L’instable. Ce qui n’est pas en position d’équilibre de façon durable. Ce à qui/quoi un appui supplémentaire semble nécessaire pour ne pas bouger ou tomber. Comment prédire sa poétique ?

« En général, l’instabilité n’est pas bien vue. On cherche toujours à être stable. Toutefois, les artistes contredisent cette volonté et optent plutôt pour l’aventure, l’inconnu, la surprise… Bref, pour l’instabilité », explique Thomas Guerry, le chorégraphe du spectacle français La Poétique de l’instable. Et d’ajouter: « En effet, dans la vie, on est toujours dans l’instabilité. Et il faut savoir comment jouer avec, pour accéder à la stabilité. Celle-ci n’est en fin de compte qu’éphémère ».

En effet, perturber le cours des choses semble être une ligne directrice chez Guerry depuis la fondation de sa compagnie de théâtre, en 2001, à Lyon, avec Camille Rocailleux. Arcosm, que Guerry dirige seul depuis 2016, fait figure d’une troupe dont les spectacles se nourrissent de l’idée de fusion entre les divers genres artistiques. Ainsi, danseurs, musiciens, scénographes, comédiens et costumiers collaborent tous ensemble afin d’attribuer un langage bien particulier à Arcosm. Celui-ci signifie d’ailleurs « arc entre deux Cosmes : le corps et la musique ».

Avec un répertoire de neuf spectacles, Thomas Guerry a décidé, pour cette 10e création, de la présenter en première au Caire. « C’est nouveau pour nous de donner une première en dehors de la France. Il y a plusieurs années, Mohamed El-Ghawy, fondateur et directeur artistique de Hakawi, nous a demandé de prendre part au festival, mais à chaque fois, on avait de gros décors, et ce n’était

pas possible, ni financièrement, ni d’un point de vue logistique. Or, comme cette fois-ci il n’y a pas vraiment de décor, on n’a pas hésité à y participer. L’Egypte est une terre inconnue pour nous cependant, on nous en a tant parlé durant notre enfance. On a bien voulu se lancer dans l’expérience, dans l’instable », dit-il.

El-Ghawy confirme, pour sa part, que la troupe Arcosm est très connue en France, notamment à cause de son langage accessible à tous. « La danse contemporaine est jugée parfois très abstraite et peu adaptée aux spectacles pour enfants. Pourtant, lorsqu’il s’agit de danse, c’est plutôt l’émotion qui jaillit sur scène et c’est ce qui compte pour le public, surtout les jeunes. L’impact de la danse est beaucoup plus important, car elle touche davantage l’imagination. Arcosm sait bien comment s’y prendre », dit le directeur artistique du festival.

Le public est invité sur les planches

La Poétique de l’instable en est bien l’exemple. Une musicienne, un architecte et un danseur, ce trio fait toute la richesse du spectacle dénué de tout artifice. Un simple tapis occupe le centre des planches, presque sans jeux de lumières. Le public accède à la salle, alors que l’architecte est en train de mettre de l’équilibre dans une construction faite à partir de chaises, d’une lampe et d’un verre d’eau.

Sollicités pour venir occuper les planches, les spectateurs y accèdent de droite et de gauche. Ainsi, le show commence! « J’aime bien que le public se sente concerné, et prenne part au spectacle », souligne Guerry.

Ce spectacle de 30 minutes, qui se déroule entre deux moments de stabilité, est rythmé par un enchaînement d’instabilité: un architecte restant immobile devant sa construction; un danseur inerte faisant également partie du jeu et une musicienne qui joue au violon des notes répétitives. Tous les trois sont vêtus de bleu. Une couleur qui est, selon Guerry, symbole de la classe des travailleurs, des gens qui cherchent à frôler avec le déséquilibre. Un simple mouvement de la part de l’architecte brouille tout le code d’inertie. La musicienne change de notes. Le danseur occupe le centre des planches. L’architecte intervient.

Bref, le public assiste à un tableau où le trio parvient à équilibrer le jeu. Il réussit à maintenir son rapport au sol, puisque tout l’espace scénique est bien rempli. Il réussit à maintenir le rapport au corps, à travers le contact entre les partenaires et le mouvement. Le message est bien transmis: la stabilité est associée, de manière péjorative, à l’inertie. Ici, l’instable devient désirable ! .