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Libérer l’enfant en nous

Lamiaa Al-Sadaty, Dimanche, 27 septembre 2020

Illustrateur et caricaturiste, Walid Taher change de style dans sa nouvelle exposition Kontou Hona Min Qabl (j’étais déjà là), tout en préservant son côté juvénile et l’harmonie des couleurs.

Libérer l’enfant en nous

Un tourbillon de cou­leurs qui laisse courir notre imagination. Parfois, il dérange, par­fois il fascine, mais une chose est sûre, il ne laisse pas indifférent. Les 26 peintures de Walid Taher semblent communiquer de nouveaux codes, à comparer avec le style connu de l’ar­tiste. Le public est invité à entrer dans son jeu et à essayer de déchiffrer les tableaux.

En effet, à travers le jeu, le peintre se lance, en toute spontanéité, dans une nouvelle aventure où rien n’a l’air préconçu. Chaque peinture a son rythme et suit son destin. « Ayant tra­vaillé pendant de longues années dans la presse et l’illustration des livres pour enfants, j’ai voulu me libé­rer de l’impact des mots. Pourquoi le peintre serait-il obligé de s’emprison­ner dans les limites des mots qu’il exprime normalement par des lignes et des couleurs ? », s’interroge Walid Taher. Et d'ajouter : « Une peinture pourrait n’avoir qu’un sens simple : jaune, rouge, etc. Bref, la couleur qui la domine ».

Libérer l’enfant en nous
Le Temps d’arrivée.

Les titres donnés aux peintures sur les étiquettes ou les plaques, à proxi­mité du tableau, ne sont que des allu­sions, un déclic pour donner libre cours à l’imagination. Tous les titres suggérés par l’artiste appartiennent ainsi aux champs lexicaux du voyage et du temps : près de la rivière jaune, près de la mer, les frontières, le dîner, au parc, à 10 heures… « Le thème du voyage a hanté mon esprit alors que j’effectuais une résidence artistique à Marseille afin de travailler sur quatre livres pour enfants, avec le soutien du Centre national français du livre », souligne Walid Taher, qui a commen­cé ses toiles à l’acrylique il y a un an.

Il voulait retrouver le geste primitif ou enfantin permettant de recréer fidè­lement l’émotion qu’il ressent et qu’il veut déclencher chez le public. Alors, il a commencé par une peinture qu’il a intitulée Un Poisson rose. Cette oeuvre porte l’empreinte de l’illustra­teur, très actif dans le domaine des dessins pour enfants, avec tout ce qu’il recèle: pureté, innocence, joie, vitalité …

Les taches roses, qui ornent l’espace occupé par les créatures qui animent les tableaux, sont représentées par des lignes simples et avec beaucoup de douceur: un cheval, une poule, un vase, une montre, on dirait un récit imaginaire où les mots sont remplacés par des dessins. Mais où est le poisson rose dont le nom est porté par le tableau? « C’est bien cela le jeu auquel le public est invité », fait remarquer Taher, qui n’hésite pas à évoquer l’enfant à l’intérieur de lui-même et de toute autre personne. « L’enfant à l’intérieur de nous incite à être créatif, à nous renouve­ler et à continuer à être jeune dans nos têtes. Il n’y a rien de mal à le laisser s’épanouir. Cela ne signifie pas renoncer au côté adulte, mais arriver à un équilibre entre les deux ».

Une abstraction lyrique

Libérer l’enfant en nous
Un Poisson rose.

Un équilibre qu’il réussit bien. Il sait apporter son côté enfantin et intuitif à l’oeuvre, tout en contrôlant la surface blanche des toiles. Et ce, à travers une liberté du langage véhiculée par l’abstraction. Lyrique, cette abstraction indique précisément la ten­dance à l’expression directe de l’émotion individuelle, contrairement à l’abstraction géométrique. Une traduction d’un « moi » profond que seule une peinture spontanée, libre, sans contrainte, peut libérer.

Dans ses peintures intitulées Un Garçon et Une Fille, la couleur bleue semble être le cadre qui précise les univers imaginaires introduits par des lignes et des motifs dessinés à l’inté­rieur de l’espace désignant la tête du garçon ou de la fille. Ces derniers ne sont que des voyageurs, parmi tant d’éléments dispersés.

Un même motif végétal est com­mun à toutes les peintures, à tel point que le public finit par le chercher en haut, en bas ou au coin des toiles exposées. C’est encore un jeu. « Ce motif est un élément organique qui permet de mettre en valeur la différence entre les masses », explique l’artiste.

Libérer l’enfant en nous
Une Fille.

Ce dernier propose néanmoins un récit, fruit d’une histoire, d’une culture, de savoirs théoriques et techniques accumulés. Il suit parfois une des règles fondamentales apprises lors de la for­mation de tout décora­teur, à savoir toujours garder en tête que dans un seul et même espace, il est conseillé de marier 3 couleurs au maximum. Cette règle permet d’obtenir, à coup sûr, un rendu har­monieux et équilibré. Cependant, parfois c’est l’enfant en lui qui prend le dessus, mêlant plus que 3 couleurs et tons nuancés. Toutefois, Walid Taher parvient à se débrouiller avec les couleurs basiques et fortes pour obtenir une harmonie et un dyna­misme remarquables.

Dans Le Temps d’arrivée, Taher atteint l’apogée de l’abstraction. En effet, si Un Poisson rose représente le début de cette série, Le Temps d’arri­vée représente vraiment la fin ou l’apogée. L’artiste se sent complète­ment libéré de son côté illustrateur et rentre dans la peau du peintre. L’abstraction devient le vrai « jeu » par lequel il exprime son « je ».

Dans cette dernière oeuvre, une cer­taine musicalité est introduite par les nuances de la couleur rouge et l’infil­tration du blanc comme pour instaurer un nouvel équilibre. L’artiste-peintre joue avec les couleurs. « Faire joli » n’est pourtant pas un objectif en soi. A quoi ça sert donc? « A prendre du plaisir». C’est tout? « Oui, mais c’est déjà beaucoup », souligne Walid Taher avec enthousiasme .

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