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Partenaires d’art et de vie

Névine Lameï, Dimanche, 15 mars 2020

Pour la première fois, les oeuvres du couple Ragheb Ayad et Emma Caly-Ayad sont exposées ensemble. C’est la galerie Arttalks, à Zamalek, qui a eu l’idée de réunir le travail de ces deux artistes avant-gardistes, à la palette riche d’émotions humaines, qui se sont nourris l’un de l’autre.

Partenaires d’art et de vie
Ragheb Ayad peint par Emma Caly.

Mariés en1936, le grand artiste peintre égyptien, Ragheb Ayad (1892-1982), et son épouse, l’artiste ita­lienne Emma Caly-Ayad (1897-1989), n’ont jamais fait l’objet d’une exposition en duo, ni de leur vivant, ni après leur mort. C’est la galerie Arttalks, à Zamalek, qui a pensé enfin réunir les oeuvres des deux artistes avant-gardistes dans une exposition commune. Et ce, sous le titre de Ragheb&Emma, avec 55 peintures et dessins inédits, les premiers datant de 1928. Ces oeuvres dépeignent l’évolution de l’art du couple, dans lequel chacun a contribué au développement de la pratique de l’autre. L’exposition présente aussi des documents rares d’archives, des coupures de magazines et des photographies per­sonnelles de ce duo.

Nommé le cheikh des artistes (maître des artistes), Ragheb Ayad est le père fon­dateur du mouvement expressionniste populaire égyptien. Quant à Emma-Caly, son art est l’expression d’une société libé­rale contemporaine rénovée, aussi bien au niveau des formes que des contenus. Ragheb et Emma sont des pionniers d’un art, qui, conjointement exposé avec grande harmonie à Arttalks, met l’accent sur la communication par l’émotion. Une émotion forte et dramatique, capable de transmettre sentiments et intensité expressive, qui s’adresse à la foule.

Reconnu comme le « libérateur de l’art égyptien moderne », largement célébré pour ses représentations pionnières, humaines et incroyablement caricaturales, Ragheb Ayad trouvait grand plaisir à représenter dans ses peintures des scènes de la vie quotidienne rurale et populaire puisées dans la culture égyptienne. Voici des scènes du souk et de cafés populaires au Caire et à Assouan, des villageois dans les champs, des animaux de la ferme, ainsi que des scènes de zar (transe rituelle), de danse nubienne, du tahtib (jeu de bâton), des scènes religieuses, des vues exté­rieures de monastères coptes, des tombeaux et des temples de Thèbes…Outre ses peintures à l’huile, Ragheb maîtrise l’art du croquis et des dessins rehaussés d’aquarelles, le plus souvent avec des teintes jaune et ocre, des lignes pures et des formes stylisées. La vivacité de ses traits exprime la dyna­mique du mouvement, renforcée par l’utilisation de couleurs puissantes. Le tout donne l’impression visuelle de scènes narratives superposées. C’est la manière de Ragheb Ayad de dépeindre, voire de représenter son pays natal, l’Egypte, dans une dualité entre rêve, inspiration lyrique, identité, ordre, régularité, calme…Mais aussi oubli, chaos, illusions, et angoisse émotion­nelle.

Témoin de l’histoire de l’Egypte, entre bouleversements et changements sociaux, Ragheb Ayad a vécu plusieurs époques de l’histoire de l’Egypte, du roi Fouad I à Sadat, en passant par deux révolutions nationales (1919 et 1952). Né dans une famille copte, dans le quar­tier de Faggala, au Caire, Ragheb a fait ses études primaires, à l’école des Frères, avant de rejoindre en 1908, l’école des beaux-arts du Caire, établie à cette époque, selon des modèles euro­péens. En 1924, Ragheb reçoit une bourse d’Etat pour étudier à l’Académie royale des beaux-arts de Rome, San Lucia. C’est là, vers 1927, que le lien italien a servi de catalyseur pour déclen­cher la relation amoureuse entre Ragheb et Emma. Tous deux étudiaient ensemble à l’Académie royale des beaux-arts de Rome. Ce fut le début de pratiques partenariales, d’un « faire ensemble » entre les deux jeunes artistes, notamment après leur retour fruc­tueux en Egypte, en 1929, en tant que profes­seurs à l’école supérieure des beaux-arts du Caire, gestionnaires d’institutions comme le Musée copte et le musée d’Art moderne, et en tant que participants à plusieurs expositions.

L’artiste de la noblesse des sentiments

Parallèlement à ses fonctions d’enseignante aux beaux-arts du Caire, à partir de 1938, Emma Caly s’affirme en Egypte comme une peintre distinguée et prolifique. L’artiste use de la technique de la peinture murale mexicaine et des fresques de la Renaissance, entre la pose de l’enduit et son séchage complet. Une technique fidèle à l’art populaire et à l’avant-garde artis­tique européenne, ayant comme objectif de représenter des raisons sociales et politiques. Et qui dit « art du peuple », adopté par Emma Caly, dit art classique qui recherche l’expres­sion du vrai, de l’ordre et de la puissance. Un art qui, basé sur la sobriété des formes, des effets et sur l’équilibre, privilégie le dessin sur la couleur. Les contours sont soignés, les détails sont précis. La composition symétrique et simple, vise à l’harmonie. Les lignes droites verticales et horizontales donnent une impres­sion de stabilité et d’équilibre. Les couleurs sont vives et claires. La lumière est douce et uniforme. Les gestes des personnages sont comme figés. Les visages sont calmes. Le tout indique la noblesse des sentiments.

Emma, inspirée par l’Egypte, mais plus encore par le style de son époux, Ragheb Ayad, dont elle réalisa de nombreux portraits, aborde une variété de sujets, comme la pay­sannerie, la campagne égyptienne, les natures mortes.

D’ailleurs, la créativité synchronisée du duo, Ragheb et Emma, a beaucoup influencé leurs styles colorés, unis par des thèmes cen­trés sur la vie populaire, mais aussi sur l’icono­graphie chrétienne, que la galerie Arttalks n’omet pas de montrer .

8,rue Al-Kamel Mohamad, Zamalek, jusqu’au 31 mars,de10h à21h(sauf les vendredis)

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