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Au-delà du simple langage des fleurs

Névine Lameï, Mardi, 01 juin 2021

L’artiste-peintre Nazli Madkour poursuit sa veine florale commencée en 2011. Elle expose à la galerie Picasso des toiles à l’acrylique et des médias mixtes, cumulant états psychologiques et émotions, et s’exprimant à travers une gamme de couleurs et de compostions contrastées, aux accents fleuris et délicats.

Au-delà du simple langage des fleurs
Des fleurs qui en disent long sur nos états d’âme.

Ce ne sont pas des fleurs au sens propre du mot. Les fleurs de Nazli Madkour et son monde floral de jardinage, de feuillage et de végétation fluviale s’enchevêtrent à travers de belles compositions abstraites, parfois même complexes, avec des couleurs brillamment agencées, invitant à l’imagination, à la méditation et à la réflexion. Et ce, dans un monde de sens et de sensations, miroir des états d’âme et d’émotions humaines multiples.

Cette phase artistique chère à Madkour, liée aux compostions forales, est née il y a une dizaine d’années, avec un premier volet exposé en 2011 à la galerie Ofoq, sous le titre Le Printemps est arrivé. Cette fois-ci, Nazli Madkour poursuit la même veine en livrant ses « Réflexions » à la galerie Picasso.

Il s’agit de toiles qui peuvent aider à gérer le stress, l’angoisse et la dépression, en nous permettant de mieux nous livrer à nous-mêmes, d’observer ce qui se passe en nous, questions de pensées, d’émotions et de sensations. L’artiste invite à vivre dans l’instant présent, non sans ressasser le passé, mais en se tournant vers le futur « incertain et provocateur », tel qu’elle le conçoit.

Elle se prête à une introspection sensorielle, développant la concentration et la sagesse, tout en nous apportant le confort, la joie et le bien-être dont nous avons grand besoin, particulièrement en ces temps de pandémie.

« Je ne fais aucun plan avant de commencer mes peintures, imprévisibles et spontanées. Chacune possède une identité propre dès le moment de sa création. J’aime faire des sur­prises suivant l’inspiration du moment. Mon travail n’est pas de reproduire des fleurs. Les fleurs ne sont, en fait, que les motifs incitateurs de mon imagination », déclare Nazli Madkour.

Celle-ci verse tout d’abord sur la toile une gamme de couleurs qui se mélangent vivement et entrent en réaction avec les diverses compo­santes de l’oeuvre. Ainsi, le jaune est marié au gris, le blanc au noir, l’ocre au bleu, le jaune orangé au rouge … Autant de beaux contrastes de couleurs et de formes florales et végétales, symbolisant les débuts de vie, l’évolution et les cycles … On y voit bouger tout l’univers, lequel est en perpétuel transformation. Les élé­ments du tableau s’enchevêtrent comme dans un tourbillon de la vie, des torrents, des tem­pêtes, mais aussi un arc-en-ciel serein qui offre une sensation d’harmonie, de protection et de paix.

Les fleurs, tantôt flétries tantôt brillantes, se multiplient, meuvent, se fondent et se confon­dent. Est-ce par joie ou par crainte ?! Dans ce contraste de sens, il existe un beau clair de lune ou encore d’éclatants rayons de soleil qui s’em­brassent avec l’espoir d’un avenir meilleur.

Il existe aussi une masse touffue de branches d’arbres et de fleurs entremêlées qui donnent l’impression de voir la silhouette d’un homme quelque part sur la toile.

Nazli Madkour parvient à figer cette lumière lune/soleil, à la renvoyer, à la briser, à la rompre, à la disperser sur les troncs, sur le sol. Elle excelle dans la répartition lumineuse et dans le jeu de contraste qui aide à rehausser le ton, de mettre en relief le jour par la nuit, le chaud par le froid …

Au-delà du simple langage des fleurs
Nazli Madkour livre ses réflexions à sa manière.

Ainsi, toute clarté fait ombre. La création, la vie et le destin ne sont pour l’homme qu’un immense clair-obscur. D’où une variété infinie d’ombres fortes et moins fortes, de parties obscures et moins obscures, éclairées et moins éclairées. « C’est vrai, le figuratif au détail précis s’écroule peu à peu dans mon oeuvre, jusqu’à sa disparition complète. Et ce, pour faire place à tout un monde végétal. Peut-être parce qu’aujourd’hui, à l’ombre du confine­ment et de la distanciation sociale, nous vivons dans une confusion mentale, brumeuse et floue. Peut-être aussi parce que le monde actuel, à cause du virus inconnu, ne me donne pas de consignes claires. Faut-il regarder en arrière ou aller de l’avant ? Faut-il utiliser le passé comme tremplin pour l’avenir ? Mes tableaux soulèvent ce genre d’interrogations sans réponses. Je trouve que le confinement qui bouleverse actuellement notre quotidien force l’homme à se recentrer sur lui-même, à se reconnecter. L’idée est donc de s’adapter à ce qui viendra, à se tourner vers l’intérieur de nous-mêmes, à être en accord avec soi et en harmonie avec notre environnement », explique Madkour, qui s’inspire parfois de la nature entourant son atelier du quartier de Maadi.

