Les locaux du Palais Aïcha Fahmi (Centre des arts) bondent de vie. De nombreux visiteurs portent des masques et font la queue pour pouvoir pénétrer dans les salles d’exposition du palais qui accueillent ces jours-ci les oeuvres du vétéran sculpteur et artiste égyptien Adam Hénein, décédé en mai 2020. L’exposition est une coopération entre le secteur des arts plastiques du ministère de la Culture et la Fondation Adam Hénein. Cette dernière, créée par Hénein lui-même, s’occupe de son musée à Harraniya, où il a vécu, et de son prix annuel pour les jeunes sculpteurs qu’il avait lancé il y a quelques années.
A l’entrée des salles d’exposition annexées au palais, Le Silence, une grande statue en bronze signée par Hénein, montre une personne assise en pleine sérénité, voire même piété. A côté de la statue, sur le mur, s’affiche en graphisme la signature d’Adam Hénein. Le Silence est l’hôte qui accueille le public et lui propose de voyager dans le monde de ce vétéran artiste, décédé à l’âge de 91 ans. Cette statue en bronze, créée en 2005 pour l’exposition rétrospective de Hénein au Palais Taz, témoigne de la simplicité et l’abstraction fine de l’artiste qui s’inspire souvent des sculptures de l’Egypte Ancienne.
L’atelier d’Adam Hénein.
Passant aux salles d’exposition, tout un monde s’ouvre à nos yeux. Avec le fusain, Adam Hénein se révèle être un peintre et un dessinateur au style particulier. Ses tableaux dépeignent avec souplesse et subtilité le corps féminin. Hénein réduit les rondeurs, les courbes et les détails. Les contours du corps se transforment en une étoile abstraite. Les corps des femmes allongées varient. Quelques symboles comme la croix ou le croissant attribuent à ces corps leur sensualité et leur féminité. Les nuances de gris révèlent les états d’âme de ces femmes.
Ces tableaux en fusain nous introduisent à d’autres statues en bronze pour d’autres femmes dans la même salle, comme Hamélate Al-Qolla (la porteuse du jarre, 1950), La Fille du cheval (1990), Hamélate Al-Safiha (la porteuse d’un récipient en étain, 1953), La Mère (1972), La Chanteuse (1968) … Ce sont des femmes que Hénein a retrouvées dans son entourage et dans ses origines rurales. Créées au Caire ou à Paris, où il a résidé pendant une vingtaine d’années, les images de ces femmes de la culture égyptienne sont bien gravées dans sa mémoire.
Causer avec Hénein
Flirtation.
En s’approchant de la salle du centre, on entend la voix du feu Hénein disant: « Je ne suis pas une école et je n’ai pas de transition dans mon art. Je fais simplement ce que je veux ». L’artiste résume sa spontanéité et sa versatilité dans un entretien vidéo fait par Gamal Hosni, directeur des expositions et des collections artistiques à la Bibliothèque d’Alexandrie, quelques mois avant sa mort. Cette salle du centre est une représentation réelle de son atelier et maison à Harraniya. Dans la salle, on retrouve son sofa et ses deux fauteuils classiques. Pendant longtemps, il y accueillait ses amis et ses proches et restait à causer avec eux pendant de longues heures. On contemple aussi son support de dessin et un ancien sketch, ses anciennes photos en noir et blanc. Dans un site privilégié, il y a le portrait en sculpture et un autre en peinture de sa femme Afaf. Dans une vitrine, on retrouve son cartable, sa veste, son casque, ses chapeaux et bérets, ses chaussures et son large djellaba d’Assouan. Au-dessus de la porte de l’atelier, une oeuvre en calligraphie cadrée dit Al-Hemma min Al-Imane (le bon effort fait partie de la foi). Ainsi, Hénein appréciait son art, son travail et sa créativité. Et lui, il les a parfaitement incarnés dans sa vie d’artiste. Avec sa voix qui résonnait dans la salle, Hénein est là, invitant tout récepteur à causer avec lui.
Un artiste multidisciplinaire
Le Silence.
