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Mère Courage et ses enfants, version égyptienne

Yasser Moheb, Dimanche, 28 mars 2021

Tuk-tuk, premier court métrage du jeune réalisateur et scénariste Mohamad Kheidr, a représenté l’Egypte à la dernière édition du Festival de Clermont-Ferrand, qui a pris fin en février dernier. Plongeant dans le quotidien d’une mère de famille, l’oeuvre rend hommage à toutes les femmes battantes du pays.

Mère Courage et ses enfants,   version égyptienne
Les défis d’une chauffeuse de tuk-tuk.

Il faut l’admettre : rien n’est plus difficile que de faire tenir une ligne directrice dans un court métrage; et c’est ce qu’a réussi le jeune réalisateur Mohamad Kheidr dans sa première oeuvre.

Tuk-tuk rejoint la liste des films à caractère social, abordant la vie des gens ordinaires. En plus de dresser un portrait réaliste et sans trop de fioriture, le film fait découvrir un beau personnage fort attachant, confronté à divers tiraillements causés par une société oppressante. Il traite de la condition des femmes, victimes de leurs situations familiales et conjugales, et dont certaines se trouvent obligées de subvenir aux besoins de leurs familles et acceptent même de s’endetter pour aider les siens.

Abandonnée par son mari, Walaa, une mère de famille de 34 ans — interprétée par la comédienne Ilham Wagdi— est justement une femme qui essaie de survivre, en conduisant un tuk-tuk, petit véhicule à trois roues pouvant transporter deux ou trois personnes et très répandu dans les quartiers informels. Et ce, afin de pouvoir gagner son pain et celui de toute sa famille, surtout face à la nonchalance et à l’antipathie de son mari. Ce dernier a fini par opter pour l’immigration clandestine, ce qui lui a coûté la vie. Mais, puisqu’un malheur ne vient jamais seul, Walaa se trouve vite en proie aux différents genres de marginalisation et de harcèlement de la part des chauffeurs de tuk-tuk, qui la considèrent comme une intruse à leur monde. L’un d’entre eux ira jusqu’à vouloir détruire complètement sa vie.

Basés sur une histoire vraie, le scénario et les dialogues coécrits par Chérif Abdel-Hadi et Mohamad Kheidr constituent une critique acerbe et indirecte de l’autorité masculine, qui pousse la femme à livrer bataille contre une société patriarcale. Le soutien des autres femmes va lui donner le courage d’avancer. Toutefois, elle essaie de ne pas perdre sa nature féminine sous le poids des fardeaux quotidiens.

Du style dans le récit et le filmage

Mère Courage et ses enfants, version égyptienne

Pas de naturalisme moralisateur donc chez Kheidr, mais un réalisme qui va observer la complexité du réel au-delà des apparences simplistes et des jugements clichés. Avec autant d’embrasement dans le récit que dans le filmage, le métrage essaie de saisir les différents hésitations, chutes, antagonismes, inaptitudes et tactiques, au sein d’une cellule familiale, mais aussi au sein d’un monde de marginaux et de démunis.

On se trouve face à une femme qui réagit avec courage, qui défend sa vie et celle de ses enfants, avec détermination, et qui persiste avec espoir. On ne l’oubliera pas, même après que le générique de la fin est tombé, puisque la fin reste ouverte, faisant allusion à son avenir, ou plutôt à sa prochaine crise. Car à la fin du film, on écrit sur l’écran que le nombre des mères « endettées » en Egypte augmente. Walaa n’est que l’une de ces dernières qui, endettées pour nourrir leurs familles, vont jusqu’à aller en prison. Elle doit débiter 35000 L.E. pour couvrir le prix de son tuk-tuk et a du mal à les rembourser.

Axé sur le thème des femmes opprimées, le film regroupe de petites tranches de vie bornées à une cellule familiale précise, mais on reste toujours au plus près des personnages. Le réalisateur se permet parfois quelques parenthèses d’humour pour dédramatiser la situation, d’où les plaisanteries partagées par la mère et ses enfants, ou son frère, ancien chauffeur de tuk-tuk.

La courte durée du film — 26 minutes — ne permet pas au réalisateur-scénariste de traiter avec profondeur la condition des marginaux, notamment les femmes, en Egypte, et ce n’était sans doute sa véritable intention.

Vices traditionnels des premières oeuvres

Le métrage porte presque les vices traditionnels souvent fréquents dans les premiers films. A savoir : l’entassement des idées et des thèmes, ou plutôt ce qu’on peut appeler « le bavard thématique ». Ici, cela se traduit par l’hommage à la femme, la critique du patriarcat, l’immigration clandestine, le surendettement des plus pauvres, etc.

Côté interprétation, l’actrice principale de l’oeuvre, Ilham Wagdi, une ancienne Miss Egypt qui passe sa première expérience en tant qu’actrice, peut paraître assez aristocrate pour un tel personnage issu d’un milieu très populaire. Cependant, elle essaie d’avoir l’air crédible tant que possible. Presque tous les autres acteurs sont bien présentés ; ils excellent tous à incarner leurs personnages avec une certaine fraîcheur.

Nonobstant ses quelques défauts, le long métrage se tient droit jusqu’à sa fin pour tenter de donner du souffle à l’histoire. Et c’est peut-être le mérite d’un drame social, qui n’est ni très original, ni très doux, mais qui croit en lui-même et en ses personnages.

Bref, le réalisateur Mohamad Kheidr nous offre un premier court métrage enthousiasmant dans l’ensemble, promettant une carrière que l’on suivra de très près.

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