Vendredi, 24 janvier 2025
Al-Ahram Hebdo > Arts >

La petite histoire de l’art égyptien moderne

May Sélim, Mercredi, 16 décembre 2020

Le Musée égyptien d’art moderne vient de rouvrir ses portes, après six ans de fermeture et de travaux de restauration. Visite guidée par son nouveau directeur, depuis 2017, l’artiste Tareq Maamoun.

La petite histoire de l’art égyptien moderne
Le musée regroupe des oeuvres d'artistes nés entre 1887 et 1975. (Photo : Bassam Al-Zoghby)

10h. Un beau matin ensoleillé au terrain de l’Opéra du Caire. Le Musée égyptien d’art moderne reprend ses activités, suspendues depuis 6 ans pour des tra­vaux de restauration.

Après avoir déposé ses affaires à l’entrée et enregistré ses coordonnées personnelles, on se tourne vers la grande salle qui promet une belle plongée dans l’histoire des arts plas­tiques égyptiens, entre 1887 et 1975. Tout d’abord, le rez-de-chaussée regroupe les oeuvres d’artistes nés entre 1887 et 1910. De vrais pionniers de la scène culturelle.

On découvre ainsi l’oeuvre de l’ar­tiste égypto-arménien Ashoud Azorian, portant sur la maternité. « Il est l’une des découvertes du musée. Les Arméniens font partie intégrante de l’histoire de l’Egypte. Le Caire de l’époque était vraiment une ville cos­mopolite », souligne Tareq Maamoun, directeur du musée et curateur de sa nouvelle exposition permanente.

Celle-ci a la particularité de mettre en avant des oeuvres méconnues par la critique, car elles ont été rarement montrées en exposition. « Le comité de sélection du musée, présidé par l’artiste Hamdi Abdallah, a commen­cé par lancer une question à la fois pertinente et provocatrice : Quel est le rôle de ce musée ? Est-ce simplement un lieu d’exposition et de documenta­tion ? Ou est-il censé donner des réponses claires en ce qui concerne l’histoire de l’art en Egypte ? Après de longues discussions, le comité a opté pour une nouvelle perspective, en faisant appel à des chercheurs et des critiques, lesquels ont creusé dans nos archives et nos dépôts, pour nous révéler la scène artistique différem­ment », indique Maamoun.

Cette tâche n’était pas facile. Il fal­lait parcourir et documenter une col­lection de 13 000 oeuvres, entassées dans les dépôts du musée, pour en choisir 890, signées par 709 artistes.

En continuant la tournée dans la grande salle, on ne peut que s’arrêter devant la peinture à l’huile de Georges Al-Sabbagh La Vague, datée de 1928. Avec des nuances de vert et de blanc-grisâtre, le peintre représente le mouvement des vagues, de manière parfaite. C’est l’unique tableau de l’artiste dans la collection du musée.

Dévoiler des secrets

Deux autres artistes cap­tent l’attention, de par leurs toiles : Mohamed Sayed Al-Gharably, avec la pein­ture d’un homme et une femme dans l’univers mys­tique du paradis, et Al-Hussein Badawy avec sa Villageoise, taillant d’une palette foncée le visage d’une paysanne un peu maussade. Les deux artistes sont plus ou moins méconnus du grand public, puisque leurs oeuvres n’ont jamais été exposées jusqu’ici au musée.

Parmi cette génération de 1910, on découvre Emma Kaly Ayad, qui a souvent peint des femmes. Outre quelques portraits classiques d’elle, il y a cette peinture représentant une danseuse nue, qui se fait tout de suite remarquer et qui témoigne de la grande liberté de l’époque.

Ensuite, le portrait de la jeune fille aux tresses, signé par Abdallah Al-Dinawi, nous révèle à son tour un sculpteur tombé dans les oubliettes. Puis, de nouveau, les artistes armé­niens s’imposent. Le tableau La Révolution de Simone Samsoniane exprime son vif attachement à l’Egypte et son implication dans la vie politique locale. Et ce, en abordant le projet nassérien, notamment la charte nationale proposée par le régime pour garantir les droits des femmes.

Atiyat Al-Ahwal est une autre artiste-femme, considérée comme la pionnière des tableaux sur cuivre. Le musée expose deux petits tableaux d’elle, représentatifs de son oeuvre. Plus loin, on tombe sur une oeuvre surréaliste de Ramsis Younan, l’un des fondateurs du groupe L’Art et la liberté. La toile exposée traduit un rêve cauchemardesque, réalisée à l’aide d’une palette de couleurs révo­lutionnaire, et très marquée par l’in­fluence de Jackson Pollock, notam­ment au niveau de la technique.

Au milieu de la salle, les sculptures de Abdel-Badie Abdel-Hay, Mahmoud Moussa et d’autres maîtres incontestés du genre accordent un grand intérêt au style figuratif avec une légère touche d’abstraction. Une photographie de Mohamad Abbas Helmi, datée de 1926, nous donne une idée de la technique photogra­phique à cette époque. Nous nous posons plein de questions aussi sur l’identité de l’artiste, s’agit-il du célèbre prince égyptien ou de quelqu’un portant le même nom ?

Des surprises en boucle

La tournée dans cette première salle s’achève par les oeuvres de deux grands noms de la peinture égyp­tienne : Hamed Abdallah et Tahiya Halim. Leurs oeuvres se répondent en quelque sorte, surtout qu’ils étaient mariés à un moment donné de leur vie. Deux de leurs peintures sont placées l’une à côté de l’autre : un homme en djellaba, peint par Abdallah, et une femme portant une lanterne, par Halim. C’est comme si les personnages des deux artistes communiquaient entre eux.

Ces deux tableaux nous emmènent vers le premier étage, où sont expo­sées les oeuvres des artistes nés entre 1910 et 1932. On se repose pendant un bout de temps sur des fauteuils placés au sein du musée, puis on reprend la tournée parmi les oeuvres réalisées par les pre­mières promotions de l’école des beaux-arts en Egypte. Impossible de ne pas remar­quer la sculpture en ferraille de Salah Abdel-Kérim ou encore le portrait d’Adam Hénein assez simple, abstrait et inno­cent, représentant le Visage d’un enfant. Puis, l’on s’at­tarde sur Marchand des esclaves, une peinture signée par Fathiya Zohni. L’oeuvre n’est pas sans rappeler celles des Orientalistes. Malheureusement, le nom de l’artiste est méconnu du grand public. « L’exposition nous pousse à réfléchir aussi sur les critères de l’acquisition d’une oeuvre artistique », estime Iman Nabil, secrétaire générale du musée. Et d’ajouter : « En restaurant un tableau de fleurs, nous avons décou­vert que l’artiste a signé sur le verso de son tableau une autre peinture plus récente qui dévoile le portrait d’un homme brun portant un turban. L’artiste Farid Naguib constitue sans doute l’une des découvertes du musée ».

Abdel-Hadi Al-Gazzar, nous sur­prend encore et toujours, avec son chef-d’oeuvre restauré L’Homme et le chat. L’équipe du musée a découvert sur le verso un autre tableau plus ancien signé en 1950, intitulé Une Vieille femme. Cette peinture révèle l’ancienne technique de l’artiste : une femme âgée porte le noir sur un arrière-fond en vert-gris.

Le portrait de l’écrivain Taha Hussein taillé par le peintre et carica­turiste Georges Bahgoury témoigne aussi d’un style différent. C’est un chef-d’oeuvre unique, au niveau de la forme et la représentation iconique.

Par ailleurs, on découvre le talent de sculpteur du dessinateur de presse, Nagui Kamel. Il sait très bien manier la masse et le volume, dans une oeuvre en polyester noir : une jeune femme aux grands yeux qui se cache sous son voile et sa longue robe traditionnelle.

Des créations des années 1990

Le troisième étage accueille les oeuvres d’artistes nés entre 1932 et 1975. Ce sont les grands noms de la scène artistique aujourd’hui. Quelques tableaux soulignent incon­testablement la valeur de certains artistes, tels Saïd Al-Adawi. Les peintures de ce dernier résument son évolution. Il s’agit de peintures, l’une en noir et blanc et l’autre en couleur, révélant les tendances expé­rimentales de l’artiste.

Les oeuvres de Farouk Hosni, Ahmad Nawar, Farghali Abdel-Hafiz, Abdel-Rahman Al-Nachar, Helmi Al-Touni et d’autres artistes de renom mettent en relief les diffé­rents styles et techniques.

Les petites sculptures, créées dans les années 1990 et 2000, de Mohamad Radwan, Nagui Farid, Ahmad Karaaly, Chaaban Abbas, Saïd Badr, Hassan Kamel, et d'autres. sont à l’image de la génération actuelle d’artistes confirmés, en plein essor.

On retrouve aussi les oeuvres récentes des photographes Ayman Lotfy et Bassam Al-Zoghby, du peintre Emad Abdel-Wahab, de l’il­lustratrice Noha Nagui ... « A mon avis, un tableau en deux dimensions, avec un protagoniste qui occupe le milieu de la toile, peut être classé comme moderne. Pour d’autres cura­teurs, ce genre d’oeuvres est plutôt contemporain. Les limites et les défi­nitions sont fragiles et floues », affirme le directeur du musée. Ce dernier ne manque pas de faire part de ses plans futurs : « J’espère renouve­ler l’exposition permanente tous les deux ans. Cela nous permettra de montrer la collection du musée et de mieux la documenter ».

Activités multiples

Outre l’exposition permanente, un programme d’activités est prévu, durant les mois à venir. La galerie Abaad (dimensions), au premier étage du musée, sera consacrée à la tenue de rencontres et de colloques, en présence d’experts et de critiques, afin de divulguer les connaissances sur l’art égyptien moderne. La gale­rie accueillera aussi, de temps à autre, des expositions qui font focus sur le parcours d’un artiste en parti­culier ou sur un thème récurrent. Elle exposera également des oeuvres plus récentes, toujours issues de la collec­tion privée du musée.

Des dupliqués et des imitations de certaines toiles du musée seront en vente, dans le coin-cadeaux, propo­sant également un tas de petits objets : t-shirts, stylos, etc. en souve­nirs du musée.

Tous les jours de 10h à 16h (sauf les lundis et vendredis), terrain de l’Opéra, Guézira.

Lien court:

 

En Kiosque
Abonnez-vous
Journal papier / édition numérique