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Jorj Abou Mhaya : Le principe d’Alephia 2053 est de sombrer dans le réel, mais de naviguer dans le fantastique

Propos recueillis par Dina Kabil, Mardi, 18 mai 2021

Le film d’animation Alephia 2053, diffusé sur YouTube, a réalisé un grand succès. et réalisateur libanais Jorj Abou Mhaya revient sur les procédés d’illustration à la réussite de son oeuvre. Entretien.

Alephia 2053

Al-Ahram Hebdo : Réaliser un film d’animation purement arabe est un rêve qui a tenté plusieurs artistes. Comment l’idée est-elle née et comment avez-vous pu la concréti­ser ?

Jorj Abou Mhaya : Les chefs-d’oeuvre que nous voyons toujours réalisés par Disney exi­gent bien évidemment une industrie de l’ani­mation. Dans le monde arabe, nous avons des essais ici et là, mais non pas une industrie. Les bédéistes arabes doivent joindre de grandes institutions pour développer leurs talents. Nous avons une histoire de cinéma en Egypte et au Liban, mais les tentatives d’animation restent très modestes. Nous avons eu recours dans Alephia 2053 en partie, à l’expertise française. Le film est né grâce à un petit groupe de 6 personnes; l’idée principale est celle de Rabi' Sweidan. C’était un grand défi de pouvoir faire une heure et demie de dessins animés. Nous n’avons pas baissé les bras, mais nous nous sommes appliqués sur la pré-production, c’est-à-dire toutes les prépara­tions des personnages, la construction du monde imaginaire d’Alephia 2053 ; nous avons commencé par avoir un plan du film. C’est ce qu’on appelle la bible de l’animation avec tous les détails des cadres, 70% du tra­vail était conclu, puis nous avons suivi les détails de près avec le studio pour la produc­tion de l’animation.

Vous avez déjà une bande dessinée intitulée Ville avoisinant la terre, qui aborde également la thématique de la ville imagi­naire …

— C’est mon premier album, il est centré sur la vie dystopique à Beyrouth et a été réé­dité à Paris. A l’époque, le mouvement social venait de commencer au Liban, c’était une coïncidence. Rabi' et moi sommes hantés par l’idée de la dystopie, mais cette fois-ci, dans le film d’animation, il s’agit d’une vision futuriste.

Une vision futuriste et dystopique d’une ville du monde.
Une vision futuriste et dystopique d’une ville du monde.

— A propos de la conception des person­nages que vous avez dessinés, il est facile de repérer des ressemblances avec un Bachar Al-Assad ou un Nasser. Malgré le regard futuriste annoncé, cela donne l’impression que vous êtes encore pris par le passé ...

— C’est un monde imaginaire, on se pro­jette dans l’avenir. Nous avons pensé à des personnages qui ressemblent à tous ceux que l’on connaît comme despotes ou comme des personnages charismatiques. L’important est que le portrait du personnage ne ressemble pas à un type en particulier, qu’il soit plus général, un résumé des caractéristiques de ce genre de personnages si l’on ose dire. Mais le plus intéressant, c’est que chaque spectateur y a trouvé le modèle qui le harcèle.

— Il s’agit d’une dystopie dont la fin est trop optimiste… Est-ce que c’est votre rêve de voir réussir la révolution du peuple ? Comment l’avez-vous pensée ?

— L’important pour moi ce n’était pas uni­quement d’être réaliste, mais que la pièce d’art soit cohérente et convaincante. Le Printemps arabe n’a pas mené uniquement à des fins désastreuses. Je pense qu’il se pour­suit, mais avec des hauts et des bas. Les news nous apportent beaucoup de pessimisme, le principe du film est de ne pas sombrer dans le réel, mais de naviguer dans le fantastique. Une révolution n’est pas réussie sauf si les masses en font partie, y compris l’armée qui fait partie des gens. Vous avez raison que la fin est un peu simple, mais nous avons voulu aussi montrer nos rêves et nous éloigner du poids du réel.

— Comment était l’expérience du lance­ment du film sur YouTube ?

— Les chaînes de télévision dictent leurs conditions; la plateforme électronique est donc une solution idéale pour nous, puisqu’un film est, par définition, conçu pour atteindre tout le monde. Les coûts sont incomparables à n’importe quelle production de long métrage, et non pas seulement par rapport aux films d’animation. Les coûts d’Alephia 2053 n’ont pas dépassé les 10% de ce type de pro­duction.

— Pensez-vous que ce soit une solution idéale pour les jeunes cinéastes? Serait-il facile de couvrir les coûts de la production ?

— Le côté budgétaire repose sur la stratégie de la compagnie, mais je ne pense pas que le but de toutes les productions soit forcément de réaliser un gain matériel. Sur trois ou quatre grandes oeuvres, une boîte de produc­tion peut se permettre de faire une pour le plaisir. C’est comme s’il était question de petites aventures d’expérimentation qui per­mettent de se lancer dans de grandes produc­tions. Le mot d’ordre ici est la passion: toute l’équipe d’Alephia 2053 a travaillé avec beau­coup de passion dans le but d’accomplir ce projet. La réussite du film a été foudroyante, complètement inattendue, avec plus de 1,2 million de vues durant les 5 premiers jours, depuis le lancement du film, aujourd’hui nous sommes arrivés à 8 millions de vues sur YouTube. C’est incomparable avec tout mon travail avec l’édition française! Cela nous encourage à faire d’autres projets sur YouTube bien évidemment.

— Quel est votre prochain projet ?

— Je travaille actuellement sur un grand album de bande dessinée. Ce sont des anec­dotes sur des choses que j’ai vécues au Liban ; je raconte donc mes propres histoires, les expériences avec Rabi' Sweidan, le film, mes oeuvres de peinture, mes caricatures. Je raconte aussi l’histoire de Beyrouth.

A propos du réalisateur

Jorj Abou Mhaya est un dessinateur et peintre libanais né à Beyrouth pendant la guerre civile. Avant de s’intéresser à la bande dessinée, il a commencé par peindre. Il devient ensuite caricaturiste et illustra­teur pour de divers journaux et agences de publicité à Beyrouth et au Moyen-Orient. Ville avoisinant la terre, son premier album publié en langue arabe aux éditions Dar Onboz, a remporté le prix du meilleur album au Festival international de la bande dessinée d’Alger.

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