L’artiste-peintre ne se lasse jamais d’expri­mer ses rêves et ses visions, de partager ses contemplations à l’égard du monde. Chez elle, l’imprévisible est au coeur du processus de la création marquée avec une grande finesse et une sensibilité féminine.

Ayant débuté sa carrière d’artiste profession­nelle vers la fin des années 1980, elle consacre une grande place à l’improvisation, au moment présent, sans trop s’attacher au résultat. Son but n’a jamais été de copier la réalité, ni d’en créer une, mais de générer une expérience visuelle, de ressentir des émotions.

Méditer, tout un art

Dans ses peintures merveilleusement tra­vaillées avec des couleurs accumulées et des couches pâteuses superposées et denses en acrylique, avec structure sableuse, Madkour s’éloigne du réel pour mieux dévoiler ses émo­tions et son univers interne. Et ce, dans une approche de fragmentation, de juxtaposition et de complémentarité aux vibrations colorées, improvisées, abstraites, mouvementées, et contrastées.

Le relief, la texture, le modelé, l’intensité … tous ces effets sont obtenus chez Madkour par la mise en place de l’ombre et de la lumière, déterminants pour le rendu final de son univers artistique mouvementé de sens, d’expression, de ressenti, et d’émotions très chaleureuses et très intimes.

Le tout donne libre cours à la composition et aux couleurs. Les couleurs vives et lumineuses, tristes et gaies, claires et foncées, chaudes et froides, ne connaissent pas de normes chez elle. Telles sont les variations de la vie telle qu’elle les conçoit.

Ses peintures méditatives d’évocation, inspi­rées de la nature, s’adressent à l’être humain dans ses divers états d’âme, entre mémoires et désirs, passions et solitudes. Cela étant, elle fait de son art un objet de réflexions, d’imagina­tions et d’analyses existentielles.

« Les fleurs ne sont pas peintes intentionnel­lement, elles sont plutôt les représentantes de mes sentiments intérieurs qui varient de manière différente d’une toile à l’autre. Elles s’agencent différemment d’une toile à l’autre en fonction de mes propres états d’âme, qui se renouvellent et changent », souligne Nazli Madkour.

Sur une toile, de délicieuses roses se mêlent d’anxiété. Il y a des couleurs floues et d’autres gaies. On passe de peintures ténébreuses, par­fois paisibles et délicates, à d’autres aux cou­leurs jaunes orangées, très bouillonnantes et flamboyantes. On passe d’une surface lisse et une autre plus rude, du clair à l’obscur, du vif au calme, du turbulent à l’apathique, de la réa­lité à la fiction, du lyrisme romantique et au style dramatique tantôt doux tantôt violent, tantôt piquant tantôt suave.

Son jardin secret

L’ensemble nous plonge dans le jardin secret de Nazli Madkour, nous emmène dans des voyages intérieurs, de tourmentes, de zèles, de labeurs, de joie, de fragilité, de brièveté de la vie, de beauté éphémère, de délicatesse, d’es­poir ou de chagrin …

L’artiste transcende le réel ténébreux qui pèse sur elle pour mieux le restituer. Et ce, en offrant à ses peintures au niveau de la forme et des couleurs, des solutions positives, apaisantes, optimistes, et reposantes à souhait. Le tout se joue en contraste sur des tonalités complexes et embrouillées. Un contraste qui mène les visi­teurs de l’exposition à se sentir désorientés. « Bien que je sois une personne optimiste, cette désorientation, voire cette confusion bien res­sentie dans mon art, m’est évidente. D’ailleurs, je ne finis pas ma toile en un seul jour. Mais une toile est le fruit de cumulations psychologiques, d’états émotionnels que j’entasse sur une même surface, ce qui affecte le produit final », conclut Madkour, qui ne cesse de nous confier des moments poétiques et méditatifs.

Jusqu’au 11 juin, de 10h30 à 21h (sauf les dimanches). 30, rue Hassan Assem, Zamalek.

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