Une table ronde diffusée via l’application Zoom, la semaine dernière.
Essayer de définir le ou les rapports entre le cinéma et l’identité nationale amène à reconnaître une notion redoutable, toutefois mise à l’ombre: la mémoire. Or, le festival Between Women Filmmakers Caravan a décidé de la remettre sur le tapis.
« Dans cette édition, nous avons fait une sorte de panorama des films libanais de 1977 jusqu’en 2019. Appartenant à différentes périodes, ces films témoignent des changements qu’ont connus le pays et ses habitants », souligne Amal Ramsis, fondatrice du festival. La mémoire des faits historiques évolue avec le temps : elle correspond à la perception du passé, dans un présent qui affecte les représentations. « Les documentaires libanais ont tous une dimension humaine. Ils représentent le parcours de la mémoire dans un pays qui a tant souffert: Le Liban. La mémoire de celui-ci a subi toutes sortes de déformations », a expliqué la critique Houda Ibrahim, avant de donner la parole à la réalisatrice d’origine libanaise, vivant au Caire, Arab Lotfi. « L’idée de mon documentaire Al-Bawaba Al-Fawqa m’est venue à cause des moments forts que j’ai connus, à la suite de l’invasion israélienne. C’était un moyen de confronter les tentatives de l’occupant de démolir la mémoire de tout un peuple. De la psychothérapie, peut-être », raconte Arab Lotfi, qui a traité dans ce film l’histoire de sa ville natale Saïda, à travers les histoires de ses habitants.
La mémoire influe-t-elle sur les représentations ? « Effectivement! Au moment du tournage de mon documentaire, j’ai été surprise de voir les gens en train de redécouvrir leur propre mémoire. Ils sont les victimes d’une approche systématique de déformation, ciblant leur mémoire. Les films, comme les photos ou les documents, deviennent dans ce cas des éléments de témoignage historique », fait remarquer Lotfi.
Par ailleurs, Rana Eid, réalisatrice de Panoptic, a réussi à mettre en lumière une représentation du passé libanais turbulent et de la façon dont la société fait face aux traumatismes. « Panoptic plonge dans la clandestinité de Beyrouth pour explorer la schizophrénie du Liban: une nation qui cherche la modernité tout en ignorant ironiquement les vices qui font obstacle à la réalisation de cette modernité », dit-elle. Alors que la population libanaise a choisi de fermer les yeux sur ces vices, Rana Eid a tenu à explorer les paradoxes de son pays, à travers des monuments sonores emblématiques et des cachettes secrètes. « Le fait d’appliquer l’amnistie générale après 15 ans de guerre civile n’est qu’une décision de cacher tous les vices. On a décidé d’enfouir toutes les violences, la corruption, etc. », précise Eid, en affirmant que le cinéma permet une prise de conscience, surtout dans un contexte enchaînant les défaites. Selon elle, les sociétés triomphantes sont toujours celles qui ont réussi à protéger leur mémoire.
La ville à travers ses habitants
Cette opinion est partagée par Rania Rafeï qui a abordé, avec son frère Raëd, l’année 1974, à travers leur documentaire 74 (The Reconstitution of a Struggle). Des étudiants ont occupé l’Université américaine de Beyrouth pendant 37 jours, en réponse à une augmentation de 10% des frais de scolarité. « Travaillant à l’origine sur un documentaire sur les mouvements étudiants, l’occupation de 1974 a particulièrement suscité notre intérêt lorsqu’elle a été mentionnée par certaines personnes interviewées », a indiqué Rania Rafeï durant la table ronde.
Sarah Francis a abordé la mémoire autrement. Dans son film Birds of September, une camionnette de verre parcourt les rues de Beyrouth, avec une caméra à l’intérieur. En chemin, plusieurs personnes sont invitées à partager un moment personnel. Leurs confessions sont vraies, franches et intimes. « C’était un moyen de déchiffrer la ville à travers ses habitants. Une expérience plutôt qu’un film suivant une direction précise », a signalé la réalisatrice.
Durant la table ronde, un questionnement sur le rapport entre le genre et la mémoire reconstruite ne pouvait passer inaperçu. « La formation et l’histoire de toute personne influence certainement sa façon d’aborder un sujet donné. Ceci dit, ma mémoire en tant que femme pourrait agir sur ce que je vais traiter; mais je ne vais pas partir de l’idée que je suis une femme car ceci limite l’horizon », confirme Arab Lotfi.
Rana Eid réitère la même idée et affirme : « Il faut éliminer complètement le stéréotype lié à la séparation homme-femme, lorsqu’il s’agit de traiter un sujet. Ceci n’a pour intérêt qu’élaborer une désorientation par rapport au sujet principal en question ».
Sarah Francis a souligné que « chacun a sa spécificité. La mémoire est une sorte de retour vers le passé parce que le présent est fade, et donc incompréhensible. Le retour au passé devient un moyen pour chercher des clés, permettant de comprendre l’incompréhensible ».
Sur une note optimiste, Arab Lotfi conclut : « La mémoire collective conduit à l’espoir et fournit une force de confrontation ».
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