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Dessiner, un art bahgorien

Névine Lameï, Dimanche, 24 janvier 2021

Dans ses sketches, l’artiste plasticien vétéran George Bahgory peint l’Egypte à sa manière.Elle est pour lui l’expression d’une nostalgie profonde. La galerie Mashrabia rend hommage à l’artiste et à son art.

Dessiner, un art bahgorien

Des sketches, des dessins préparatoires et des notations très rapides. C’est ce que propose la nouvelle exposition de l’artiste-peintre et dessinateur vétéran George Bahgory, 90 ans, à la galerie Mashrabia, au centre-ville cairote. Son exposition intitulée A Sketch is a Sketch présente environ 120 sketches, voire des croquis et des esquisses inédits à thèmes variés, signant plus de 50 ans d’art créatif, depuis 1950.

Dessiner, un art bahgorien

« Il est temps de rendre hommage à l’un des vétérans de l’art contemporain égyptien, George Bahgory. Il est temps de mettre ses sketches inédits en particulier à la lumière. D’ailleurs, une grande partie des sketches de Bahgory, actuellement exposés, sont le côté restant de son art qui n’a pas encore été vu par ses fans. Le dessin c’est l’âme de tout, tel que le conçoit Bahgory, un dessinateur vit en premier lieu avec son crayon graphite, sa plume et ses marqueurs mélangeurs. Bahgory ne peut pas s’empêcher de dessiner tout le temps, c’est ce que j’appelle la magnifique obsession. Et comme l’art du sketch, voire du dessin, a marqué le début de l’art de Bahgory, cela a inspiré la galerie Mashrabia à choisir une large série de ses sketches inédits pour couronner sa riche carrière artistique. Selon ses paroles, son exposition actuelle à Mashrabia sera éventuellement la dernière de sa vie », déclare Stéphania Angarano, propriétaire de la galerie Mashrabia.

Dessiner, un art bahgorien

Et qui dit art du sketch dit un art d’inscription et de courte représentation exécutée sur une surface. Un art destiné à être vu. Et ce, à travers une oeuvre dialoguée de durée rapide et laconique, généralement comique. Ce qui va de pair avec la personne de Bahgory dont l’art ne manque pas d’ironie, ou encore de sarcasme. Sur les différentes parois de la galerie Mashrabia, sont exposés des portraits de gens assis avec des narguilés sur les cafés populaires, d’autres en grouillement sur la plage, d’autres qui se baladent, ou encore qui discutent ensemble. Voici aussi des dessins de corps de femmes nues, de scènes de rues cairotes, de paysages égyptiens … Une variété de sketches à des dates différentes, sur papier, grand et petit format, qui souligne la capacité de Bahgory à créer au fur et à mesure tout un monde qui vient à son esprit. Ceci par le biais d’une simple et seule ligne noire conforme à l’art de la caricature, non sans ironie qui nous fait penser et imaginer. La brutalité de ses couleurs et la non-conformité de ses sketches ajoutent à ses compositions une touche de sensualité d’une grande liberté d’expression.

Dessiner, un art bahgorien

Dessiner, un art bahgorien

Né à Thèbes, à Louqsor, en 1932, Bahgory, qui appartient à la génération qui a vécu les espoirs et la fin des rêves en Egypte, a commencé à travailler comme caricaturiste politique en 1953 au magazine Rose Al-Youssef, avant de poursuivre ses études à la faculté des beaux-arts à Zamalek, en 1955, sous la direction du grand Hussein Bicar. En 1970, Bahgory étudie à l’Académie des beaux-arts de Paris. Son art est profondément influencé par l’école expressionniste et cubiste, analytique et synthétique, en termes de formes, ainsi que par l’art populaire égyptien très présent dans ses sketches imprégnés de la chaleur du soleil d’Egypte. Des sketches peints à l’égyptienne qui puisent dans les racines plurielles de Bahgory : pharaoniques, coptes et musulmanes.

