A travers leurs mondes artistiques distincts, 19 jeunes artistes-femmes, dans la trentaine, expriment leurs idées, dans le cadre de l’exposition My Favorite Things (mes objets favoris), organisée à la galerie Machrabiya, au centre-ville cairote.
L’exposition qui se tient pour la cinquième année rassemble peintures, dessins, collages et installations. Elle suscite des interrogations multiples sur l’existence, sur le passé et le présent, le statut des femmes, les conditions matérielles, le rapport entre imaginaire et vie réelle... L’ensemble est souvent imprégné d’une touche humoristique, captant l’attention des visiteurs.
Les huit peintures, en petits formats, de Alaa Ayman, ne sont pas sans rappeler les anciennes photos vintage, collectées dans de vieux albums. Elles sont munies de couches pâteuses de couleurs pastel. L’accumulation des couleurs est synonyme du temps qui passe, mais qui demeure très vivant dans la mémoire de l’artiste. « C’est le temps passé, les beaux souvenirs d’enfance, que j’aime convoquer à travers mes peintures », souligne Alaa Ayman.
Une légère ironie enfantine caractérise l’oeuvre de ce dernier, donnant impression qu’il s’agit d’un thriller ou d’un drame psychologique, animé par des personnages fantomatiques qui font peur. Une fille guillotinée, une autre écrasée par un pied géant, une troisième ayant une tête de cactus, etc.
Chez Shadoo El-Rakhway, il y a une guerre constante entre la voix du coeur et celle de la raison, entre l’être et le paraître. Et dans les trois grandes peintures, aux couleurs criardes, de Marwa Saad, c’est tout un monde en fleurs sauvages qui s’ouvre à nous. C’est toujours un monde où s’opposent coeur et raison, logique et sentiments.
L’installation de la jeune illustratrice, peintre numérique et graphiste Sara Ayman se compose d’une robe féminine accrochée au mur et sur laquelle sont écrits de gros mots que Sara, ou n’importe quelle autre femme, peut entendre en marchant dans la rue. Des mots obscènes qui touchent à la pudeur.
Sara s’inspire d’une phrase célèbre de l’écrivaine poétesse et militante américaine Maya Angelou, laquelle a dit: « Chaque fois qu’une femme se défend, sans le savoir, ni le revendiquer, elle défend toutes les femmes ». Et à Sara Ayman de réitérer: « Les droits des femmes font partie des droits de l’homme. On a le droit de se sentir à l’aise, de vivre sans tabous, ni harcèlement, ni contraintes ».
L’installation de Mona Essam revêt la forme d’un jeu de billard ou de domino sur une table ronde. « La forme ronde symbolise la vie. Par ailleurs, le cercle me procure un sentiment de sécurité », explique Mona, qui a conçu son jeu à l’image de la vie. Une simulation ironique, qui donne lieu à un calme. Les jetons sont brouillés sur la table, comme on est dispersé entre les choses de la vie.
Une atmosphère grise
L’arc-en-ciel de l’enfance par Amani Nabil.
« Les scientifiques nous disent que le noir est l’absence de toutes les couleurs, tandis que le blanc est la présence de toutes les couleurs. Par conséquent, le gris symbolise le vide, il se situe quelque part entre l’absence et la présence », déclare Roshan Al-Qurashi. Ses deux petites peintures, en noir et blanc, évoquent la vulnérabilité de l’homme qu’il a tendance à cacher.
Le dessin minutieux à l’encre de chine d’Anwaar Ahmed met en scène un oiseau bizarre, emprisonné dans un ascenseur, qui ressemble plutôt à une forêt. Pour Anwaar, c’est la « forêt de la peur ». Son drôle d’oiseau, à moitié humain, nous emporte vers un ailleurs lointain. S’agit-il d’un ailleurs qui nous permet d’observer le monde sans prendre de risques? L’oeuvre tente d’y répondre de manière métaphorique.
Liées les unes aux autres, les photos en noir et blanc d’Amina Kaddous traitent de la mémoire humaine fragmentée. Voici la place Talaat Harb au centre-ville cairote, la statue Saad Zaghloul, l’intérieur d’une vieille maison, celle du grand-père de l’artiste dans la ville de Mahalla.
Kaddous convoque le passé glorieux de cette ville, mais aussi de tout le pays dont le présent est très incertain. « Le passé nourrit notre imaginaire collectif », commente Amina Kaddous.
Libres comme le vent
Les deux grandes peintures d’Amani Nabil combattent la laideur et la pauvreté de par leurs scènes joyeuses. Des enfants transforment n’importe quoi en balançoires, le sourire aux lèvres, entourés d’un monde aux couleurs de l’arc-en-ciel. Pour l’artiste, la joie, l’innocence et l’amour sont les moyens d’échapper au mal, sous toutes ses formes.
Rania Al-Hakim dessine des papillons de couleur grise; ils sont libres comme le vent. « Quand la chenille croit que tout est fini, elle se transforme en un papillon magnifique. Il faut ne jamais perdre espoir », précise Al-Hakim.
Le grand ballon, bleu et blanc, s’envole vers le ciel, sur les photos retouchées de Sara Younès. Il donne un brin d’espoir à ses photographies captées à Alexandrie, une ville en reconstruction, ou on dirait plutôt en déconstruction, puisque ces beaux bâtiments sont détruits par les bulldozers que l’on voit sur les photos, en côte à côte avec les blocs de béton et les gratte-ciel énormes. Le ballon s’éloigne de tout encombrement, plane à l’horizon, allant vers la mer, à la recherche d’un ailleurs plus enchantant.
Enfin, l’installation très originale de Rania Ezzat met en relief un masque facial glamour, avec des strass en blanc argenté. L’oeuvre est gaie et lumineuse. Le masque ne fait plus référence à l’ennui, ni à la contrainte, mais à l’espoir et au plaisir .
Jusqu’au 3 décembre, de 11h à 21h (sauf le vendredi).15, rue Mahmoud Bassiouni, centre-ville.
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