C’est bien clair : les films d’horreur et les films fantastiques n’ont cessé de repousser les limites du genre, ces quelques dernières années, pour toucher un public de plus en plus large en Egypte comme partout dans le monde. Récemment, les films d’épouvante exploitant les écrans se sont multipliés, suivant logiquement les évolutions du genre dans ses différentes idées et techniques.
Du film Ahlam Haqiqiya (de vrais rêves) réalisé par Mohamad Gomaa, aux deux adaptations selon les romans d’Ahmad Mourad : Al-Fil Al-Azraq (l’éléphant bleu) et Torab Al-Masse (poussière de diamant) réalisés tous les deux par Marwan Hamed, en passant par Mantéqa Mahzoura (région interdite) de Mohamad Fikri et par 122 de Yasser Al-Yasseri, les films fantastiques et d’épouvante gagnent de plus en plus de terrain.
En l’absence de blockbusters dans les salles à cause de la pandémie et à la suite du report constant de la sortie de nouveaux films, certains distributeurs ont néanmoins accepté de sortir leurs films d’horreur et de suspense en ce début d’année 2021, offrant aux salles obscures plus de chance d’attirer un public en quête de frissons et de sensations fortes !
Malédictions, faits paranormaux, chasse à l’homme, possession ..., les amateurs des films du genre ont de quoi se régaler.
D’abord, il y a l’oeuvre dont la sortie est la plus récente Qabl Al-Arbéïne (avant le 40e jour du décès), signée Moataz Hossam et écrite par Ahmad Osman. Basé sur une histoire vraie, selon les termes du scénariste, le film se déroule dans un cadre dramatique assez classique, celui du monde des djinns et des spectres menant des actes surnaturels. Il s’agit d’une maison de famille, regroupant entre ses étages et appartements deux frères et une soeur qui viennent d’hériter cette maison au lendemain de la mort de leur père, suivie de celle de leur soeur, interprétée par Dalia Moustapha. Ils ont trouvé cette dernière étranglée, après avoir empoisonné son mari ! Les événements s’enchaînent et l’on découvre qu’elle était possédée par l’un des démons hantant la demeure familiale.
Ces démons étaient surtout incarnés par le vieux gardien aveugle et sa femme. Le seul rescapé qui a échappé à la malfaisance des djinns fut le fils de la jeune « étranglée », qu’interprète le jeune Moataz Hicham. Il voit souvent le spectre de sa mère, notamment au rez-de-chaussée de la maison, lui répétant qu’elle restera à ses côtés 40 jours après sa mort, ensuite, elle disparaîtra de sa vie. Elle le pousse à se faire protéger en portant des talismans, mais ceux-ci ne vont pas empêcher l’avènement de nouveaux crimes.
Khan Tyola.
Les histoires classiques de djinns se ressemblent, avec des idées métaphysiques et une bonne dose de psychanalyse : tout est préparé tel un repas de « fantastique chaud », bien servi. Les images soignées et les jeux de caméra créatifs réussissent à doubler le suspense. La maîtrise du montage, avec des plans séquences raccourcis et nerveux, soutiennent l’évolution des événements dans le film. Celui-ci a constitué un come-back réussi pour les deux comédiennes Basma et Dalia Moustapha, sans sophistication pour la première et par un caractère énigmatique bien campé pour la seconde. Le casting reste sans faute, malgré quelques seconds rôles trop plastiques et un aspect d’over-acting dans quelques scènes.
La bande musicale, signée Mohamad Medhat, quoiqu’adéquate pour un film du genre, n’arrive pas à cacher l’influence du film à succès Al-Fil Al-Azraq (l’éléphant bleu) sur ce compositeur, notamment la bande sonore de Hicham Nazih et les scènes d’hallucination satanique, lorsque la performance vocale vient de s’entrelacer avec les différents instruments choisis intelligemment par le compositeur.
