Si l’art est l’oeuvre des images ; la mémoire est l’oeuvre des histoires. D’ailleurs, une mémorisation n’est possible que par le truchement des « images » et des « lieux », autrement dit par des signes sensibles et iconiques, qui fonctionnent comme des indices.
Dans cette édition de l’Exposition générale, les artistes sollicitent leur mémoire en ayant recours au sentimentalisme, au stéréotype, etc. afin de construire et d’édifier une identité sociale, mais aussi de critiquer et parfois même d’instruire. « Cette édition est une belle occasion pour tous les plasticiens égyptiens afin de présenter leurs oeuvres dans des circonstances exceptionnelles qui ont obligé de nombreuses salles d’exposition à fermer leurs portes », explique Khaled Sorour, chef du secteur des arts plastiques auprès du ministère de la Culture. Cette édition se distingue donc par un nombre d’oeuvres (353) relativement plus grand que celui de l’édition passée (286).
Ces oeuvres s’inscrivent dans un contexte socioculturel où la place de la mémoire collective a des proportions inédites par les commémorations, les célébrations et la volonté de conserver les moindres traces du passé. Cela étant, on a voulu faire parvenir au public des oeuvres artistiques, mettant en avant des perspectives personnelles, des idées, des images et des lieux. La mémoire devient alors un espace d’investigation, et l’art un moyen de cristalliser le cheminement de la pensée.
A la recherche de vérités
Certains artistes tâchent de décrire leurs impressions, voire leurs souvenirs. Une dimension affective et morale qui s’articule autour de la vérité et qui ne révèle pas uniquement une séduction aveugle. C’est le cas à titre d’exemple des deux sculpteurs Georges Sobhi et Ammar Chiha.
Le premier participe pour la première fois à l’Exposition générale et s’y impose avec une statue en bronze d’un clochard dont le visage raconte tant de choses. « Notre champ visuel est envahi par toutes sortes de formes et de couleurs. Je suis toujours attiré par les passants dans la rue. Ils m’inspirent toujours les sujets de mes sculptures », souligne-t-il.
Ammar Chiha, quant à lui, surprend par la statue d’un maire, avec un turban sur la tête, assis dans une posture traditionnelle devant son laptop. La statue est constituée essentiellement de matériaux et d’outils de bricolage, tels les marteaux, les clous, les vis et les ciseaux, le sculpteur a réussi à lui donner une âme et une vie. Une fois le moment de surprise et d’appréciation passé, le visiteur parvient à détecter le sens amer d’une réalité dont la simplicité est déformée par la technologie. Une réflexion morale naît d’un certain trouble affectif et tire sa force de la volonté de clarification qui anime cette oeuvre.
Ainsi, à travers les deux oeuvres de Sobhi et Chiha, on découvre non seulement une vérité, mais aussi une vérité longtemps dissimulée ou minimisée : le sentiment de rendre justice se fait si puissamment ressentir.
Le « land art »
A travers la photographie, Bassam Al-Zoghby révèle la beauté d’un paysage désertique et met en avant le concept du « land art ». Développée aux Etats-Unis à la fin des années 1960, puis en Europe en 1970, cette notion n’a cessé depuis d’inspirer des interventions dans le paysage pour favoriser le retour à une mystique de la nature. Elle dévoile ainsi des signes présents dans la nature. Les artistes du land art revendiquent leur profond attachement à la terre et font partie prenante du processus écologique, en laissant leur trace éphémère sur le paysage. Tel est le cas avec l’oeuvre d’Al-Zoghby.
Constituée de quatre photos, elle a pour sujet un simple déplacement photographié, sous le jeu des lumières et des couleurs. De quoi confirmer que la photographie enregistre le réel et arrête le temps.
Calligraphie et iconographie
L’écriture fait partie des premières traces porteuses de sens laissées par l’homme. Orientale ou occidentale, la calligraphie et l’iconographie sont l’art de la recherche des racines, de la mémoire dans l’écriture. Cette parenté entre peinture et écriture est révélée dans certaines oeuvres comme celles d’Ahmad Ragab Saqr, Ahmad Chiha et Magdi Abdel-Aziz.
La présence du texte à côté de l’image efface la frontière entre l’écriture et l’image. La distribution de la calligraphie et des dessins sur un fond bleu et blanc dans la peinture de Saqr, ou sur un fond noir, blanc et doré dans la peinture de Abdel-Aziz n’est pas sans rappeler les manuscrits arabes. Quant à la peinture de Chiha, elle laisse penser avec ses couleurs noirs et dorés, ainsi que ses icônes et sa pyramide, aux gravures inscrites sur les pierres en Amérique latine.
Dans les oeuvres de ces trois peintres, les caractéristiques picturales des calligraphies ou des iconographies n’ont pas besoin d’être expliquées pour être appréciées. Elles ne demandent pas de connaissances linguistiques particulières, mais plutôt une sensibilité aux images et à la continuité visuelle des couleurs, qui instaurent un dialogue implicite avec les visiteurs.
Sculpture, peinture et imaginaire
Deux sculptures de Mohamad Abla sont placées en rapport avec la peinture dont elles se sont inspirées. Dans ce cas, l’oeil ne se limite pas au tableau. Il refuse d’être enfermé dans le labyrinthe du cadre, pour accéder aux sculptures et les accueillir avec tout l’espace environnant.
La peinture de cactus de Abla avec ses couleurs variées reflète une ambiance joviale, qui s’ajoute à celle de ses deux sculptures. L’entourage n’étant point pour la sculpture un simple lieu, ni même un cadre, mais un écho. Le lieu peint ici et qui se trouve en rapport avec le cactus acquiert une nouvelle conception : le désert n’est plus cet espace aride. La mémoire est donc revisitée pour redonner à l’imaginaire contemporain de nouvelles valeurs.
Monde populaire
La culture populaire a été mise en valeur par plusieurs artistes et sous différents angles. A titre d’exemple, l’oeuvre de Salah Chaabane Hassanein se veut narrative et montre sa fascination pour le monde des couleurs, ce qui la rapproche de l’art populaire. Appliquées avec une technique plate, ses couleurs rendent sa peinture remarquable.
La peinture de Hassan Abou-Bakr raconte un monde débordant d’énergie et de jeunesse, celui du mouled (fête foraine pour commémorer un saint). Vendeurs de thé, balançoires, jeux de tir, haltérophilie … tous se trouvent dans un cadre fait de couleurs vives qui rafraîchissent la mémoire et font surtout sourire.
Art enfantin
Dans l’art enfantin, la technique d’expression suit une démarche personnelle, misant souvent sur la mémoire. Une atmosphère de rêverie, de liberté et surtout d’esthétisme est révélée à travers les oeuvres de Chadi Adib Salama et Mohamad Ghaleb.
Avec des tâches de couleurs naïves, les constructions précises de l’espace chez les deux peintres soulignent une influence imposante de l’art Manga. Au style volontairement simpliste et épuré, les personnages semblent raconter une histoire.
Solliciter la mémoire afin d’intervenir sur l’art, en portant un regard critique, historique, ou esthétique, sur son contenu, ses liens avec l’imaginaire et l’oubli, ou son rapport à l’espace, permet des productions artistiques sur lesquelles on peut méditer, sinon qu’on peut saluer.
Jusqu’à fin août. De 9h à 14h et de 17h à 21h, sauf les vendredis. Terrain de l’Opéra, Guézira. Tél. : 012 245 314 34.
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