
Le Sénégalais Yaya Biabaté.
Les récitals poétiques ont le vent en poupe au Maroc. A titre d’exemple, à la Villa des arts de Casablanca, des soirées sont régulièrement dédiées à cet art séculaire. A 19h tapantes, des jeunes et des moins jeunes ont pris d’assaut une bien spacieuse salle. D’emblée, un grandissime instrument composé d’à peu près vingt cordes attire l’attention des plus curieux. «
Il s’agit de la kora, un grand chevalet en bois, maintenu par la seule pression des cordes. Le nombre de celles-ci varie de 20 à 25, en fonction de la cadence musicale escomptée ou de la vigueur de la mélodie, pour ainsi dire », explique Maymoune Tijani, un chercheur en ethnomusicologie, présent lors du récital.
Le spectacle commence au grand bonheur de l’audience. Yaya Biabaté, un korafola sénégalais, ouvre le bal et mène le jeu. Aux premiers sons de la kora, la foule est déjà confondue d’admiration. La béatitude se lit sur tous les visages et la concentration est la seule maîtresse des lieux. Les sons de la kora croisent les premiers vers récités. Le spleen se fond dans l’allégresse. Les vers se poursuivent et ne se ressemblent pas. Et voici naître une atmosphère digne des mille et une nuits.
Harmonieux et méticuleux, un groupe composé de jeunes amoureux des récitals de poésie ensorcelle littéralement les âmes vagabondes, venues de partout dans l’unique but d’assister au spectacle. De vers en vers, la vigilance se maintient et le plaisir perdure. « Je reviens et chaque fois d’un nouveau choc, l’interminable spectacle de la boufferie socialement animale. Et je continue mon chemin à la recherche, de la relation où l’homme respecte l’homme ; la bonne cause », dit le quatrain, extrait du recueil Paroles et silence du poète marocain Rachid Boukhar.
Troubadours d’aujourd’hui …
Plus qu’un phénomène en vogue, les récitals de poésie sont une tradition au Maroc. Toutefois, ce qui différencie ces soirées poétiques marocaines de celles d’ailleurs est de loin les instruments africains tels que le guembri, le sintir ou la kora. Si le premier et le deuxième sont intrinsèques à la musique gnaouie, le troisième instrument renvoie directement au patrimoine culturel afro-gitan. Celui des troubadours des temps modernes. Ceux qui arborent ostensiblement leur fierté africaine par le biais des arts nobles. Pour Yaya Biabaté, la kora provient de la Gambie. Au cours du XXe siècle, l’instrument fétiche des poètes a commencé à voyager au gré du métissage culturel afro-maghrébin.
Mais ce n’est que dans les années 1970 que les moines du monastère de Keur Moussa (Sénégal) ont fusionné cet instrument à la poésie en prose et aux récitals poétiques. « Même si la kora a longuement symbolisé l’amitié sénégalo-gambienne, des musiciens issus d’ailleurs s’adonnent à cet instrument à coeur joie. Au Mali voisin, cette perle musicale est devenue indissociable des récitals poétiques », ajoute le korafola.
Et pas seulement. Au Maghreb, et plus exactement au Maroc et en Algérie, les récitals de poésie peuvent désormais se passer des instruments du Moyen-Orient tels que l’argoul, le luth ou alors la flûte. L’heure y est, paraît-il, à la fusion afro-maghrébine. Au Maroc, la ville d’Essaouira reste l’exemple le plus éloquent en matière de soirées littéraires et poétiques aux rythmes afro-gitans. Ceci n’est pas étonnant venant de la part d’une ville connue par et pour le dialogue intercivilisationnel .
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