Sur un mur usé par le temps, l’artiste pluridisciplinaire Mohamed Abou El-Naga a choisi d’exposer plusieurs de ses toiles, réalisées entre 1983 et 1996, à la galerie Access, au centre-ville du Caire. Il s’agit en effet d’une période marquante dans la carrière d’Abou El-Naga, durant laquelle il expérimentait différents techniques et matériaux, tout en multipliant ses lectures spirituelles et métaphysiques.
L’influence de la mer alexandrine et de l’érosion marine était indéniable sur l’artiste originaire de la ville voisine de Tanta, où il a été confronté très tôt à plusieurs stimulus visuels, notamment ceux de la fête foraine commémorant le grand soufi Al-Sayed Al-Badawi.
« Entre 1983 et 1996, je vivais essentiellement à Alexandrie. Quand j’y suis arrivé pour effectuer des études de beaux-arts, la ville côtière m’a tendrement accueilli. J’y ai connu l’enthousiasme juvénile, la joie de vivre, l’envol sans limites, les fantasmes. J’ai donc voulu rendre hommage à cette époque, à travers l’exposition Abou El-Naga 80/90’s », indique Mohamed Abou El-Naga.
Ainsi, au milieu de l’immense espace de la galerie Access, se dresse une installation intitulée Vase canope, réalisée en 2021. Celle-ci rassemble autour d’elle l’ensemble des oeuvres exposées. « Le couvercle de mon vase canope représente le gardien des secrets et des mystères chez les Anciens Egyptiens. Il est doté d’un miroir, reflétant le passé et le présent, un peu à mon image, en train de contempler mon parcours », explique Abou WEl-Naga.
Sur l’un des murs de la galerie, est accrochée l’oeuvre phare de l’exposition qui remonte à 1983. Genèse mesure un mètre et demi de longueur, sur un mètre et demi de largeur. La toile, ayant fait partie de son projet de fin d’études aux beaux-arts d’Alexandrie, montre une mère donnant le sein à son bébé, inspirée d’une icône de Jésus et Marie, entourés d’un halo de lumière. « Loin du chaos et des difficultés que nous rencontrons au quotidien, notamment avec la pandémie, j’ai décidé d’exposer Genèse pour calmer nos esprits confus et retrouver la sérénité », dit l’artiste qui a voulu raconter sa démarche artistique en proposant sa propre Genèse, son périple qui l’a mené aux anciens manuscrits et aux célèbres portraits du Fayoum, ainsi qu’aux vieux livres chrétiens, hébraïques et musulmans.
« Ma Genèse est aussi synonyme d’amour, de connaissances, d’amitié, de liberté, de beauté, de désir, d’interdits, de rêves, de romantisme, de relations humaines … Bref, tant de choses que j’ai ressenties durant mes années de jeunesse », ajoute Abou El-Naga.
Les récits historico-légendaires sont très fréquents dans son oeuvre durant cette période. Il aime toujours transcender les mythes dans ses peintures inspirées parfois de l’art funéraire égyptien. On y retrouve des corps volants, d’autres flottants, des visages effacés, des femmes semi-nues, des motifs et des ornementations rurales, coptes, islamiques, etc.
Jouer avec la matière
Un vase canope au milieu de la salle d’exposition.
Durant les années 1990, le plasticien était à la recherche de nouveaux procédés de fabrication, de matériaux environnants, animé par le désir de mieux gérer les déchets industriels. Ainsi, il mêle pour la première fois en 1992 du papier mâché à ses peintures, d’où la série Al-Guidar (le mur), jusqu’en 1994, avant son départ au Japon en 1996 pour approfondir ses connaissances sur l’art du papier, grâce à une bourse d’études de la Fondation du Japon (fondation ayant pour mission les échanges culturels internationaux). « Le papier, ce matériau de base servant à écrire, à imprimer et à emballer, nous ouvre de multiples horizons de réflexion. Il est le support de notre mémoire ancestrale. Si l’Ancien Egyptien s’est servi des éléments de la nature pour fabriquer des papyrus, j’essaye à mon tour de ressusciter la touche d’ancienneté en mêlant de la peinture au papier. Je tente de préserver l’aspect primitif du papier », déclare Abou El-Naga, qui a choisi de montrer dans l’exposition en cours à la galerie Access quatre oeuvres de la série Al-Guidar, mêlant peinture, papiers, pigments naturels et autres matières organiques (feuilles d’arbre, fibres de coton, pailles de riz et épis de blé).
Dans cette série, il s’inspire des compositions de manuscrits islamiques, ou encore des Maqamat de Yéhia Ibn Mahmoud, dit Al-Wassiti (peintre et calligraphe arabe du XIIIe siècle originaire d’Iraq). Les oeuvres dans leur ensemble nous font réfléchir sur le statut des murs. « De la préhistoire jusqu’à l’art contemporain, le mur est le lieu privilégié de l’expression artistique. Générateurs de liens sociaux, témoins actifs du quotidien urbain, de son patrimoine visuel, de l’expression populaire, de l’identité d’un quartier, les murs sont porteurs de l’histoire de la ville et de ses secrets. Un mur peut constituer une frontière. On parle du mur de l’incompréhension, du mur de la solitude, des lamentations, etc. Les couches pâteuses de cette série sont bien assorties et superposées ; ils peuvent agir sur notre psychisme », conclut Mohamed Abou El-Naga, en évoquant une phase de son oeuvre, aussi riche que variée.
Jusqu’au 5 février, de 10h à 21h (sauf les jeudis et les vendredis). Rue Al-Nabarawi, de la rue Mahmoud Bassiouni, centre-ville.
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