Maître incontesté de « l’esthétique de l’expression », le peintre vétéran Omar Al-Nagdi (1931- 2019) est ressuscité à la galerie Al-Massar. La galerie a choisi de lui exposer 43 peintures mixed media, les plus marquantes de son parcours artistique qui a duré 60 ans. Son art ne réside ni dans la passion qui ressort d’un visage peint, ni dans un corps qui s’affirme avec un mouvement violent, mais dans la disposition du tableau c’est-à-dire la place qu’occupent les corps des protagonistes, les vides qui sont autour d’eux, les proportions, la dynamique de la composition et surtout l’expression. Et qui dit « esthétique de l’expression », dit expression immédiate sur un sujet quelconque, qui suscite dans un moment de créativité émotionnelle et spontanée l’intérêt d’Al-Nagdi. L’artiste possède l’aptitude de passer facilement d’un style à l’autre (expressionnisme, fauvisme, cubisme), et de mélanger le tout sur une même toile, pour un résultat parfaitement assorti et cohérent. Et ce, à la diversité des techniques, des supports, des genres et des expressions picturales.
Dense, épaisse, riche en matière, la peinture d’Al-Nagdi est travaillée avec une pâte épaisse labourée avec un peigne, un racloir, le bout d’un pinceau. Bref, elle est créée sur des techniques de grattage et d’empâtement. Chez Al-Nagdi, la forme devient expression. Il met souvent en scène des signes et des symboles qui puisent leurs sources d’inspiration dans l’art babylonien et assyrien, l’art pharaonique, l’art copte, les icônes chrétiennes, les portraits du Fayoum, le folklore égyptien, l’architecture islamique, les versets coraniques, etc. Et pour atteindre la plus grande intensité expressive, les représentations humaines, l’élément homme ou femme, sont souvent fondées sur des visions angoissantes et chagrinées plus que joyeuses et joviales.
Des visions peintes dans une intimité silencieuse. Une manière de communiquer des réactions émotionnelles aux tempéraments divers. L’art d’Al-Nagdi est joué à la fois sur un monde de contrastes extrêmes et de symétrie. Un monde fait de multiples couleurs, dimensions et formes, d’ombres et de lumières, de la nuit et du jour, du clair et de l’obscur, de couleurs sombres qui manquent de luminosité, teintées d’autres couleurs vives et éclatantes.
Dans l’art d’Al-Nagdi, la valeur expressive de la couleur est accentuée. L’agencement de l’espace est simplifié. Le dynamisme de la toile est rendu par la composition complexe des figures et des motifs décoratifs. L’artiste reste fidèle dans ses représentations figuratives, aux genres traditionnels du portrait, de la nature morte et du paysage.
Al-Nagdi revendique un art fondé sur l’instinct, l’intuition, le feeling et la nature. Un art équilibré, pur et tranquille en contraste avec une peinture aux traits rapides, aux papiers collages, le plus souvent basé sur l’ocre et le jaune doré. C’est la peinture pure, aux couleurs chaudes, en signe de sagesse, d’équilibre et d’illumination intérieure, mais aussi de richesse, de raffinement et de grandeur d’âme. Le tout avec une certaine spiritualité. Al-Nagdi dépeint les grandes villes et ses habitants, leurs luttes, tout en faisant écho au primitivisme, aux formes naïves, aux traditions populaires ... Voici des hommes à l’oeuvre et des hommes tristes mais jamais brisés. Voici aussi des femmes tatouées qui ne renvoient point à des archaïsmes ni à des fondamentalismes, mais aux traditions d’une culture ancienne, dans ce qu’elle a d’utile et de beau. Omar Al-Nagdi installe le récepteur de son art, dans une ambiance de légendes et de secrets mystiques.
Aux influences diverses
A grande saveur orientale et folklorique égyptienne, l’art d’Al-Nagdi restitue à son récepteur des images sécurisantes d’un passé ancestral. Né au Caire, dans un environnement animé, chaotique et vivant, Al-Nagdi est fils d’une famille de paysans, originaire du gouvernorat de Charqiya. D’où un large éventail de peintures qui, exposées à la galerie Al-Massar, dépeignent des festivités opulentes, nationales et religieuses qui puisent leurs sources dans les traditions égyptiennes.
Ceci en gardant en elles le cachet du paysan et le timbre de la vie simple et spontanée. Voici la poupée du mouled (fête foraine), le cheval, le guignol, etc. A savoir aussi que c’est à 27 ans, après avoir obtenu son diplôme de la faculté des beaux-arts (1953), puis celui de la faculté des arts appliqués (1957), toutes les deux au Caire qu’Al-Nagdi étudie l’art de la céramique en Union soviétique (1958- 1959), puis l’art de la mosaïque et la peinture murale d’abord à l’Académie des beaux-arts de Venise (1960-1964), puis à l’Académie des beaux-arts de Ravenne, en Italie.
A mi-chemin des cultures arabes et occidentales, l’art d’Al- Nagdi ressemble à une poésie lyrique, exprimant de façon passionnée et imagée des sentiments personnels, sur des thèmes très généraux, tels l’amour, la nature, la mort ou encore le temps qui passe. Le tout fait appel aux contes des Mille et une nuits, entre l’imaginaire occidental et l’exotisme de l’Orient : l’Orient rêvé et l’Orient réel, entre mythe et réalité.
Ceci en ayant pour sujet l’homme, pris individuellement ou dans la société, cerné dans sa vie et son quotidien. Une manière de capter les multiples drames qui l’assaillent et le taraudent. Al-Nagdi aime le souci du détail, l’humanité insufflée aux personnages, la place centrale donnée au musicien et les multiples références à la calligraphie orientale. Chez l’artiste, le réel et le palpable côtoient le rêve, l’illusion, le fantasme, l’immuable et le mouvement. Une manière de peindre l’histoire et la mémoire de l’humanité.
Al-Massar, 157 b, rue 26 Juillet, Zamalek. Jusqu’au 21 avril, de10h à 21h (sauf les vendredis).
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