De beaux paysages

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La densité cohérente, simple et précise, en relief noir et en une seule ligne mouvementée, est bien claire dans sa série de sketches de paysages égyptiens, de rues cairotes et de cafés populaires. Voici des scènes ancrées à tout jamais dans l’esprit de Bahgory. Grande est sa nostalgie pour son pays natal, en dépit de son exil volontaire à Paris, depuis 1969. D’où la naissance de scènes chaleureuses d’une Egypte, tantôt criarde, tantôt paisible, mais surtout polyculturelle, imprégnée par le vent de l’histoire et de ses péripéties. Pour Bahgory, Louqsor et Assouan, ces deux villes à la combinaison magique et merveilleuse du bleu ciel et du Nil avec ses felouques, du rouge jaune du désert et des grappes de dattes avec le vert de la végétation, portent en son art l’esprit millénaire de l’Egypte, sa source d’inspiration intarissable. Voici aussi la mer, des palmiers, des arbres qui embrassent le désert, mais aussi la lune et le soleil qui sont omniprésents. C’est l’Egypte qui s’impose dans tout l’art de Bahgory, ceci en dépit de sa résidence à Paris pour des années. Pour Bahgory, c’est une question de mémoire.

Des portraits intimes

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Si Bahgory est cet artiste fidèle à un style inspiré de la densité d’expression chez Picasso, il possède un style propre à lui, qui le distingue de tout autre artiste. Ses portraits défigurés résument la personnalité des visages qu’il peint. L’un des portraits phare de l’exposition est celui de Naguib Mahfouz, une figure incontournable dans l’histoire de l’Egypte, peinte à travers le chaos de lignes entremêlées et compliquées. Ceci avec une énergie vitale et une grande passion. De même, l’ensemble des portraits de Bahgory aux visages familiers et intimes, parfois même de gens pris à la hâte dans la rue ou sur les cafés populaires cairotes, se caractérise par des contours nets et des yeux dévorants. Des portraits toujours incomplets. Les visages dessinés par Bahgory paraissent avoir été mutilés par le temps, par les chocs de l’histoire, et pourtant, ils sont calmes. Des visages maniés à la façon des fauves et aux têtes en état d’hébétude, d’attente et d’affliction.

D’ailleurs, tous les portraits dans les sketches de Bahgory portent un destin tragique simple et déformé. D’où toute une comédie humaine dramatique, où réalité et illusion se chevauchent à la recherche d’un certain équilibre, dans la danse alchimique de la vie. Les portraits de Bahgory ne s’arrêtent pas aux défauts physiques des personnages, et ne déforment pas leurs traits, mais sympathisent avec eux, en traduisant leur âme et leur corps en action. Bahgory n’alourdit pas les formes avec ses couleurs, mais les couvre de taches instinctives, exécutées à la hâte, avec légèreté et spontanéité. Le tout dans un mouvement cohérent et chargé de motifs populaires folkloriques, aux ornementations orientales et aux compositions géométriques. C’est l’icône bahgorienne créée par le chaos cairote. C’est le cas aussi de sa série de portraits de musiciens portant une djellaba, un tarbouche traditionnel et un mizmar dans leur main. D’où une douce caricature musicale gaie, non sans ironie qui fournit ainsi la preuve du talent de Bahgory et de la dextérité du vétéran dessinateur caricaturiste.

Un art sans tabous

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La nudité occupe la part de lion à la galerie Mashrabia, avec une grande audace signée George Bahgory qui dans son exil parisien a fait un grand nombre de portraits de femmes nues, aux corps massifs et ronds. C’est dans son atelier en France que Bahgory trouve son chemin dans les sentiers charnels, pour interpréter à sa façon le corps féminin. Entre petite et grande taille, maigre ou grosse, le corps de la femme dans les sketches de Bahgory immerge dans des endroits enchantés et heureux, emplis de métaphores et de symboles, entre plaisir et douleur, souffrance et jouissance. Dans les sketches de Bahgory, le corps féminin dessiné dans tous ses états sensuels opte pour les formes volumineuses, parfois même déformées, où l’artiste multiplie les courbures et les arrondis, tout en gardant une force géométrique posée. Dans ses sketches de nudité, Bahgory exagère dans les volumes et les traits, la force et la pesanteur, pour donner au corps de la femme son équilibre dans la vie. Des sketches de nudité qui s’inspirent des arts nègres, cambodgiens, et par le travail de Picasso (la période bleue), au style épuré mariant la proximité des âmes à l’expression et à la cohérence du ressenti. « Chez Bahgory, le corps est dessiné comme des dynamiques de masses abstraites qui agissent dans l’espace, loin de tout érotisme ou de toute description sexuelle, tabou ou interdiction. Des corps inidentifiables qui ne cherchent pas les bonnes proportions de la beauté parfaite », conclut Stéphania Angarano .

Jusqu’au 17 février, de 11h à 20h (sauf les vendredis). 15, rue Mahmoud Bassiouni, centre-ville.

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