Dans une autre salle, des sculptures variées en bronze de chats nous surprennent par leurs corps simples avec quelques rondeurs et sans détails. Hénein résume dans ces sculptures un mouvement latent, une position et une forme souple comme dans Flirtation (rencontre). Certains visiteurs touchent ces chats, prennent des photos avec eux, etc. Les chats de Hénein diffèrent en forme et en couleur. Ils sont vivants aux yeux du public. Sur quelques fresques avec des couleurs en cire, Hénein reproduit l’âne, le cheval et son rapport avec la nature ou avec l’homme. Il était un contemplateur des mouvements des animaux et jouissait de les traduire dans ses tableaux et ses sculptures.
La nature est pour Hénein son plus doux refuge et sa source d’inspiration inépuisable au niveau technique et au niveau artistique. En ayant recours aux papyrus, très répandus dans la peinture dans l’Egypte Ancienne, il traduit différentes formes de fleurs.
Le portrait en bronze de Salah Jahine remonte à l’année 1961. Derrière le portrait sont accrochées les illustrations faites par Hénein pour les Robaïyate de Jahine. Tout est bien mis en agencement. Dans le même palais et en parfaite harmonie avec sa décoration classique, le public découvre d’autres facettes de Hénein. Des sculptures à texture rude comme Raha (repos), ou encore La Mère du martyr ou Zeinab … ce sont des sculptures qui datent des années 1950 où le jeune Hénein s’est lancé dans sa carrière artistique en reproduisant des oeuvres révélatrices de son Egypte. Dans Repos, il s’agit d’un paysan en repos. Il se trouve allongé et son djellaba enveloppe son corps. La Mère du martyr est une sculpture qui symbolise le concept de la maternité. Une femme porte le corps de son enfant. Son visage traduit sa peine et son chagrin et touche bien le public. Quant à Zeinab, il s’agit d’un portrait d’une jeune fille délicate.
La peinture et le collage avec des figures féminines abstraites, des créatures fantastiques, des plantes et des insectes représentés sous diverses formes géométriques témoignent de la richesse de l’univers de Hénein. Dans ses oeuvres en deux dimensions, il y a un beau dialogue entre l’horizontal et le vertical, entre le temps et l’espace, le ciel et la terre, la masse et le vide, le clair-obscur, la stabilité et le mouvement. D’inspiration pharaonique et rurale, les compositions géométriques allusives de Hénein ont quelque chose de très égyptien, simulant le passé et le présent, le céleste et l’humain, le paradisiaque et le charnel. Hénein, avec quiétude, sagesse et savoir-faire, part à la recherche de l’équilibre, du confort et de la paix. Il suffit de contempler ses peintures intitulées Qamar 14 (belles comme la pleine lune) et Equilibre. Dans la première, trois corps de femmes sont dressés debout. Il n’y a aucun trait de visage. Les corps colorés évoquent des tailles fines de ces femmes séduisantes. Dans Equilibre, l’artiste joue avec les formes géométriques. Une forme en noir est divisée en deux par des lignes droites. La forme est presque brisée, mais elle maintient son équilibre.
Les mystères de création
Qamar 14 (belles comme la pleine lune).
Sur certains peintures et collages, les formes géométriques ne sont que des symboles à la vie. La forme pyramidale est symbole de stabilité. Le cercle signifie l’homme, pour susciter la confusion et l’anxiété. Et les étoiles? Ce sont peut-être le sommet enfin atteint! Autant de repères pour des peintures abstraites. Des peintures qui invitent le public à déchiffrer leurs codes. Interaction et imagination créative sont réclamées. « Mes peintures se penchent sur les mystères de la création (histoire de plantes, d’insectes, de créatures humaines…) et sont basées sur l’inspiration que la mère nature me procure, à tout moment et en tout lieu, face à la vie et ses multiples mutations, au quotidien », soulignait l’artiste, il y a quelques années, dans l’une de ses expositions. Ce voyage avec une sélection de 150 oeuvres jette simplement un coup d’oeil sur l’art de Hénein. Mais d’autres voyages sont à attendre pour découvrir le monde de Hénein et ses secrets .
Le Voyage, jusqu’au 5 juin, tous les jours de 9h à 21h. Au mois du Ramadan, de 9h à 14h et de 20h30 à 23h30 (sauf le vendredi), au Palais Aïcha Fahmi (Centre des arts), 1 rue Al-Chaër Aziz Abaza, Zamalek.
Lien court: