Madad (louange à Dieu) est le titre choisi par trois artistes plasticiens, la Libanaise Rana Chalabi, l’Egyptien Mohamed Hassan et le Britannique Osman Young, pour leur nouvelle exposition à la galerie SafarKhan. Ensemble, ils partagent un esprit communautaire, ouvert et bienveillant.
Délicatement peint comme des appels à la louange, l’art Mixed Media, sobre et subtil de la peintre libanaise Rana Chalabi, qui réside actuellement au Caire, s’inspire pleinement du sens du mouvement, du tournoiement derviche, voire de cette forme de méditation active, à esprit soufi. Ses oeuvres sont accentuées par des formes en mouvement bien contrastées. Mouvement, mais aussi tension, puissance, contrastes, touches et couleurs. Le tout promeut le coeur et la passion, l’irrationnel et l’imaginaire, le physique et le spirituel, le désordre et l’exaltation, le sentimentalisme et le mysticisme, l’émotivité et l’ésotérisme. Telle est la magie de l’art de Rana Chalabi. Ses inspirations artistiques puisent dans le livre Al-Masnawi du poète mystique persan Djalaleddine Al-Rumi, lequel a profondément influencé le soufisme. A savoir que dans sa résidence cairote, Rana Chalabi vit dans une péniche sur le Nil, de quoi trouver dans ses peintures aquarelles, créées avec cette sensation d’être en dehors de la ville, la tranquillité, le calme et le bien-être. Autant de caractères sereins sans inquiétude ni angoisse, sans agitations ni dispersions. Nourrie par l’héritage du constructivisme et opposée au réalisme, Rana Chalabi fonde, dans son art, un rapport à l’abstraction qui passe par une recherche de la pureté et la simplification à travers l’utilisation des formes géométriques. Voici des cercles, des carrés, des rectangles, des triangles …, ainsi qu’un usage maximum de couleurs. Les abstractions géométriques dans l’art de Rana sont disposées en aplat dans un espace bidimensionnel. Une manière de confirmer à nouveau le mouvement. Voici en grand nombre, à l’exposition Madad, des scènes de la ville du Caire, notamment le Vieux Caire fatimide, des mosquées, des paysages, des oasis, des ruelles, d’anciennes portes, des maisonnettes rurales et désertiques, des voûtes … Autant de motifs populaires aux ornementations islamiques … Voici tout un Caire peint dans une ambiance ramadanesque et enjolivée par son héritage ancestral, que Rana recompose et décompose à sa manière. Un Caire qui vit dans le désordre et le chaos, mais aussi dans l’intimité et le bonheur. L’essentiel pour Rana Chalabi, c’est de créer un sens profond à son art communicatif, sans être submergé ni de détails ni de narration visuelle réaliste.
Le mot Allah différemment calligraphié par Mohamed Hassan.
Et comme c’est autour du mouvement que pivote son art, le cercle en tant que forme géométrique est omniprésent. Du point de vue purement symbolique, le cercle représente pour l’artiste une certaine forme de perfection, grâce à sa symétrie et son absence d’aspérité. Chez Rana, le cercle, qui est l’une des premières formes tracées par les êtres humains, n’a ni commencement ni fin, ce qui en fait un symbole universel d’éternité, de perfection, de divinité, d’infinité et de beauté. « La beauté est l’émanation de l’être lui-même dans toute sa perfection, dans la splendeur de son équilibre, de son harmonie et de son bonheur. La beauté est métaphysique », écrit Rana Chalabi dans le dépliant de l’exposition Madad. Chez elle, le cercle côtoie le carré, il symbolise l’Humain. Le carré et le cercle sont indissociables dans son art. Il n’y a pas de cadre sans que quelque chose d’humain et de relationnel y vive. Dans son art de spiritualité et de musicalité, Rana Chalabi croit fort à la force des repères. Un art qui se contente, dans ses dessins-peintures composés, à chaque fois d’une seule et même ligne qui se forme et se déforme, s’érige et se dirige pour nourrir l’imaginaire de son récepteur. Et ce, afin d’explorer l’univers de la continuité. L’art de Rana Chalabi, cette disciple du grand architecte égyptien Hassan Fathi, est construit et créé en fonction de son expérience et de ses compétences en ingénierie et en art architectural, couronnées par un diplôme en architecture et en art, en 1981, de l’Université américaine de Beyrouth.
La transe des mots
Maître de calligraphies arabes et disciple de l’orfèvre de la belle écriture coranique, Mahmoud Ibrahim Salama, l’Egyptien Mohamed Hassan expose ses oeuvres dans Madad. Il est conseiller chargé de la restauration et de la préservation des manuscrits à l’Institut des manuscrits arabes du Liban et à l’Académie internationale des sciences et techniques. L’art de Mohamed Hassan est un « art lumineux » qui, riche en couleurs et en formes, en styles et techniques, est capable, dans son mysticisme, de s’adresser à l’âme comme d’accéder à la rencontre immédiate de Dieu. L’art de Mohamed Hassan est un art de calligraphies arabes stylisées mariant l’esthétique au spirituel, la peinture aux écritures calligraphiques, le plus souvent cursives et souples, élégantes et légères, précises et fines. D’ailleurs, le style diwani, connu pour l’élongation des caractères et son allure ornementale prononcée, est celui que décrit par excellence l’art de Mohamed Hassan. Un art qui marie la calligraphie à la peinture, qui n’est pas une vaine création d’objets qui se perdent dans le vide, mais une puissance qui a un but et doit servir à l’évolution et à l’affinement de l’âme humaine et son élan vers son extase mystique et son bonheur absolu. Ornées, amples, faciles à lire et à usage décoratif, les écritures calligraphiques de Mohamed Hassan communiquent aisément un art riche en signes, en symboles, en spiritualité et en solipsisme métaphysique. Le calligraphe s’inspire du recueil de sentences spirituelles intitulé Al-Hikam (sagesses) d’Ibn Attallah Al-Iskandari, maître du soufisme et de la tariqa (l’ordre) des Shadhilis, ainsi que de quelques extraits du traité de l’Amour d’Ibn Arabi. Voici autant d’écritures calligraphiques aux vibrants témoignages sur l’amour spirituel, le soufisme et la sainteté en islam. L’imagination joue un rôle prépondérant dans l’art de Mohamed Hassan qui reflète à sa manière calligraphique exotérique la beauté des arts islamiques ésotériques.
L’habileté de Osman Young de métamorphoser de simples lettres en de merveilleux mots d’art.
Avec l’harmonie des mille et une courbes imaginées à sa manière, le calligraphe britannique Osman Young reprend sa plume alerte et précise pour s’atteler, avec une perfection intacte, à la rédaction de versets coraniques en thuluth, l’écriture à ses yeux la plus « difficile, mais aussi la plus belle ». Une manière de la part de Young de créer un art calligraphique exemplaire et émotionnel. C’est depuis son travail en tant que pédagogue au British Council, en 1984, que Osman Young réside au Caire et embrasse la voie soufie. Brillamment innovés, avec grande audace et originalité, les versets coraniques soigneusement sélectionnés par Young, pour ses calligraphies monumentales, constituent pour lui une riche source d’inspiration. Un art qui permet de métamorphoser de simples lettres en de merveilleux mots d’art. Motrice fine, équilibre du caractère, délicatesse et souplesse des courbes, netteté et force des lignes droites et géométriques, coufiques anguleuses et cursives arrondies, traits fins et épais, majuscules et élégants, fraîcheur et audace, contraste du plein et du vide … Le tout singularise l’art calligraphique de Osman Young, régi par une palette de couleurs pastel, claires et tendres. Des couleurs qui s’émergent d’innombrables aventures calligraphiques, dans une sorte de transe mystique communicative relaxante, agréable et contemplative.
Madad, jusqu’au 11 mai, tous les jours, de 10h à 17h et de 19h30 à 22h (sauf les dimanches) à la galerie SafarKhan, 6, rue Brésil, Zamalek.
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