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Le retour à la nature

Névine Lameï, Samedi, 29 février 2020

Une rétrospective de l’oeuvre de Gamil Chafiq, dessinateur, peintre et sculpteur, se tient à la galerie Motion Art, à Zamalek. Une cinquantaine d’oeuvres sont exposées, illustrant la richesse de la création de cet artiste, disparu il y a 4 ans.

Le retour à la nature

La galerie Motion Art, à Zamalek, rend hommage au peintre, sculpteur et dessinateur de presse Gamil Chafiq (1938-2016), à travers une rétrospective regroupant une cinquantaine de ses oeuvres, variant entre sculptures, peintures à l’huile, toiles à l’encre de chine ou au charbon.

Ces oeuvres, réalisée entre 1990 et 2016, proviennent de la collection privée de sa famille. Elles reflètent la richesse de styles et de sujets, caractérisant le parcours de Gamil Chafiq. Car ce dernier n’a jamais cessé d’expérimenter, de jouer avec la matière, de soulever de multiples interrogations et d’aiguiser l’imagination. Il croyait fort au dicton du grand poète indien, Rabindrah Tagore : « L’amour et l’art ne s’expliquent pas ».

Dans l’exposition en cours à la galerie Motion Art, tout un chacun peut suivre les récits narratifs de Gamil Chafiq, qui peint des scènes tantôt dramatiques, tantôt paisibles, contemplatives et ésotériques. Celles-ci décrivent son Egypte rêveuse, mythique et populaire. Elle peut être pharaonique, copte, grecque ou romaine ...

Né à Tanta, dans le gouvernorat de Gharbiya, dans le Delta du Nil, il était l’un des Harafich de Naguib Mahfouz, ou ses compagnons réguliers. Tout un groupe d’amis qui se réunissaient dans les cafés, dotés d’une intelligence rare et d’un humour acerbe.

Chafiq s’est constamment inspiré des contes populaires et des mythes folkloriques égyptiens. Son monde est souvent régi par des super-héros, évoluant dans un cadre exotique. D’où l’impression de créatures légendaires, jaillissant de nulle part dans un vaste désert ou sur une planète lointaine. Voici par exemple un poisson accroupi sur une petite chaise, un autre allongé sur le sol entre deux corps fantomatiques, et un troisième porté par deux amants, dans une scène romantique.

Sur l’une des peintures, un cheval serre, entre ses deux jambes de devant, une femme nue, aux cheveux longs, attachée à son cou.

Chez Chafiq, tout est dualité, entre l’homme ou la femme et l’animal. Ils sont réunis par un même sort, sur un même tableau, et se distinguent par des yeux ronds, grands ouverts. Ils s’interrogent sur la condition humaine, sur le drame des vies simples. Comme l’artiste, ils mènent une quête existentielle, obsédés par le retour à l’état-nature.

L’authenticité du noir et du blanc

Chafiq est surtout connu pour ses dessins hachurés en noir et blanc. L’artiste superposait plusieurs couches de traits, jusqu’à obtenir différents valeurs de gris illustrant le sentiment de tristesse, de dépression, de solitude, ou encore la monotonie et le mysticisme.

Complètement différents de ses peintures à l’huile, les dessins de Chafiq donnent l’impression qu’il s’agit de gravures anciennes, où la tension dramatique est accentuée par un jeu de clair-obscur, assez habile. Cela s’applique à ses dessins de chevaux, de femmes, de poissons, à ses paysages désertiques, ses offrandes divines, ses amulettes, ses poupées de mouled … Les protagonistes de Chafiq semblent vivre au jour le jour, tout en profitant de l’instant présent.

Les laisses de mer

Chafiq était aussi un passionné de la mer. En témoigne surtout la période de ses sculptures sur bois. A l’aide de morceaux de bois ramassés sur la plage, près de sa résidence secondaire d’Alexandrie, il réalisait de magnifiques sculptures. On y retrouve toujours ses personnages préférés : un chat, un cheval, des poissons, une danseuse du ventre, des visages de femmes aux yeux larges qui ressemblent aux fameux portraits de Fayoum … Le bois rejeté par la mer, par l’action du vent, des courants ou des marées, se transforme en de petits objets précieux. L’artiste le retravaillait, le remodelait, tout en maintenant son aspect naturel, taillé par les vagues qui l’ont charrié avant de l’envoyer de nouveau sur la terre.

Chafiq aimait ce bois et se plaisait à lui donner une seconde vie. L’effet du temps marque les sculptures de Chafiq qui, à l’état brut et au réalisme troublant, sont travaillées par l’artiste, loin de la ville cairote et de son tohu-bohu. Ce réalisme saisissant donne aux créations sculpturales de Chafiq un aspect dynamique, voire une illusion de mouvement, fluide et libre.

Ils ont dit de lui:

Dessinateur de presse depuis 1959, Gamil Chafiq atteignait aisément son public. Il dessinait l’équivalent visuel des poèmes et des textes littéraires de l’époque. Il était un amoureux de la vie et de la nature, ce qui est clair dans son travail. Jusqu’à sa mort en décembre 2016, il participait au Symposium international de la peinture à Louqsor. Un jour, il m’a invitée dans son atelier sur la Côte-Nord, il m’a donné une planche de bois et m’a laissée travailler dessus. C’était sa manière de m’aider à combattre la dépression que je sentais en ce temps ».

Héba Helmi, artiste.

« Gamil portait quelque chose de son prénom qui signifie beauté. C’était une belle âme qui aimait se faire des amis, se rapprocher des gens. Lui et moi, nous étions des amis proches. J’assistais à tous ses vernissages et il en faisait de même. Ses peintures, comme ses sculptures, ont un cachet très égyptien ; elles étaient très novatrices ».

Ali Achour, artiste.

« Je suis ébloui par le nombre de sculptures exposées à Motion Art. Taillées en bois, elles représentent l’une de ses phases les plus marquantes. Ce qui me touche c’est la pureté de son travail, né de la nature, de l’état primitif. Gamil est toujours parmi nous ».

Mohamad Aboul-Naga, artiste.

« Artiste sincère qui possédait parfaitement ses outils, il a atteint de l’équation difficile, en ce qui concerne le rapport art/société ».

Mokhtar Al-Attar, journaliste.

« Les oeuvres de Gamil Chafiq sont d’un symbolisme poétique : un pêcheur face à la mer et l’inconnu, un poisson plein de bonté, un chat affamé qui attend une proie. Le tout incarne la loi éternelle du plus fort ». Ezzeddine Naguib, artiste et critique d’art, dans son livre Gamil Chafiq, entre rêve et légende, publié par l’Organisme général du livre, en 2017.

A la galerie Motion Art, 36 A, rue Al-Montaza, Zamalek. Jusqu’au 10 mars, de 12h à 21h (sauf les dimanches).

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