Masterpieces regroupe des artistes jeunes mais aussi moins jeunes. Les organisateurs ont déployé un effort considérable pour écarter tout déjà-vu, étant donné que l’exposition se tient pour la 19e année. Ils ont choisi de présenter par exemple l’oeuvre de Sam Shendi, un sculpteur britannique d’origine égyptienne qui vit en Angleterre. Shendi expose pour la première fois à la galerie, une belle occasion donc de découvrir son travail. Sa sculpture, intitulée Memories of My Lost Childhood (mémoires de mon enfance perdue), créée en 2016 en fibre de verre et résine, place l’homme au centre de l’univers. Un homme tout en blanc, couleur de la pureté, de l’innocence et de la sagesse. Il se dresse bien droit, avec un trou sur le côté gauche. C’est un trou de mémoire, faisant référence à l’enfance perdue de l’artiste. Un trou qui remplace le coeur humain, dans la sculpture de Shendi. Ce dernier a muni son personnage d’une tête en caoutchouc, comme pour brouiller son identité.
Dans une autre sculpture, en fibre de verre, Shendi remplace la tête de la statue par un marteau, pour révéler que l’esprit de l’Homme est sa principale source de pouvoir. Chez l’artiste, la misère humaine, les drames sanitaire, politique et économique sont les mêmes partout dans le monde. Il effectue un travail « minimaliste » d’une simplicité trompeuse, car il abonde en métaphores et en symboles, tout en gardant une forme moderniste.
Shendi abrège la figure humaine, il la réduit à sa forme la plus simple. Car pour lui ce n’est qu’un simple récipient d’émotions.
Le sculpteur Nathan Doss participe à Masterpieces avec une nouvelle oeuvre conçue spécialement pour l’exposition en cours. Intitulée Sortir du tourbillon, cette sculpture en bronze a été créée au temps du coronavirus. Elle revêt la forme d’une toile d’araignée, représentant le tourbillon de la vie, avec tous ces fils enchevêtrés.
Le sculpteur Ahmad Abdel-Wahab expose lui aussi une nouvelle oeuvre d’inspiration pharaonique, qui s’intitule Key of Life (clé de la vie). La silhouette dramatique du roi Akhenaton préserve quelque chose de noble et de mystique. La masse du corps, sans trop de détails, s’impose.
Vive les poupées
L’exposition regroupe aussi deux oeuvres inédites de l’artiste-peintre Farghali Abdel-Hafiz, datant de 2013 et faisant partie de sa collection permanente Misr Allati Aachaqha (l’Egypte que j’adore), exposée à Dubaï. Ces deux toiles s’inspirent de la culture rurale. L’artiste y reproduit les poupées populaires, très féminines, et les place au centre des tableaux. Ses abstractions de courbes et de rondeurs trahissent la physionomie du corps féminin. En fait, il installe ce corps qui l’a toujours inspiré dans le contexte de l’Egypte chaotique de tous les jours, qu’il adore absolument.
La peinture intitulée La Poupée de Gazbia Sirry, qui n’a pas été montrée depuis 50 ans, est de mise. C’est toujours une poupée populaire aux couleurs éclatantes, qui emprunte des accents universels. L’artiste se plaît à jouer avec les nuances entre l’Orient et l’Occident, le figuratif et l’abstrait, l’individu et la société.
Puis, l’on découvre une autre toile méconnue de Mostafa Abdel-Moety, datant des années 1970, qui avait remporté à l’époque le prix de la Biennale internationale d’Alexandrie. Comme d’habitude dans ses tableaux, on retrouve les formes géométriques, avec des touches pharaoniques, des triangles, des cercles, des carrés qui nous font voyager dans le grand désert de l’inconnu. Toujours en quête d’un certain équilibre.
L’épouse de Abdel-Moety, l’artiste-peintre Rabab Nemr, connue par son monde des pêcheurs d’Al-Anfouchi (à Alexandrie), expose une toile réalisée en 2007. Celle-ci rompt avec les couleurs polychromes, pour revenir au noir et blanc, qui ont toujours caractérisé l’oeuvre de Rabab Nemr, exécutée à l’encre de chine sur papier.
Place aux jeunes
La galerie nous révèle aussi de nouveaux talents, qui y exposent pour la première fois, telle la jeune peintre Aya El-Fallah. Celle-ci montre une oeuvre d’art naïve, grand format, ne respectant aucunement les règles de la perspective concernant les dimensions, ni l’intensité de la couleur, ni la précision du dessin. Elle est plutôt proche de l’univers enfantin, incrusté de formes d’expression populaires. Des paysages campagnards, des costumes folkloriques, des animaux domestiques ou sauvages ... El-Fallah vit actuellement entre Le Caire et Abidjan. Son travail est marqué par les couleurs brillantes de cette dernière ville. Son oeuvre est très personnelle, engageant une conversation très émotionnelle avec les visiteurs.
Yasmine Al-Hazek a conçu spécialement une sculpture-peinture, en médias mixtes, intitulée Emotion. Cette dernière porte sur le monde des rêves, en mettant en avant une créature fantastique qui refoule le monde en ces temps de confinement, puis elle ne tarde pas à entrer en collision avec tout ce qui l’entoure.
Bref, un tas d’oeuvres de qualité à découvrir, parfois à redécouvrir, dans Masterpieces.
11 rue Brésil, Zamalek, Jusqu’au 30 septembre, de 11h à 20h (sauf les vendredis).
Lien court: