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Au-delà de la nostalgie musicale

May Sélim, Mercredi, 06 avril 2022

En tournée depuis 2014, le concert visuel Love & Revenge (amour et vengeance) des Libanais Wael Koudaih (Rayess Bek) et Randa La Mirza a fait escale au Caire et à Alexandrie. Résultat : deux soirées surprenantes où les chansons du monde arabe se mêlent à des images d’anciens films égyptiens.

Au-delà de la nostalgie musicale
Des extraits vidéo rappelant l’histoire du cinéma dans le monde arabe. (Photo : Mohamad Moustapha)

Ils ont fait leur apparition, dans le calme, au théâtre Rawabet. Chacun s’est dirigé vers son instrument ou sa machine. Julien Perraudeau sur les claviers, Mehdi Haddab sur l’oud électrique, Randa La Mirza derrière l’écran de son ordinateur et Wael Koudaih sur une autre machine acoustique.

Le concert audiovisuel à succès, invité par l’Institut français d’Egypte et la société de production Al-Mashreq, intitulé Love & Revenge (amour et vengeance), a donc commencé sans que le public ne s’en rende compte.

En tournée depuis sa création en 2014, Love & Revenge est un remix des tubes du monde arabe et des extraits vidéo du cinéma égyptien. Le concert baigne dans une ambiance électro-pop, accentuée par un mixage visuel remarquable, conçu par deux artistes libanais, le compositeur, arrangeur et interprète Wael Koudaih (Rayess Bek) et la vidéaste Randa La Mirza.

Le concert s’inspire notamment du film des années 1940 Gharam wa Intiqam (amour et vengeance), interprété par Asmahane et Youssef Wahbi, qui en était également le réalisateur. Koudaih fait un remix attrayant de la chanson-clé du film Emta Hatearaf (quand tu le sauras ?!).

Les remix de Wael Koudaih et les vidéos de Randa La Mirza ont enflammé le théâtre Rawabet.  (Photo : Mohamad Moustapha)

« Le titre du film en arabe Gharam wa Intiqam est traduisible. Du coup, on a voulu jouer dessus. Un étranger qui ne connaît pas l’histoire du film peut facilement saisir l’idée du concert », souligne La Mirza. Et Koudaih d’ajouter : « L’histoire d’Asmahane, cette star libanaise qui était, peut-être, une double espionne, et sa mort tragique avant la fin du tournage, ont quelque chose de particulier qui dépasse l’intrigue romantique du film. Nous avons trouvé cette idée intéressante ».

Donné pour la première fois au Caire en 2014 au centre Makan, le concert était limité à ses deux créateurs, à des tubes anciens et à des extraits vidéo qui illustrent les thèmes de l’amour, de la femme, du désir et de la sensualité. « Aujourd’hui, nous présentons un deuxième album avec 12 chansons. On garde quelques-unes de l’ancien album. Mais en fait, c’est un deuxième répertoire et les archives peuvent nous servir à l’infini. Donc c’est un concert vivant, on peut ajouter ou supprimer des chansons à chaque présentation. Le mois prochain, nous voyagerons au Maroc pour donner Love & Revenge, alors nous comptons y inclure des chansons marocaines », indique Wael Koudaih.

L’idée du concert remonte à une rencontre entre les deux créateurs, anciens collègues à l’Université d’Aix-Marseille (en France). Koudaih faisait déjà des remix de chansons hip-hop, et Randa la Mirza travaillait sur un projet visuel. « J’ai dit à Randa : écoute, je travaille sur le hip-hop, je fais des remix. Toi tu continues sur le visuel. Mais elle m’a proposé de reprendre aussi les anciennes vidéos. De fil en aiguille, on a monté le projet Love & Revenge. Au départ, nous étions tous les deux sur scène dans des espaces limités. Mais quand on donnait le concert dans des salles de théâtre, sur scène, on avait plutôt un côté figé. Alors, j’ai eu l’idée de collaborer avec Mehdi et julien, avec qui j’avais déjà travaillé pour d’autres projets. Les deux ont une très bonne connaissance de l’échelle de la musique arabe et leur présence sur scène donne au concert un aspect plus vivant », précise Wael Koudaih.


Mehdi Haddab sur l’oud électrique. (Photo : Mohamad Moustapha)

Questions de genre et d’identité

La voix de la star libanaise Sabah résonne sur scène, chantant Saâte Saâte (parfois), accompagnée de quelques extraits des comédies romantiques égyptiennes Saghira Ala Al-Hob (trop jeune pour tomber amoureuse) et Khalli Balak min Zouzou (fais attention à Zouzou), suivis d’autres extraits plus sensuels tirés de films plus récents, tels Al-Raqessa wal Siyassi (la danseuse et le politicien), Al-Raqessa wal Tabbal (la danseuse et le percussionniste) et Al-Massatil (les drogués).

La voix de Sabah est ensuite de retour, chantant cette fois-ci Beyqoulouli Toubi (on me dit d’arrêter), accompagnée de quelques séquences du film Abi Fawq Al-Chagarra (mon père est pris dans son piège).

Dans le premier opus, les deux artistes libanais ont travaillé sur des chansons d’Egypte, du Liban et de Syrie. « Nous gardons toujours des tubes et des vidéos de la première version de notre concert, mais nous pouvons aussi rajouter d’autres tubes de tout le monde arabe : la Mauritanie, le Koweït, l’Arabie saoudite, etc. », fait remarquer Koudaih.

La Mirza est, elle aussi, ouverte à toutes les options côté visuel : Superman, Faust, La Belle et la bête, Le Voyage vers la lune, Dracula, etc. Bref, elle veut montrer que les cultures du monde ont des symboles, des icônes, partagés par tous. Elle fait son montage, en plein concert, devant le public. « La vidéo est aussi présente comme un instrument qui interagit avec la musique. Il y a beaucoup de flexibilité sur scène », estime-t-elle. Et d’ajouter : « La femme est toujours présentée comme une personne séduisante, puissante, qui contrôle tout. Dans les vidéos, les hommes se contentent de réagir ; ils sont là à titre accessoire. Le même sujet peut être présenté de façons très différentes, surtout que dans les vidéos, les dialogues sont annulés. Le rapport entre les corps qui bougent sur scène m’intéresse beaucoup et en dit long sur la question des genres », souligne la vidéaste.

Avec les chansons et les vidéos sélectionnées, Koudaih et La Mirza soulèvent beaucoup de questions sur l’identité et la culture dans le monde arabe. Comment sont-elles reflétées à travers la musique et le septième art ? Et comment aujourd’hui sont-elles réintroduites par les sonorités modernes et les nouvelles techniques du montage et de la vidéo ?

Moments de jubilation

A un certain moment, Koudaih invite le public à monter sur scène et à danser avec les artistes. La scène s’enflamme alors, et les remix donnent lieu à une performance interactive bouleversante. Le tube du chanteur-compositeur iraqien Kazem Al-Saher Abouss Qalbak (j’embrasse ton coeur) est réarrangé par Koudaih avec un focus sur le refrain, en lui ajoutant des airs électro. Et les séquences vidéo, qui l’accompagnent, reprennent une suite de scènes sensuelles, tirées du film Hamam Al-Malatili (le bain de Malatili).

Saigon, une chanson évoquant la chute de la ville vietnamienne, composée et interprétée par le fameux Cheikh Imam, sur des paroles d’Ahmad Fouad Negm, accompagne l’extrait vidéo en noir et blanc d’un vieux film du comédien Emad Hamdi. Celui-ci tient le rôle d’un bonhomme perdu sur une plage déserte. Désespéré, il cherche à se noyer.

A chaque tube et chaque vidéo, le public jubilait, suivant les rythmes électro. On poussait des youyous de joie dans la salle et les applaudissements résonnaient partout au théâtre Rawabet. Une soirée inoubliable.

Love & Revenge est en tournée dans 8 villes marocaines, jusqu’à fin mai.

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