Un festival en ligne et une plateforme de vidéos pour secourir le cinéma. C’est un rêve qui a hanté l’esprit de la comédienne égyptienne Samah Anwar depuis trois ans, et enfin, il s’est concrétisé. « En 1998, je suis partie aux Etats-Unis pour me faire opérer. J’y suis restée deux ans. Pendant ce temps, j’ai décidé d’en profiter et de suivre des cours à l’Hollywood Film Institute, où l’un des professeurs m’a incitée à réfléchir profondément sur le fait que les films indépendants — courts ou longs métrages — ne se vendent pas. Depuis, j’ai essayé de trouver une issue », raconte Samah Anwar.
Récemment, le monde du cinéma a été bouleversé par la fermeture des salles à cause de la pandémie, et marqué par le recours aux plateformes de streaming en ligne. En silence, Samah s’est mise à étudier le fonctionnement de ces plateformes, et la semaine dernière, elle a lancé Aflemha. « C’est une sorte de cinémathèque qui permet aux cinéphiles d’accéder à plusieurs films indépendants, et qui constitue en même temps un moyen de marketing pour les réalisateurs indépendants. Ces derniers n’avaient autrefois que les festivals comme fenêtres pour accéder au public. Aflemha leur permettra de toucher un public illimité et les revenus les aideront à poursuivre leurs parcours », ajoute Anwar.
La plateforme Aflemha offre des films VOD (vidéo à la demande) et chaque film est facturé à l’unité, selon la décision de la personne qui détient les droits d’auteur. Un paiement exact permet donc de visionner un film plusieurs fois pendant un mois.
La comédienne Samah Anwar tente à sa manière de sauver le cinéma.
D’après la comédienne, 70 % des revenus générés par le site sont réservés aux détenteurs de droits des films et 30 % pour le streaming. La principale originalité de cette plateforme est non seulement le fait de projeter des films inédits, jamais sortis en salle ou en DVD, mais aussi de proposer des modalités de marketing et de service aux réalisateurs indépendants. « La plateforme propose un marketing numérique, c’est-à-dire distribuer les films à d’autres plateformes concurrentes, telles Netflix, Hulu, Amazon, Roku, iTunes ou d’autres. En outre, des stock-shots dont la qualité est de 8 k sont mis à la disposition des créateurs », souligne Anwar.
Sur la plateforme, les films sont classés dans les catégories suivantes : Women Cinema (cinéma de femmes), Arabic Short Films (courts métrages arabes), Documentary Shorts (courts documentaires), Drama Shorts (drames courts), Animation Shorts (courts dessins animés). Aujourd’hui, 50 films de nationalités différentes sont disponibles, et au fur et à mesure, de nouvelles contributions de la part des cinéastes vont enrichir le catalogue.
Pour mieux faire connaître la nouvelle plateforme, Samah Anwar a créé un festival de films indépendants en ligne, après avoir obtenu l’autorisation du ministère de la Culture. « Ce festival se tiendra tous les ans du 28 janvier au 4 février. Nous y invitons des cinéastes du monde entier ».
La première édition qui vient de prendre fin n’a pas eu beaucoup d’échos, à défaut de publicité, mais sa programmation était assez variée, avec notamment des films de la Chine, d’Espagne, de la Tunisie, de la France, du Portugal, de l’Italie et bien évidemment de l’Egypte. Le jury regroupait le réalisateur Ahmed Atef, le scénariste Abdel-Réhim Kamal, le cameraman Kamal Abdel-Aziz et la comédienne Dorra.
Conditions de sélection
Les critères de choix sont nombreux : les films participants doivent tourner autour du cinéma de femmes, être accompagnés d’un sous-titrage en arabe ou en anglais, et leur durée doit être entre 5 et 30 minutes. En outre, tout contenu protégé par le droit d’auteur doit être muni d’une autorisation présentée aux organisateurs du festival, et tous les films ayant déjà été soumis à des festivals entre 2016 et 2019 ne sont pas éligibles.
Quant aux prix, ils couvrent normalement 9 sections : meilleur film, meilleur réalisateur, prix du jury et prix des spectateurs (5 000 L.E.), meilleure interprétation masculine, meilleure interprétation féminine, meilleur montage, meilleure photographie et meilleur scénario (2 000 L.E.) et un certificat d’appréciation. « Je crois que c’est le premier festival Handmade, dans le sens où Samah Anwar a presque tout fait toute seule », précise Ahmed Atef. Et d’ajouter : « C’est une initiative audacieuse et novatrice. Car nous avons déjà en Egypte plusieurs festivals sur le cinéma indépendant, tels Roaa, organisé par l’AUC, ou le Festival d’Alexandrie sur les courts métrages, etc., mais c’est le premier entièrement en ligne ».
Les festivals du monde entier n’avaient que trois choix face à la pandémie : l’annulation, le report ou la conversion numérique. « Si Samah réussit à distribuer ces films, elle donnera une vraie chance aux créateurs de films indépendants. Un véritable élan à l’industrie », affirme Atef. Les plateformes remplaceront-elles le cinéma ? « Pourquoi remplacer et non pas côtoyer ? La télévision a-t-elle remplacé la radio ? Les cinéphiles ne se passeront jamais du plaisir de visionner un film en salle, seuls ou en groupes. Il s’agit plutôt d’une manière de profiter des nouvelles technologies nous permettant de diffuser massivement des contenus. Vous avez la possibilité de regarder des films en ligne, directement à partir de votre TV, votre ordinateur, tablette ou smartphone. Il faut également noter que les courts métrages ne cessent d’avoir un public plus large, surtout avec le rythme rapide de la vie actuelle ».
Le nombre de supports a pris de l’ampleur à l’ère d’Internet. Les plateformes en ligne permettent de voir et de revoir des films chez soi, avec des images de bonne qualité. Sans doute certains auront quelques réticences, mais c’est un moyen permettant à l’industrie cinématographique de trouver une issue face à une crise qui dure.
Il est toutefois encore trop tôt pour prédire le succès de la plateforme Aflemha. Simplement, c’est un nouvel espace de contreculture qui valorise le cinéma, notamment les créations indépendantes.
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