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Danser sur des braises

May Sélim, Jeudi, 31 mars 2022

Akoon (être) est une vidéo signée par la jeune réalisatrice et photographe égyptienne résidente en Angleterre Zeina Aref. Elle résume la force des femmes face aux préjugés d’une société masculine et conservatrice, en recourant à la danse.

Danser sur des braises

Un texte poétique et symbolique est récité en arabe classique par la voix d’une femme : « On m’a répété maintes fois que je serais lapidée, que mon corps était une source de honte, car convoité par des ivrognes indomptables. On m’a dit maintes fois qu’en tant que femme, je n’ai pas de place dans ce monde. Ils me l’ont répété maintes fois, jusqu’à l’extinction de leurs voix. Alors là, j’ai décidé de danser, pour échapper aux braises, pour me frayer un chemin ».

Sous les feux des projecteurs, une femme en costume de danse orientale est debout devant un dais de mariage. Une autre, fixant le vide, fait le ménage dans une maison au décor classique. C’est ainsi que commence la vidéo d’Akoon (être), un court métrage de la jeune réalisatrice et photographe égyptienne résidante en Grande-Bretagne Zeina Aref, diffusée sur la plateforme Nowness.

Les rythmes de la musique orientale s’élèvent, les images montrant des visages de femmes se multiplient. Elles s’insurgent toutes par le corps, chacune à sa manière. Les mouvements de danse orientale sont réduits à quelques gestes symboliques.

La femme qui fait le ménage s’insurge, ses regards deviennent plus provocateurs. Les mouvements de danse contemporaine qu’elle exécute traduisent une force libératrice. Une troisième femme tient une faucille en main dans un champ, en portant des habits traditionnels. En une marche rapide et ferme, elle coupe tout ce qui barre son chemin. « Ce projet est le résultat d’un sentiment de frustration face aux conditions injustes que subissent les femmes. Cette frustration a été canalisée dans la vidéo pour prouver que toute femme peut choisir ce qu’elle veut être. Je me suis souvent investie dans des questions liées aux droits des femmes, celles-ci nourrissent une belle partie de mon travail. Je cherche à créer des oeuvres qui peuvent ouvrir un débat », explique la réalisatrice Zeina Aref. Et d’ajouter : « Le texte est rédigé par l’écrivaine talentueuse Chérine Abul Wafa, spécialement pour cette vidéo. Je voulais célébrer l’aspect poétique de la langue arabe, transmettre mon message, mais de façon poétique et abstraite ».

En dansant, les femmes font tomber les préjugés accablants. Leur lutte pour la liberté sort des carcans habituels. « On s’éloigne nettement de l’image péjorative de la femme en tant qu’être faible, aux droits bafoués. Bien au contraire, dans la vidéo, chacune des interprètes réussit à transformer l’espace autour d’elle. Cet espace qui aurait pu constituer sa cellule de prison », souligne la danseuse Nermine Habib.

Diffusée sur la plateforme Nowness, depuis le 7 mars dernier, cette vidéo de trois minutes a fait dans ses premières heures plus de 6 000 visions et a été partagée sur les réseaux sociaux. « Je travaille sur ce projet depuis plus d’un an et demi. Il fallait surtout trouver l’équipe de travail adéquate, et c’était un long processus, mais je suis contente du résultat. Nowness m’a semblé la meilleure plateforme en ligne pour partager ce projet, étant accessible à tous. Je voulais que les gens puissent regarder la vidéo et s’y identifier, qu’ils soient Egyptiens ou étrangers. J’espère organiser une projection en Egypte bientôt et voir le projet interprété en live dans un espace culturel cairote », estime Zeina Aref.


La danse orientale, un moyen de rejeter les préjugés.

Une chorégraphie poignante

Coproduite par MAAT pour l’art contemporain et le Centre de la danse contemporaine, la vidéo est chorégraphiée par Karima Mansour, directrice de ces deux organismes. Cette dernière a opté pour une chorégraphie subtile et symbolique. « La réalisatrice Zeina Aref et le directeur artistique Youssef Al-Sayed m’ont contactée pour faire la chorégraphie. Plus tard, Aref m’a proposé d’y participer. Le travail m’a beaucoup intéressée. Toute l’équipe, regroupant des professionnels et des amateurs, a d’ailleurs travaillé en tant que volontaires, animée par une grande passion. Les répétitions ont eu lieu au Centre de la danse contemporaine », précise Karima Mansour. Et d’ajouter : « La chorégraphie devait mettre en évidence tout le potentiel de l’équipe ».

Ayant fait également des études cinématographiques, Karima Mansour maîtrise parfaitement ses outils. En dansant, elle libère son corps, à l’aide de mouvements brusques et bouleversants. Les différentes interprètes s’unissent à la fin de la vidéo, effectuant une danse collective assez harmonieuse.

« La danse et le mouvement sont les formes d’expression les plus puissantes, à mon avis. Ils permettent de raconter des histoires, de transmettre des émotions, etc. De plus, lorsque vous discutez de la libération du corps et de la femme et du concept d’occupation de l’espace, la danse et l’expression physique sont des choses essentielles. Karima est la meilleure à réussir la fusion entre le traditionnel et le contemporain. Travailler avec elle était un rêve. Je suis très reconnaissante de la confiance qu’elle m’a accordée », souligne Zeina Aref, qui compte faire d’autres projets en lien avec les droits des femmes.

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