« Au début des années 1950, je faisais partie du groupe d’artistes qui a séjourné à l’atelier de Louqsor. Le graveur Nehmia Saad (1912-1945) est passé par la même expérience, au début des années 1940. Doux et romantique, ce dernier fut très marqué par les préceptes du maître, Hamed Saïd. Lui aussi aimait l’isolement, parlait très peu et contemplait la nature. On se réfugiait dans la montagne de Gournah, se livrait à une méditation soufie ou effectuait un voyage funéraire dans la ville d’Abydos, abritant la tombe d’Osiris ». Cette citation est empruntée à un article écrit il y a une trentaine d’années par l’artiste-peintre Hassan Soliman, lequel n’a jamais été publié.
Il l’avait écrit 30 ans après la disparition de Nehmia Saad, évoquant son séjour à l’atelier de Louqsor en 1952, pour une résidence artistique de deux ans, après avoir terminé ses études aux beaux-arts du Caire. Son oncle maternel, l’éminent archéologue Ahmad Fakhri, était un ami proche de Nehmia Saad mort de tuberculose, et l’a accompagné pendant sa maladie. Il résidait lui aussi à Louqsor pour être sûr que son ami souffrant reçoive les soins nécessaires à l’hôpital.
L’article en question révèle notamment la relation étroite entre Hassan Soliman et son oncle maternel, depuis sa tendre enfance. Le peintre raconte par exemple comment à l’âge de 9 ans il a découvert le dessin d’un artiste égyptien qui a participé à l’Exposition universelle de Paris en 1937, dans l’un de ses livres, en fouillant dans sa bibliothèque. Ceci dit, l’enfant avait le droit de vadrouiller dans la maison de son oncle, de fouiller en toute liberté dans ses papiers. L’image de ces oeuvres, qui ont fait partie de l’Exposition de Paris, est restée gravée dans sa mémoire, la quarantaine passée.
L’oncle et son neveu favori
Portrait d’Ahmad Fakhri.
Hassan Soliman a fini ses études de peinture aux beaux-arts en 1951, presque à la même époque qu’une cohorte de grands artistes comme Hamed Nada, Abdel-Hady Al-Gazzar et Wadie Chénouda. Il a ensuite enseigné le dessin dans des écoles publiques et a travaillé à l’organisme de la culture populaire et au département des beaux-arts, affiliés au ministère de la Culture, jusqu’à sa retraite en 1988. Il a effectué des études supérieures sur la psychologie de la quatrième dimension, à Milan (Italie), en 1966. Et entre 1964 et 1972, il a enseigné à l’Institut du cinéma et sporadiquement aux beaux-arts du Caire. Durant son séjour aux Etats-Unis, il a été professeur visiteur à l’Université de Blacksburg en Virginie, où il enseignait à la section études supérieures d’archéologie. Son vif intérêt pour l’histoire l’a mené à signer plusieurs papiers sur l’architecture des mosquées du Caire, dont notamment celles du sultan Hassan et de cheikha Safiya.
Son oncle, Ahmad Fakhri, quant à lui, fait partie de la 3e génération d’archéologues égyptiens, ayant succédé à celle d’Ahmad Kamal pacha et celle de Sélim Hassan. Il a réussi à s’imposer dans le domaine des fouilles archéologiques et des excavations, a travaillé pendant longtemps au ministère des Antiquités et a signé une vingtaine d’ouvrages en la matière, en plusieurs langues, notamment sur les déserts et les oasis égyptiens.
Avec son neveu Hassan Soliman, il a noué un rapport très particulier. Il l’emmenait souvent avec lui sur les sites archéologiques et l’artiste, tout jeune, dessinait les fossiles et les objets trouvés pendant les excavations, pour l’aider à les répertorier. La petite maison consacrée à son oncle inspecteur des antiquités, à proximité des pyramides de Guiza, l’a beaucoup marqué. Il y passait son temps, vagabondait, grimpait la grande pyramide et criait, une fois il a atteint son sommet, « Vive la liberté », selon les propos de son frère, Mohamad Soliman, ancien speaker à la BBC.
