
Le récit des sept dormants trouve une résonnance tant dans le christianisme que dans l’islam.
Ces gens qui sortent de la caverne en croyant avoir dormi au plus une journée, mais en réalité, ils ont sommeillé pendant de longues années, ne ressemblent-ils pas à bien des peuples qui se sont engouffrés dans l’abîme ? En séjournant en Egypte au début des années 1970, après une période d’absence, et surtout au lendemain de la défaite de 1967, l’artiste-peintre Hamed Abdalla ressent le besoin d’une résurrection des corps et des esprits. Fils de paysans, il avait quitté son pays natal dans un climat plus laïcisant, plus soufi, afin d’échapper à l’autoritarisme de Nasser, qu’il a pleuré depuis son exil en France, à sa mort, un an auparavant.
Après la défaite, il a peint avec acharnement pour lutter contre la dépression, réalisant jusqu’à des dizaines de toiles en une journée. Et puis, face au conservatisme religieux qui a pris de l’ampleur sous Sadate, il a commencé une série d’oeuvres intitulée Les gens de la caverne, en référence à la sourate XVIII du Coran. Il y a recours à la lettre arabe, à la calligraphie orientale et à des versets coraniques pour véhiculer ses messages, souvent à portée politique.
Depuis la fin des années 1950, il avait commencé à introduire la calligraphie arabe dans ses oeuvres, se livrant parfois à des improvisations graphiques, à partir d’écritures sacrées ou de l’invocation du nom de Dieu. Ainsi, il a pu transformer les mots arabes en êtres plastiques, ayant leur physionomie propre.
Les trésors des grottes

Les formes mystérieuses des grottes donnent libre cours à l’imagination.
A travers des formes inclinées et enchâssées les unes dans les autres, inspirées des grottes qu’il a visitées au sud de la France vers 1974, il nous donne l’impression, dans la série Les gens de la caverne, de rentrer dans les entrailles de la terre. Il avait été très marqué par l’incroyable variété de cristallisations, les concrétions naturelles magnifiées par les jeux de lumière, les peintures d’animaux préhistoriques et les mystères de l’art pariétal. Cela transparaît dans ses oeuvres à l’acrylique et technique mixte sur papier qui sont montrées, pour la première fois, dans le cadre de l’exposition collective Mouannas (féminin), organisée par Art d’Egypte, dans un appartement du passage Kodak, au centre-ville du Caire.
Héritier des pharaons, Abdalla (1917-1985) est parmi ces artistes qui cherchent leurs sources d’inspiration dans un passé lointain, et ce, peut-être pour contrebalancer le sentiment de menaces apocalyptiques présentes ou à venir. Cela étant, il a trouvé son euphorie dans le récit des sept dormants, qui se réfugient dans une caverne pour échapper à la persécution romaine des chrétiens. Il a été fasciné par l’intertextualité du récit, puisqu’on le retrouve dans le sermon grec d’Etienne, évêque d’Ephèse, dans les manuscrits syriaques, dans le christianisme et dans l’islam. Et l’artiste, qui a toujours effectué des recherches sur les textes anciens remontant même au Livre des Morts et Akhenaton, a su saisir ces résonnances lointaines ou les correspondances entre les diverses croyances, pour souligner le symbolisme de l’histoire et le besoin d’une résurrection. Plus encore, il s’en est servi pour évoquer la réalité sociopolitique des années 1970 ; d’ailleurs, il a continué à travailler sur la série en question jusqu’en 1978.
Il a suivi ainsi les pas de plusieurs grands noms de la peinture lesquels ont fait référence à l’art des cavernes, pour faire voir le présent par le prisme du passé ou insinuer que le futur se trouve dans l’Histoire. Et ce, même s’ils n’explicitent pas la dimension politique des oeuvres. Hamed Abdalla était contre la politique d’ouverture économique adoptée par Sadate et contre la signature des accords de Camp David, jugeant qu’ils ont mené à l’isolement du pays. Il a alors sillonné les capitales arabes entre 1979 et 1983, comme pour briser cet isolement, avant de préparer son retour en Egypte et de chercher à s’y installer. Il comptait tenir une exposition à partir de la trentaine d’oeuvres, actuellement exposées, il en a même fait la sélection. Cependant, il a été atteint d’un cancer à l’oesophage et fut obligé de se faire hospitaliser en France où il décéda le dernier jour de l’année 1985.

Des mots qui nous parlent encore et toujours.
Jusqu’au 12 avril, 20 rue Adli, 1er étage, centre-ville du Caire. De 12h à 16h, et de 17h à 22h, sauf le dimanche.
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