Trouver un texte écrit par un auteur égyptien, afin de le monter pour le théâtre, semble être une tâche ardue. Plusieurs metteurs en scène essayent de supplanter ce manque en tenant le rôle de dramaturges, alors que d’autres ont recours aux adaptations de la littérature universelle. Cet état des lieux a poussé les organisateurs du Festival national du théâtre à consacrer la 14e édition (du 27 au 9 octobre) aux problèmes de la dramaturgie en Egypte, à travers plusieurs débats intensifs. Y a-t-il vraiment une crise? Un manque de dramaturges? Ecrire pour le théâtre intéresse-t-il encore les jeunes? Que cherche un dramaturge? « L’an dernier, nous avons choisi de nous focaliser sur les pionniers du théâtre égyptien, à l’occasion de ses 150 ans. Cette année, nous avons voulu parler des pionniers de l’écriture dramaturgique, mais aussi des nouveaux talents. Le colloque principal du festival traite de tout ce qui est relatif à la dramaturgie: écrire pour le théâtre, égyptianniser un texte, faire une adaptation d’après une oeuvre littéraire, etc.», souligne Youssef Ismaïl, comédien et président du festival.
Ibrahim Al-Husseini a remporté le prix du meilleur texte dramaturgique, l’an dernier, avec Zel Al-Hikayate (ombre des histoires).
Photo: Bassam Al-Zoghby
Les 33 spectacles qui participent à la compétition officielle sont une sélection faite, comme d’habitude, à partir des créations théâtrales produites dans toute l’Egypte, entre septembre 2020 et septembre 2021. Pour la plupart, ce sont des adaptations de la littérature universelle. « La crise des textes théâtraux est un grand mensonge dont on souffre en Egypte. Je pense que les metteurs en scène sont paresseux et ne cherchent pas à creuser pour trouver quelque chose qui leur correspond; ils ne lisent pas les textes jusqu’au bout, pour les juger réellement. Ils optent alors pour l’adaptation des oeuvres littéraires universelles, assez connues. Et ce, pour avoir un succès garanti. Ils misent plutôt sur l’aspect visuel de la présentation », estime le dramaturge Chazli Farah, qui a abandonné l’écriture théâtrale depuis 3 ans, afin de se consacrer à l’écriture dramatique pour la télévision, probablement un domaine plus rémunérant.
Les textes théâtraux de ce dernier versent souvent dans la culture de la Haute-Egypte, là où se trouvent ses origines. Son dernier texte monté sur les planches du théâtre Al-Talia, Harim Al-Nar (femmes de feu), n’est cependant qu’une adaptation de La Casa de Bernarda Alba de Federico Garcia Lorca.
« C’est devenu une corvée pour les dramaturges de proposer un texte et le monter pour le théâtre. Ils doivent d’abord convaincre le metteur en scène, avoir des amis dans le domaine pour lui faciliter la tâche et avoir les autorisations nécessaires pour approuver son texte. La bureaucratie qui sévit dans le champ de la production théâtrale nous fait perdre beaucoup de temps et de droits. Car on finit par payer le minimum au dramaturge », ajoute Chazli Farah.
Frustration des auteurs
Les théâtres de l’Etat et leurs différentes troupes, au Caire comme à Alexandrie, ne produisent pas régulièrement des pièces écrites par le même dramaturge; il y a toujours un décalage de trois à cinq ans entre une pièce et une autre. « Ceci engendre une véritable frustration chez les auteurs. Il n’y a pas de cumulation pour permettre aux critiques et au public d’évaluer leurs expériences. Dans les années 1960, l’Etat soutenait le théâtre et les dramaturges. La production des spectacles était beaucoup plus importante. Et ce, même si les dramaturges de l’époque traduisaient les idées qui avaient le vent en poupe ou celles adoptées par l’Etat. Ils ont réussi quand même à créer des tendances. Par exemple, Alfred Farag puisait dans le patrimoine arabe et dans les Mille et une nuits. Durant le festival, est prévue une table ronde regroupant plus de 20 dramaturges égyptiens, dont Racha Abdel-Moneim, Mahmoud Gamal, Saïd Haggag, Metwali Hamed et Mahmoud Abou-Douma », précise le président du festival.
Concours d’écriture
En fait, les compétitions consacrées à l’écriture théâtrale, organisées par des associations indépendantes ou des organismes du ministère de la Culture, prouvent qu’il y a plusieurs jeunes talentueux, qui peuvent enrichir ce domaine. Cependant, leurs oeuvres sont rarement données sur les planches. « Ghannam Ghannam, membre de l’Institut du Théâtre Arabe (ITA), m’a déclaré que l’an dernier, il y avait dans la compétition d’écriture théâtrale 360 textes présentés par des Egyptiens. Certes, parmi ceux-ci on peut trouver au moins 10 bons dramaturges.
En outre, la compétition organisée tous les ans par la Fondation Sawiris fait émerger de nouveaux talents. Les palais de la culture des différents gouvernorats injectent aussi un sang nouveau. Il est difficile de faire un inventaire regroupant tous les noms actuellement sur scène, surtout que les dramaturges les plus talentueux ne font pas souvent partie des grandes productions des théâtres de l’Etat. Les metteurs en scène et les responsables se contentent de connaître quelques noms et de collaborer avec eux régulièrement », juge Ibrahim Al-Husseini, dramaturge, qui a remporté l’an dernier au même festival le prix du meilleur texte égyptien pour son oeuvre Zel Al-Hikayate (ombre des histoires).
Al-Husseini a présenté en tout quatre spectacles, à travers les planches de l’Etat, tout au long de ses 23 ans de carrière. Ses textes parus dans diverses publications sont montés plutôt par des jeunes, en province, dans les palais de la culture. Plusieurs questions seront donc remises sur le tapis à travers les débats du festival, regroupant tous les acteurs de la créativité théâtrale : metteurs en scène, auteurs, comédiens, entités de production... Et ce, au lieu de se contenter de se lancer la balle, sans assumer ses responsabilités.
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