A ses débuts, dans les années 1940, Soliman a réalisé des portraits de son oncle et de son épouse allemande, Dita. Ces derniers avaient un rôle important dans sa vie et lui ont inculqué une vaste culture musicale, l’amour de l’art égyptien antique et la quête de la liberté. Ils l’ont bien introduit au monde intellectuel.
Les premières oeuvres
Deux jeunes femmes, 1957.
Toujours à ses débuts, Soliman était très influencé par le style de l’artiste yougoslave, qui vivait au Caire, Gallo Gilbert; il travaillait dans son atelier deux heures par jour afin de donner des cours de dessin à de jeunes filles de l’aristocratie égyptienne. L’influence de Gilbert se faisait sentir, notamment au niveau des préparatifs du tableau: le choix de la lumière, des couleurs, les tenues vestimentaires des modèles, les postures du corps, etc.
Hassan Soliman a également entretenu une forte relation avec son professeur aux beaux-arts l’Italien P. Martin (1875-1964), notamment en ce qui concerne les paysages, au point d’avoir un studio, à ses côtés, dans le quartier de la Citadelle. Il a appris de lui l’importance de dessiner des sketchs rapides au fusain et au crayon noir, la technique du clair-obscur, l’usage des monochromes et celui des différents tons.
Les oeuvres de Soliman ont commencé par être très riches en couleurs, et ce, avant de se tourner ultérieurement vers les tons grisâtres plus neutres. La composition de l’oeuvre était très différente des toiles réalisées à la fin des années 1950, où le recours au fusain était de plus en plus fréquent.
Au départ, il recherchait avant tout l’équilibre des couleurs, alors que plus tard, il s’est épris du jeu de l’ombre et de la lumière. Cette première phase était surtout dominée par le rouge, l’orange et le jaune, ainsi que leurs amalgames peu communs. Il se plaisait à transgresser les règles habituelles des couleurs. Ainsi, il lançait un défi à ses pairs européens, en redistribuant les couleurs différemment et en optant pour des sujets liés au contexte sociopolitique. Il ne cessait de surprendre, jusqu’à atteindre un apogée avec son tableau Le Dernier repas, datant de 1967, lequel incarne l’ampleur de la défaite et son effet sur les Egyptiens.
Tableau des Deux jeunes femmes
La Vendeuse de fleurs.
Dans ses premières oeuvres, il était sans doute influencé par les courants artistiques européens, mais il y avait toujours chez lui une teinte particulièrement égyptienne. Sa toile intitulée La Vendeuse de fleurs, celle du Fellah égyptien ou le Portrait de Dita témoignaient déjà de son côté rebelle.
Portrait de Dita, 1949.
Dans son tableau Deux jeunes femmes (1957), il imitait certainement La Jeune femme à la fenêtre de Salvador Dali (1925), mais il a quand même réussi à transformer l’oeuvre selon une vision surréaliste très égyptienne. Il excellait en fait à relever ce genre de défi. Il a accentué le mouvement, à l’intérieur de la toile, et a commencé la phase des « murailles ». L’artiste Samir Fouad, un ami proche de Hassan Soliman, estime d’ailleurs que cette toile « constitue le début d’une nouvelle phase artistique, où il a commencé à s’attacher davantage au fusain, lui prêtant un plus grand rôle dans l’exécution de la toile. Il répétait souvent une phrase de P. Martin disant: Il faut dessiner correctement, peu importe après si l’on colorie avec de la poussière ».
Hassan Soliman se rappelait Nehmia Saad, à toutes les périodes difficiles de sa vie, partageait son isolement, sa solitude, sa gratitude. « Moi-même, je n’ai jamais été véritablement un disciple de Hassan Soliman, mais j’ai beaucoup appris en me penchant sur son parcours et son oeuvre. Il était l’un des meilleurs peintres figuratifs égyptiens contemporains, et l’on peut toujours observer le parallélisme qui existe entre les diverses phases de sa vie et les changements sociopolitiques survenus en Egypte. Son travail mérite d’être mieux fouillé et documenté, à travers des publications, mais aussi des expositions muséifiques », disait Nehmia Saad.
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