelle était cette capacité d’engendrer des réflexions qu’on ne pouvait imaginer ? J’étais plein d’appréhensilorsqu’elle me demanda cette nuit-là en plaisantant à moitié :

— Tu es venu, monsieur, en Europe avant cela sans me le dire ?

Mais je pris le même ton pour dire :

— Bien sûr, plusieurs fois en mission secrète. Pourquoi poses-tu la question ?

— Comment savais-tu, monsieur, que ces fleurs ne vivent que sur le sol ?

Je gardai le silence. Mais cela non plus ne marcha pas. Le ton de plaisanterie se transforma en un blâme léger alors qu’elle disait :

— Et puis quelle est cette manière avec laquelle tu traites les gens ici ?

— Quelle manière ?

— Cette courtoisie exagérée avec les employés de l’hôtel, du restaurant et des boutiques, avec les gens en général. Tu as le complexe de l’étranger.

Mais Manar pensait-elle qu’en Egypte je traitais les gens autrement ?

Elle fit la moue et se mit à remuer la tête à droite et à gauche comme si elle portait un jugement après réflexion :

— Non, mais ici je trouve que la dose est un peu plus forte. Un peu plus qu’il n’en faut. Je crois que c’est le complexe de l’étranger.

J’étais sur le point de répondre, mais je me rétractai :

— Peut-être as-tu raison. Je vais réviser mon comportement.

J’avais appris depuis longtemps à parer à ses petites colères cachées. Et j’étais ... Suffit ! Sois juste. Sans doute elle aussi faisait-elle de même. Le problème n’était pas dans ces fleurs innocentes. Mais où était-il au juste ? Y avait-il erreur depuis le début ? Quelle était-elle ? Tout ce dont je me souviens, c’est que je l’ai aimée et qu’elle m’a dit m’avoir aimé. Je veux dire que sans doute m’avait-elle aimé réellement à un moment donné, sinon pourquoi nous serions-nous mariés ? J’étais le plus pauvre parmi les journalistes qui avaient rêvé de se marier avec elle lorsqu’elle arriva au journal. Je fus charmé comme tout le monde par son visage affable, son sourire éternel et sa manière franche de parler en regardant son interlocuteur droit dans les yeux. Je fus encore plus charmé que les autres et je pris l’habitude de faire beaucoup d’efforts pour lui parler de la même manière ordinaire dont je parlais aux autres journalistes. Je veillais toujours à déplacer mon regard de l’endroit où elle se trouvait dans la grande salle de rédaction. Et c’est elle qui commença à faire le trajet de son bureau au mien pour me demander conseil pour un article qu’elle écrivait ou pour que je jette un regard sur son article avant impression, comme à un collègue plus ancien. Puis, elle commença à me parler de ses problèmes à la maison : on s’agitait pour la marier et on la présentait à des prétendants comme une marchandise. Elle ne se marierait jamais de cette manière. Elle choisirait par elle-même. Choisir est-il du seul ressort de l’homme ? J’eus peur de ses paroles. Je me disais, elle ne peut être aussi franche si c’est toi qu’elle a choisi. Mais j’essayai encore et je réussis à me présenter à sa famille pour demander sa main.

Elle me dit en riant alors que nous marchions les mains enlacées sur la corniche :

— Maman m’a dit : Tu n’as pas trouvé mieux que ce journaliste fauché ? Tu l’a préféré à l’officier au médecin !

Manar me surprit lorsqu’elle dit avec fierté alors qu’elle pressait ma main :

— Cela veut dire que maman t’aime et qu’elle est d’accord !

Cela faisait longtemps que j’avais compris que maman était la plus importante. Elle ressentait de la honte en présence de son père que j’ai aimé, moi, dès le premier instant pour sa simplicité et sa bonté. Mais, lorsque nous étions fiancés, Manar se sentait gênée lorsqu’il s’asseyait avec nous au salon, en pyjama ou en djellaba. Lorsqu’il parlait avec fierté de la reconnaissance qu’avait eue son directeur au travail pour le style avec lequel il avait écrit la note de service de ce jour, ou lorsqu’il racontait comment il avait acheté une pastèque alors qu’il rentrait du bureau. Comment le vendeur lui avait juré que c’était une pastèque bien rouge. Pourtant, lorsqu’il l’ouvrit de retour chez lui, il la trouva blanche et sans péchés. Il redescendit aussitôt et la rendit au vendeur menteur, parce qu’il ne lésinait pas sur ses droits et qu’il ne permettait à personne de se moquer de lui. Le visage de Manar se déchirait quand son père racontait ses histoires et je remarquais un regard de reproche silencieux dans les yeux de sa mère. Mais après notre mariage, sa mère n’était plus préoccupée de le rabrouer devant moi. Et Manar pleurait à chaudes larmes parce que son père avait pris l’habitude, après la retraite, de descendre dans la rue en djellaba et de s’installer des heures durant chez le barbier, l’épicier ou sur le banc du gardien de l’immeuble. Elle disait au milieu de ses larmes : « Pitié, papa, notre réputation, papa ».

Alors il lui promettait, en s’excusant, embarrassé et gêné, qu’il ne le referait plus. Mais lorsqu’il mourut, la tristesse de Manar dépassa toute imagination. Elle le pleura durant de longs mois en lui parlant tout le temps comme s’il était installé avec nous, lui demandant comment il se portait là-bas ? Pourquoi l’avait-il quittée ? Ne lui manquait-elle pas ? Je me demandais s’il n’y avait pas à côté de la tristesse un certain remords. Ce qui advint par la suite confirma mes doutes. Progressivement, elle se mit à parler de son père en en faisant un grand fonctionnaire à la personnalité forte, respecté par tous au bureau à cause de sa fermeté et de son intransigeance pour l’équité, bien qu’il n’eût jamais fait de mal à personne. Au fil des ans, elle fut convaincue par ses dires, me demandant quelquefois d’agir aussi fermement que son père. Et lorsqu’on m’éloigna de mon travail et qu’il n’y eut plus beaucoup de choses à faire, je remarquai pour la première fois que passais beaucoup de temps chez le barbier après qu’il eut fini de me couper les cheveux et que je me mettais à bavarder sans but. Je ressentais de la peur et je revenais rapidement à la maison m’installer à mon bureau pour bâtir le plan de mon projet de livre. Manar commençait progressivement à prendre l’image de sa mère. Elle me blâmait par exemple en me disant que je gâtais trop les enfants. Pourtant, elle sortait de ses gonds si je tentais de punir l’un d’entre eux, s’interposant pour le défendre. Punir restait son droit exclusif. Après nos promenades du vendredi, les reproches reprenaient de plus belle. Elle prit l’habitude de découvrir régulièrement une erreur que l’un des enfants ou les deux avaient commise : une sorte d’impolitesse, comme elle le disait, dont la punition était de les priver d’argent de poche ou d’aller voir amis ou parents. Lorsqu’elle me trouvait en train de jouer aux échecs avec Khaled, elle me reprochait de le distraire de ses études. Si je portais Hanadi et la faisais tournoyer alors qu’elle riait, elle disait : « Ce jeu est la raison pour laquelle elle a eu mal au ventre la semaine dernière ». Lorsqu’elle remarqua que Khaled aimait la poésie et que je l’encourageais à lire, elle rétorqua : « Il ne faut pas que l’enfant rate sa vie alors qu’il excelle en mathématiques ». Et lorsque ... Non, suffit ! Une fois de plus, prends garde et arrête-toi, où veux-tu en venir avec tout ça ? Tu veux dire qu’elle a dominé les deux enfants ? ... D’accord ! ... Et où étais-tu, toi ? Pourquoi n’as-tu rien fait pour te rapprocher un peu plus d’eux ? ... N’étais-tu pas tout le temps à l’extérieur, au journal, à l’Union socialiste ou en dehors du pays ? ... De quoi la blâmes-tu au juste ? Et quelle est donc cette histoire de barbier ? ... Qu’a-t-elle à voir avec le sujet ? ... Je cherchais des raisons. La graine de l’erreur. Mon erreur à moi ou son erreur à elle, mais quel est donc le problème ? ...