Prévoir la mort de ses proches
Clairement pensé comme un phénomène succinct, le deuxième film d’épouvante Rima, du même réalisateur Moataz Hossam, s’inspire principalement du phénomène des capacités paranormales. Comme le dévoile le titre, le film tourne autour de la petite fille Rima, interprétée par l’enfant syrienne Rim Abdel-Qader, qui passe son enfance auprès de son père, le comédien Ihab Fahmi, à la suite de la mort de sa mère pendant l’accouchement. Gardant ses propres idées spirituelles, ce jeune père, un micro à l’oreille, est doté d’une capacité spéciale l’aidant à prévoir le futur. Une fois mort, Rima hérite ce même don, lui permettant de prévoir la date précise de la mort de certains parmi ses proches.
Un jour, elle décide d’échapper à la maison de sa grand-mère, interprétée par Hala Fakher, laquelle essayait de l’enfermer chez elle par peur de la perdre. La petite est adoptée par une famille aisée n’ayant pas d’enfants. Au sein de cette famille, elle mène une nouvelle vie et de nouvelles aventures, toutes plus compliquées les unes que les autres.
Une atmosphère socio-énigmatique que le cinéma égyptien actuel fréquente dans peu de films, mais le réalisateur évite là les effets en excès et s’appuie essentiellement sur la magnifique petite actrice principale. Les yeux habités de peur, elle est secondée par une Maya Nasri assez crédible dans le rôle de la mère adoptive et de son mari gentil et ambitieux, joué par un Feras Saïd brillant comme toujours.
Du suspense trop philosophique
Khan Tyola, le film fantastique d’auteur signé Wessam Al-Médani, l’est dans tous les sens du terme. D’abord, car il mêle les genres avec brio : sous couvert du mystérieux, il en appelle ainsi tour à tour au drame psychologique, au thriller, au suspense, à l’horreur onirique, le tout dans une cohérence, à la fois visuelle et narrative.
Qabl Al-Arbéïne (avant le 40e jour du décès).
L’intrigue de base est assez classique : un hôtel où le propriétaire, Mahmoud Al-Bazzawi, vit, pendant la période de la Seconde Guerre mondiale, avec sa femme, campée par Wafaa Amer, sa fille, incarnée par la jeune Libanaise Zahra Al-Haroufi, et leur fils assez biscornu. Ils vivaient en paix jusqu’au jour où ils ont accueilli deux clients, dont l’un n’est que le diable, joué par le comédien Ahmad Kamal. Durant 100 minutes, le film nous transporte d’un thème à l’autre, d’une saga à l’autre : la cupidité des êtres humains, les transactions entre l’homme et le diable, la légende de la résurrection des morts et la domination des poupées viennent, entre autres, parmi la foule d’idées présentées, à travers un scénario assez surréaliste et absurde.
Tout commence par le titre du film, Khan Tyola, qui signifie le lieu ou la région de Tyola, cette espèce d’animal maritime dont la nature et la forme du corps assez mou l’aident à être momifié et par la suite à s’éterniser. Une signification ou plutôt un symbole référant au combat éternel entre le bien et le mal, auquel nombre de scènes et plusieurs phrases du dialogue sont dédiées.
L’auteur-réalisateur parvient à créer, en marge de son atmosphère sombre, une réelle sensation de claustrophobie et d’anxiété, due notamment à la performance en retenue et aux mystères entourant le casting. S’ajoute à cela la bande musicale de Mohamad Nassef, rappelant à l’oreille elle aussi celle du feuilleton Al-Sabaa Wassaya (les sept commandements), toujours de Hicham Nazih, incorporant, par ailleurs, des éléments concrets et des sons naturels. L’ensemble constitue un bouquet d’effets dramatiques et esthétiques, menant le spectateur dans une atmosphère habilement hantée de quelques fantastiques émois. Le résultat est sans doute le film le plus cauchemardesque de cette liste d’oeuvres mentionnées.
Cette nouvelle vague de films d’énigme et d’épouvante, actuellement en projection dans les salles de cinéma, on ne peut qu’être enthousiaste quant à la renaissance d’un ancien genre cinématographique qui ne cesse de mûrir et de se développer. Un phénomène à suivre.
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