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L’apprentissage de la démocratie

Amina Hassan Khalil, Mardi, 03 septembre 2013

Un des documentaires marquants du festival fut Common Enemy (Espagne, Tunisie) de Jaime Otero, en diapason avec l’actualité brûlante. Il se passe au moment des premières élections libres en Tunisie.

Le film présente la vision des protagonistes qui ont participé au Printemps arabe, un événement sans précédent depuis 55 ans, où des changements imminents vont modifier l’aspect social du pays, même si le parti islamiste d’Ennahda remporte la victoire. Le film interroge le rapport au langage, au mouvement social des islamistes et des sécularistes. Comment les deux sphères travaillent-elles l’appar­tenance et l’exclusion à leurs groupes, en étant acteurs avec des cultures et des stratégies diffé­rentes ?

Sous l’angle de la subjectivité de la campagne d’Ennahda, l’auteur nous propose un récit histo­rique visant à définir depuis quand et sous quelle forme ce parti fait parler de lui, de sa légitimité et de son identité hégémonique. Les activistes de ce parti, selon le point de vue d’un journaliste d’une télévision publique tunisienne, ne faisaient pas partie de la mobilisation nationale, partie de la ville de Sidi Bouzid, pour renverser le régime de Ben Ali. Ils étaient tous en exil. C’est depuis le retour de Ghannouchi, leur leader, de son exil à Londres, qu’ils cultivent un son de cloche identifiant le vote des islamistes au triomphe des valeurs de l’islam. Le programme de Ghannouchi est clair : régenter l’espace domestique en priorité, sacrifiant les choix économiques et politiques.

« Le port du voile est obligatoire pour les femmes. Il faut s’intéresser à la famille et au mariage des jeunes le plus tôt possible », dit-il. Son camp a misé sur le registre émotionnel. Neuf jours avant le début du vote, ses disciples ont mené une bataille contre les libertés publiques et d’expression. A l’occasion de la projection du film iranien, Persepolis, à la télévision indépendante Nessma, qui critique l’en­doctrinement religieux pour éduquer le peuple à la vigilance et au jugement, les islamistes ont mené une campagne contre le directeur de la chaîne, demandant sa démission. Les bâtons, les drapeaux noirs d’Al-Qaëda et le déchaînement des manifes­tants ont fait monter la colère des plus fanatiques jusqu’à la mise à feu de la maison de Nabil Karoui, directeur de la chaîne Nessma. « On est passé de la terreur intellectuelle sous Ben Ali, à la terreur phy­sique qui est pire sous le discours hégémonique des islamistes », déplore Nabil Karoui.

Soulèvement

Les sécularistes, rangés pour la plupart sous l’égide de Najib Chebbi, leader du parti démocra­tique progressiste, parlaient dans leurs campagnes du développement de l’industrie, de la mobilisation de l’aide internationale et de la conception d’une nouvelle Constitution garantissant les droits et les libertés publiques et civiques. D’un côté, on avait donc un discours identitaire hégémonique, de l’autre un discours modéré, accentuant les enjeux d’avenir. Cependant, qui reconnaît la légitimité des acteurs et de leurs programmes ? C’est le peuple. La clé est donc dans la diversité et le pluralisme des publics, comme le souligne Siham, directrice de la Radio indépendante Kalima. De même, des membres de la population, désabusés, ont évoqué l’importance d’un rôle à attribuer aux jeunes, fiers de leurs réalisations à Sidi Bouzid, fief de la révo­lution. Par ailleurs, le film explore les différents champs et espaces de communication et d’expres­sion, où se négocient les rapports de pouvoir et les nouvelles légitimités, radios libres, télévisions indépendantes, y compris la rue.

Cependant, il était illusoire d’imaginer que l’étouffement prolongé de la vie politique, du débat contradictoire, sous Ben Ali, ne pèserait pas sur les premiers scrutins. Dans de tels cas, les électeurs confirment souvent l’influence des forces sociales ou institutionnelles des mieux structurés (les grandes familles, l’armée) ou celle des groupes organisés qui ont maillé leurs réseaux clandestins pour échapper à la répression, comme ce fut le cas des activistes d’Ennahda en Tunisie, et des Frères musulmans en Egypte.

Les nouveaux dirigeants ont sacrifié ces choix au profit de la conquête du pouvoir. Résultat, des manifestations géantes organisées par une coalition hétéroclite ont pris de nouveau le chemin de la rue, aussi bien en Egypte qu’en Tunisie.

Le fin mot du film est qu’explorer toutes les pos­sibilités, expérimenter différentes options c’est faire l’Histoire, c’est construire ensemble.

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