Je fus surpris par mon visage sur le rétroviseur. Il était renfermé et pensif. Je me ressaisis : « Non. Je n’y reviendrai plus. Pas dans ce bel endroit, ni en cette matinée ensoleillée. Je ne me laisserai pas aller aujourd’hui à ces divagations qui font revenir à la surface ces scènes avec Manar à partir de tout ce que je vois ou sans aucune raison. Chaque scène s’associe à une autre pour en créer une nouvelle. Et les heures passent ainsi. Non, pas aujourd’hui. La sérénité de cette forêt peut me sauver de tout cela. Ceci vaut mieux que de rester ici ».

Je mis en route la voiture.

***

Lorsquje rentrai dans la salle de l’hôtel, la conférence n’avait pas encore commencé. Deux tables rapprochées avaient été installées en guise de tribune avec derrière trois chaises, et dans la salle environ trente sièges bien qu’il n’y eût pas plus de six ou sept journalistes assis çà et là, silencieux. Peut-être comme moi étaient-ils venus parce qu’ils n’avaient rien trouvé de mieux à faire. Que pouvait-on attendre de cela ? Quiconque s’intéresse encore à ces sujets ici ou ailleurs ? ... Qui donc se sentirait préoccupé par une conférence organisée par un comité dénommé Comité international des médecins pour les droits de l’homme, sur la violation des droits au Chili ? ... Quel Chili et quels droits ? ... Le temps de la peur n’est plus, mon ami. Le temps où des milliers furent égorgés là-bas dans le stade de la capitale. Le temps de verser des larmes sur Allende après que les soldats l’aient tué. Ils le tuèrent trois ans après Nasser. Ils firent la guerre à Nasser en le taxant de dictateur. Mais Allende n’avait-il pas été porté au pouvoir par des élections ? Le loup avait dit à la brebis : « Si tu n’as pas sali l’eau parce que tu es dictateur, tu la saliras parce que tu es démocrate. De toute façon, tu es mangée ! ». Et quiconque se souvient actuellement de Neruda ? Je ne me souviens pas avoir lu le nom de Neruda dans un journal de mon pays depuis que le chagrin l’ait tué il y a dix ans après que les soldats se furent saisis de son pays. Il l’ont fait taire définitivement pour qu’il ne chante plus : « Sur les plages de tous les pays, ma voix s’élève parce que ma voix est celle de ceux qui se sont tus. Parce que ceux qui ne savent pas chanter, par mes lèvres chanteront ». Autrefois, au temps de ma jeunesse, je lisais les vers de Neruda dans nos quotidiens. Même dans ceux du soir. En ces temps où les journaux disaient que la victoire des petites gens dans n’importe quel pays du monde est en quelque sorte une victoire pour la liberté pour nous tous. En ces temps où nous avons pleuré Nicroma, Lumumba. En ces temps où la radio du Caire chantait Port-Saïd, l’Algérie, la Malaisie et tous les peuples portant les signes avant-coureurs de joie. La joie pouvant faire germer les fleurs du cœur des massacres ! ... Oui, pas moins que des fleurs du cœur, des massacres ! Je me souviens en ces temps-là d’un ami dont les yeux brillaient de larmes alors qu’il lisait pour nous le poème « Les enfants dans mon pays meurent de faim alors que les poissons dans la mer boivent du café ». Aujourd’hui, personne ne pleure plus sur cela. Personne ne pleure aujourd’hui parce que les maîtres de notre monde noient le café dans la mer et brisent les montagnes d’œufs. Les gens aujourd’hui sont plus sages. Les sentiments aujourd’hui sont plus calmes. Les larmes aujourd’hui coulent à cause de l’intoxication de la télévision. Comme tes larmes à toi, hypocrite ! Toi et ton Comité international de médecins ! 

Traduction de Soheir Fahm

https://hebdo.ahram.org.eg/arab/ahram/2003/12/3/litt0.htm

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