Toutes dans la vingtaine, les 13 jeunes artistes-femmes qui prennent part à l’exposition possèdent des styles très variés et proposent des idées nouvelles, non conformistes. Elles appartiennent à une génération née à l’ère du numérique en plein dans le partage des réseaux sociaux et de l’interaction. Ceci n’est pas sans se refléter sur leur art.
« My Favorite Things s’adresse uniquement aux jeunes artistes femmes, qui sont à mon avis les plus intéressantes sur la scène artistique actuelle. Peu importe si elles sont des diplômées en art ou des autodidactes. Je cherche à les encourager à poursuivre leur passion et à aller au-delà des contraintes sociales et des responsabilités familiales. Le nombre de candidates est encore plus grand à chaque nouvelle édition. Cette année, nous avons retenu 13 sur 130 candidates. Je conseille souvent aux personnes intéressées d’essayer de trouver leur propre voie, loin du déjà-vu », souligne Stéphania Angarano, curatrice de l’exposition et propriétaire de la galerie Machrabiya.
Habiba Hazem : « Le chat est pour moi un symbole de spontanéité et de confiance en soi ».
La période de confinement passée chez ses parents a incité Alia Bassiouny à réaliser son installation, en médias mixtes, Je suis un oiseau. Elle y partage ses moments d’attente, d’isolement et beaucoup de questions existentialistes, et y incruste quelques dessins, des poèmes calligraphiés, de la pâte à papier mâché et des photos découpées. « Le Covid-19 nous a obligés à rester enfermés. Nous étions comme un oiseau en cage, à l’aile blessée, privée de sa liberté. A un moment, j’ai senti que le temps était figé, alors que tout bougeait encore à l’intérieur de moi. S’amuser en faisant des collages était mon passe-temps favori, pour échapper à la dépression », explique Alia Bassiouny.
Hanya Elghamry, une autre jeune artiste, livre ses impressions numériques en trois dimensions, une sorte d’univers imaginaire parallèle, réalisé à l’aide de médiums virtuels. Elle ne manque pas d’ailleurs de critiquer l’effet néfaste des médias sociaux et fait part de son sentiment d’isolation. « Seule au travail, seule chez moi, seule parmi la foule … Nous passons trop de temps sur les réseaux sociaux qui semblent, à première vue, offrir des opportunités pour combler un vide social, cependant, ils exacerbent notre sentiment de solitude et d’isolement. Nous sommes des êtres sociaux par nature, mais tout nous compartimente au lieu de nous réunir », affirme Hanya.
Hanya Elghamry : « On est seule partout,
malgré la foule »
L’OEil invisible est le titre de l’installation de Nouran Mohsen, composée de petits bouts de verres colorés, très bien arrangés et symétriquement structurés. Avec son installation admirablement assortie, l’artiste entre en communication visuelle avec le public, lui transmettant des informations et des idées à travers ses symboles et ses images.
Les petits bouts de verres colorés s’approchent dans leurs agencements du mécanisme du corps humain. « La communication visuelle est présente dans notre quotidien. Pour que les rayons lumineux arrivent jusqu’aux photorécepteurs, ils doivent traverser la cornée, l’humeur aqueuse, le cristallin et le corps vitré de l’oeil », explique Nouran Mohsen.
Dans ses photos en petits formats, Somaya Nour El-Din a recours à la technique du cyanotype sur papier. Il s’agit d’un procédé photographique monochrome négatif ancien, par le biais duquel on obtient un tirage photographique bleu de Prusse, bleu cyan. Avec ses images à effet pâli et par l’intermédiaire du bleu, couleur de l’espoir, Somaya décrit son environnement, une vie où tout est flou, mais paisible.
Ensuite, les gravures, sur bois ou sur zinc, de Yasmine Barakat nous offrent des portraits, des paysages et des objets. Elles ont été travaillées dans le studio de la jeune artiste, toujours pendant le confinement, et laissent entendre une grande émotion. Elles se présentent comme des contemplations réfléchies, une sorte de thérapie par l’art pour échapper à une rude évaluation de soi.
La femme et le chat
Alia Bassiony mêle poèmes calligraphiés, de la pâte à papier mâché et des photos découpées.
« Le chat est pour moi un symbole de spontanéité et de confiance en soi, j’aime le peindre. Pour d’autres, il symbolise la liberté, l’indépendance ou encore la protection comme dans l’Ancienne Egypte », lance Habiba Hazem. Elle peint de gros chats en solo, à l’aide de coups de pinceau rugueux, sur un fond de couleur claire.
Pour combattre le sentiment d’insécurité de ses protagonistes femmes, Aya Gamil peint ces dernières dans le flou, en solo, en duo ou en masse. Et ce, avec une palette aux couleurs pâteuses et bigarrées. La femme est bien audacieuse dans sa nudité. Elle défit les tabous et les contraintes sociales.
L’installation de Rawan Abbass, faite de tissus cousus, prend la forme d’un coeur. Un coeur que l’artiste a monté à l’aide de fils enchevêtrés, pour mettre en évidence le sens de la protection et de la sécurité. « Bien que la protection et la sécurité soient deux mots utilisés de manière interchangeable, il existe une différence nette entre eux », affirme Rawan. Le tissu utilisé est saturé de dessins symboliques, entre totems, amulettes, notion de magie et autant de signes de protection dans l’Ancienne Egypte.
Invitée d’honneur
Nouran Mohsen, de petits bouts de verres colorés dont l’agencement renvoie au mécanisme du corps humain.
L’artiste visuelle et illustratrice égypto-irlandaise Kamla Bassiouny participe à My Favorite Things en tant qu’invitée d’honneur. Née en 1985, elle a obtenu une maîtrise en scénographie de la faculté des beaux-arts de l’Université de Hélouan en 2009 et a participé à plusieurs expositions collectives en Egypte et à l’étranger. Quelques-unes de ses oeuvres font partie de la collection privée de la Bibliothèque d’Alexandrie.
Elle participe à l’exposition en cours avec une installation intitulée Fête à la station-bus, où elle se sert de différents matériaux recyclables de récupération. L’artiste aime fouiller dans les déchetteries, les bennes et sur les chantiers, afin de trouver le nécessaire pour ses installations novatrices. Elle montre souvent une foule de petits personnages, des scènes de villes, de petits objets et des intérieurs de maisons. L’installation exposée à Machrabiya est travaillée avec du carton et du papier, partageant un moment d’attente. « Je me sens toujours dans l’attente d’un bus. Son arrivée est la seule chose qui peut me rendre heureuse, qui peut me décharger de mes ennuis. Malgré le mauvais état où se trouve la station et la présence d’une foule compacte, les gens essayent de s’amuser et de danser ensemble », souligne Kamla, dont le monde artistique dégage quelque chose d’enfantin, à la fois spontané et bien pensé.
Jusqu’au 23 novembre, à la galerie Machrabiya. 15, rue Mahmoud Bassiouni, centre-ville du Caire.
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