Toujours aussi prolfique, le plasticien Mohamed Abla expose actuellement à la galerie SafarKhan une nouvelle série de peintures et de sculptures, réalisées toutes en 2020, sous le titre d’Affinités. Abla, qui aime perpétuellement fréquenter des lieux et des gens, miroirs vivants des palpitations de la rue égyptienne et du tempérament de la ville, s’inspire cette fois-ci de la nature botanique, qui entoure son atelier dans le village de Tunis, au Fayoum, à l’ouest du Nil.
A travers la beauté métaphorique du cactus, l’artiste soulève plusieurs interrogations sur l’homme, ses états d’âme, sa relation avec la nature... Il attribue à cette plante herbacée une forme humaine, tantôt elle ressemble à des créatures résilientes, tantôt il estompe les détails ou les fait dialoguer les uns avec les autres. On a parfois affaire à des cactus qui dansent, qui sont bien allongés, épineux, tout confiants, avec des fleurs multicolores … Bref, ce sont des cactus qui résument la vie et ses changements en continu.
« A l’apparence hostile, le cactus symbolise les cycles de la vie. Il comporte la dualité entre cruauté et tendresse; c’est comme la nature », déclare Mohamed Abla, dont les oeuvres renferment souvent de l’ironie dramatique, de la critique sociale, toute en finesse.
Le cop se dresse dignement au milieu de la galerie.
On voit le cactus sous toutes ses formes: le Mammilaria, un cactus fleuri, l’Echino, une boule pourvue de magnifiques cannelures très régulières, le Gymnocalycium, des boulets verts avec une fleur en forme d’entonnoir, l’Opuntia, en disques plats, et le Cereus, en longue colonne, aux pousses plus fines et plus pâles. « J’ai choisi de peindre le cactus, car c’est une plante qui se débrouille pas mal toute seule, sans avoir besoin de grands soins, durant le confinement. Les épines du cactus sont les composantes de son propre écosystème. Et ses racines lui permettent de stocker l’humidité. Enfermé, voire isolé dans mon atelier, jour et nuit, j’avais tout le temps d’observer les cactus qui m’entouraient, avec leurs diverses formes et significations. Comparer les sensations qu’ils dégagent m’a permis de mieux comprendre l’état psychologique par lequel je passais », explique Mohamed Abla.
Ce dernier a adoré les épines piquantes et les fleurs naissantes du cactus, cette dualité entre mal et joie, qu’il a excellé à dépeindre. Puis, au milieu de cet univers botanique, se dresse un autoportrait de Mohamed Abla, en noir et blanc, dans lequel on le voit dans son atelier, entouré de ses petits-enfants. Une énergie positive s’en dégage. « Vivre en harmonie avec son environnement, c’est ce dont on a tous besoin », lance-t-il. Et d’ajouter : « Il n’y a pas de plante aussi décorative et surréaliste que le cactus. De sa base gris-vert peut pousser une boule rouge vif pourvue de nombreuses épines entre lesquelles peuvent paraître de superbes fleurs. Ce contraste m’enchante ».
Les cactus se mêlent naturellement aux fleurs et à d’autres plantes, en parfaite harmonie. Les couleurs sont très vives, parfois criardes, à la texture mate. Peut-être que cette texture sert à masquer les petits défauts, ceux qui gâchent la vie, bien des fois. « L’homme doit s’accomplir, développer ses capacités et ses talents. Il doit cultiver une approche positive face aux aléas de la vie », dit Abla.
Des sculptures qui nous parlent
Les petits-enfants de l’artiste dans son atelier.
Un coq. Des cactus bien dressés. Des poules dans la basse-cour. Un chat qui jette un regard furtif. Une grenouille amusante. Des enfants qui jouent, formant un cercle… Ce sont des exemples de quelques sculptures en bronze, vert et marron chromé, qui sont exposées aux côtés des peintures de cactus.
Ces sculptures sont également inspirées de la nature du village de Tunis, au Fayoum, là où se trouve l’atelier de l’artiste. Il s’agit d’un coin calme du village, à proximité d’une école de poterie, entouré d’arbres, d’arbustes et de tonnelles de fruits et de fleurs. « Cela fait trois ans que je travaille sur des sculptures. Celles-ci ne se veulent pas sophistiquées, mais s’adressent à l’homme de la rue, comme à un sculpteur rodé. L’apparente simplicité de mes sculptures cache toute la complexité du travail accompli », signale Abla.
Il a choisi le bronze, cette matière solide, rigide, qui cependant incite au dialogue. « Le sculpteur doit constamment imaginer un espace à trois dimensions. Il doit garder en tête ce qu’il ne voit pas avec les yeux et qui est néanmoins présent. C’est ce que j’appelle l’illusion du mouvement », ajoute Abla.
La sculpture phare de l’exposition est celle d’un coq qui se dresse en toute dignité. Il semble s’adresser aux visiteurs de l’exposition et représente pour Abla le symbole de la dérision, de la force, de la bravoure, de la vigilance et surtout du retour de la lumière du jour après les ténèbres de la nuit, aussi après les « ténèbres du confinement », selon l’expression de l’artiste.
Le cactus renferme les paradoxes de la vie.
Ce dernier ne cesse, à travers les oeuvres exposées, de partager la beauté de la nature, près de son atelier. On a l’impression de sentir l’odeur de la verdure, les caresses du vent, la fraîcheur des feuilles, la rosée du matin... Toute cette beauté lui a permis de mieux supporter les jours du confinement .
Jusqu’au 13 mars, à la galerie SafarKhan, de 11h à 21h (sauf les dimanches). 6, rue Brésil, Zamalek.
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