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L’architecture, outil de partage

May Sélim, Lundi, 20 décembre 2021

La 28e édition du Festival international du Caire pour le théâtre expérimental, qui vient de prendre fin, a rendu hommage au scénographe français Jean-Guy Lecat. Tout au long de sa carrière, il a cherché de nouveaux espaces, favorisant le partage et l’interaction entre les gens.

Mahabahrata de Peter Brook, scénographie de Jean-Guy Lecat.
Mahabahrata de Peter Brook, scénographie de Jean-Guy Lecat.

Dans le monde du théâtre, le nom de Jean-Guy Lecat est souvent associé aux créations du metteur en scène britannique Peter Brook, puisqu’ils ont travaillé ensemble, au théâtre Les Bouffes au nord en France, pendant plus de 25 ans. Depuis 1975, Lecat a collaboré étroitement avec Brook.

Ce dernier l’a toujours considéré comme « Monsieur Espace », tout le temps à la recherche de bons endroits, afin de monter leurs spectacles. « Le concept de Brook est basé sur la création d’un théâtre à la forme élisabéthaine.

Jean-Guy Lecat pendant sa conférence à l’exposition des scénographes au festival expérimental.
Jean-Guy Lecat pendant sa conférence à l’exposition des scénographes au festival expérimental.

Dans ce genre de théâtre : les limites architecturales entre le public et les comédiens ne sont pas présentes. Deux choses se passent normalement en appliquant cette notion. D’abord, le public est dans le décor, tout se situe dans un même espace. Et le public étant dans le décor, il partage la même expérience que les comédiens. Dans un théâtre traditionnel de cadre scène, le public regarde les comédiens. Mais dans un théâtre où tout le monde est ensemble, on partage. C’était une chose essentielle à comprendre pour pouvoir trouver des espaces, à travers le monde, qui correspondent au travail de Peter Brook. Il m’a engagé pour cela. Donc, nous avons transformé 200 espaces différents en théâtres qui respectent toujours cette même règle : tout le monde est dans le même espace et donc tout le monde se place dans la même esthétique », explique Lecat, à qui le Festival du théâtre expérimental vient de rendre hommage, avant de prendre fin, le 19 décembre.

Et de poursuivre: « Il est important de créer cette capacité d’échange entre les comédiens et le public, dans un espace neutre où l’architecture disparaît. A partir du moment où le spectacle commence et les lumières descendent, l’architecture devient discrète. La forme est aussi une autre question importante. On ne peut pas construire un théâtre alors que la troupe est en tournée, avec ses spectacles. La question est donc: quelle est la forme la plus simple pour transformer un espace en un lieu de représentation? On ne parle pas d’un théâtre rigide avec son cadre scène, mais plutôt d’un espace abandonné ».

Cela étant, la troupe de Peter Brook a souvent joué dans des usines, des réservoirs de gaz, des dépôts de tramway, etc. « On a découvert qu’il est également intéressant de donner une deuxième vie à ces espaces abandonnés parce que les traces de vie sur les murs étaient une chose qui pouvait donner une forme vivante et neutre à la fois. Ce sont les traces du vécu mais qui n’ont pas d’indications précises sur le temps et l’espace. Donc d’un côté, il y a la richesse du vécu, et de l’autre, la neutralité dans le spectacle », estime Lecat.

Une scénographie discrète

Ces traces de vie sur les murs dans des espaces abandonnés permettent de faire une liaison avec les prédécesseurs et les anciennes civilisations. Cela suscite l’imaginaire du constructeur d’espace et scénographe, qui adopte souvent une approche discrète et abstraite. Et ce, dans le but de susciter l’imaginaire du public.

Tout au long de sa carrière, Lecat a signé la scénographie de plusieurs célèbres spectacles et opéras, à Barcelone, en Corée du Sud… Et dans chaque pays, ses architectures et ses espaces sont différents. « L’architecture n’est-elle pas un handicap ? », s’interroge Jean-Guy Lecat. Et à lui de répondre: « Dans la difficulté, on cherche et on trouve des solutions. L’architecture a un impact sur l’homme. On cherche souvent le sens du bon endroit. L’architecture dans la ville a ses problèmes, ses bruits, ses embouteillages, etc. Ce n’est pas la même chose que dans la nature. Voyez-vous l’architecture a des contraintes, alors que la nature est plus accueillante et calme. J’ai souvent eu envie de monter un théâtre au milieu d’une plage. Même s’il y a du vent et des vagues, la plage garde sa sérénité, et le public se sent toujours à l’aise ». C’est d’ailleurs la raison pour laquelle Lecat s’est retiré de Paris pour s’installer depuis quelques années à Châteaudun, au sud-ouest du bassin parisien.

Avec un metteur en scène norvégien, il est en train de travailler sur un projet ambitieux : monter trois spectacles de Shakespeare dans une forêt. « L’idée est d’accueillir le public pendant toute la nuit dans une forêt. Ce qui permet un certain rapprochement et des liens entre les spectateurs. Dans la nature et dans un endroit méconnu, les êtres humains se soutiennent les uns les autres. Ce n’est pas le cas en ville où chacun cherche son moi, son propre intérêt. Mais malheureusement le projet a été refusé », indique Lecat qui n’arrête pas de penser à d’autres projets embrassant la nature et permettant plus de partage entre les êtres humains: comédiens et spectateurs.

Pour la troisième fois en Egypte, il ne cesse d’observer les changements. « Je suis venu au Caire dans les années 1960 et 1970, afin de donner trois spectacles expérimentaux, en coopération avec l’Institut Goethe : un spectacle de mimes et d’expression physique, Woyzeck et La Marmite de Plaute. Le théâtre expérimental c’est intéressant parce qu’on suggère et on ne donne pas de réponses au public », conclut-il.

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