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L’art, une affaire de famille

Névine Lameï, Dimanche, 01 décembre 2019

Un père, une mère et leurs deux filles exposent ensemble à la galerie Khan Maghrabi. Il s’agit du peintre Ali Nabil Wahba, de son épouse, la sculpteur et potière Mervat Al-Sweify, et de leurs deux filles, Darine, graphiste, et Rabab, également potière.

L’art, une affaire de famille

Au gré des vagues

L’art, une affaire de famille
Des barques qui expriment les différents états d’âme, par Ali Wahba.

Sagit-il de barques ou de corps humains qui flottent à la surface de l’eau? L’artiste-peintre Ali Nabil Wahba, 82 ans, se prête à une distorsion des formes et des objets. Ceux-ci ont l’air d’être des personnes qui dialoguent sur les choses de la vie et le quotidien. D’une grande maturité, ses toiles en disent long sur les évolutions de l’Egypte, d’une époque à l’autre.

Il peint, entre autres, des scènes inspirées de son voyage, en 1965, dans la région de Halayeb et Chalatine, à la frontière du Soudan. Ce voyage continue d’ailleurs de l’influencer jusqu’à aujourd’hui. Voici des barques déchues, au bord de la mer, sous le coucher du soleil, ou lors d’une tempête, des voiliers suivant les mouvements de la mer, etc. « Les barques, chez moi, se rapprochent des êtres humains qui bougent; elles donnent de la vivacité à mes toiles. On peut entendre leur souffle, leurs battements de coeur », souligne Ali Nabil Wahba. Et d’ajouter: « Ces barques ont des formes diverses et servent à exprimer les différents états d’âme, allant de la colère jusqu’à la paix, de la cruauté à la douceur ».

A l’aide d’une palette audacieuse et riche en couleurs, l’artiste fait de la peinture au couteau. Il a donc recours à une technique d’empâtement, en couches épaisses de couleurs produisant un effet de relief. D’où un éclat dense et puissant dans ses coloris, ainsi qu’un côté légèrement brutal. « J’ai des compositions vigoureuses », lance Wahba, très influencé dès sa jeunesse par les idéaux de la Révolution de 1952. D’ailleurs, plusieurs de ses anciennes peintures évoquent les paysans, les ouvriers, le Haut-Barrage d’Assouan… Mais avec le temps, son rapport à ces thèmes a changé, étant passé du style purement figuratif à un genre plutôt abstrait, témoignant des mutations sociétales l

Poteries rebelles

L’art, une affaire de famille
Un héritage protégé par l’oeil d'Horus, par Mervat Al-Sweify.

Libérer la poterie des règles fonctionnelles contraignantes de l’artisanat, c’est l’objectif de l’artiste Mervat Al-Sweify, 68 ans, épouse de Ali Nabil Wahba, laquelle expose avec lui à la galerie Khan Maghrabi. Elle insiste, en effet, sur le fait que les pots fabriqués en argile ne soient pas forcément des ustensiles de cuisine, mais des pièces uniques d’une grande valeur esthétique.

L’artiste expose quelques-unes de ses créations, toutes réalisées en 2018, toutes débordantes d’imagination. Elles peuvent donner l’impression d’être le corps d’une femme laborieuse, d’enfants inoffensifs, mais pour la plupart, ils ont des corps délicats ou des bustes de personnalités connues comme la diva Oum Kalsoum, la reine Hatshepsout, le poète Salah Jahine, le président Nasser… Il y a aussi un motif très récurent de chez elle: l’oeil d'Horus, servant souvent comme amulette de protection.

« Mon travail a une histoire spirituelle et est inspiré du patrimoine populaire égyptien. Nous avons un héritage assez riche, qui est resté intact, car protégé par l’oeil de Horus. Il possède ses symboles et ses figures emblématiques, bien sauvegardés », affirme Mervat Al-Sweify, professeure de poterie à la faculté de pédagogie artistique à l’Université de Hélouan. Et de conclure: « Le vernis qui couvre mes pièces de poterie est un peu le miroir de ce qu’on vit. Les oeuvres de poterie que je crée sont rebelles, elles rejettent à leur tour toutes sortes de répressions ». Ce sont des pièces qui refusent de se plier aux règles traditionnelles

Plaidoyer des femmes modernes

L’art, une affaire de famille
Gravure de femme nue, par Darine Wahba.

Dans ses gravures, Darine Whaba fait référence au conte Zat Al-Hemma, inspiré de l’histoire populaire de la princesse palestinienne Fatima Bint Mazloum Al-Kalabi, de Hijaz, laquelle a conquis Constantinople.

Elle expose également avec ses parents à la galerie Khan Maghrabi et donne à la femme égyptienne actuelle une aura mythique. Pour elle, cette dernière est une vraie combattante, qui relève plein de défis.

« Le rôle de la femme dans l’histoire arabe n’a jamais été marginal. Elle a beaucoup souffert pour être reconnue », dit-elle. Et d’ajouter: « Depuis la création du monde, la femme a toujours été à la source de la vie, mais hélas, de nos jours, la condition féminine dans le monde arabe est très incertaine, voire injuste. Pourtant, les femmes sont le moteur du développement ».

C’est la raison pour laquelle Darine Wahba insiste pour faire des gravures, représentant des femmes nues. Les corps de celles-ci sont faits de lignes pures, fines et élancées. Tout est en mouvement fluide et énergique, laissant quand même percevoir une certaine angoisse, teintée de volonté et de détermination.

Ses oeuvres graphiques sont souvent en rouge, bleu et jaune. Des gravures sur bois, en taille-douce. « La femme a un corps fragile, aux détails épurés et un peu flou, mais elle n’est pas dépourvue d’esprit et de culture. Elle est intuitive et endurcie par tant d’expériences », indique Darine Wahba, qui ne cesse de graver des femmes qui ont beaucoup de caractère.

Pour sa part, sa soeur Rabab Wahba expose des poteries qui ont pour titre Comme une fleur qui a échappé au paradis. Elles sont très influencées par l’art de l’Egypte Ancienne et rendent toujours hommage aux femmes.

L’art, une affaire de famille

Le visage de celles-ci revêt souvent des formes et des ornementations florales, créant une sorte de métaphore poétique, non sans rappeler Les Fleurs du mal de Baudelaire.

Les poteries de Rabab Wahba sont d’une esthétique chaleureuse, voire passionnelle. Et ce, du fait de l’usage de tons rouge, jaune et orangé. Des couleurs ardentes et stimulantes par lesquelles les femmes continuent de crier qu’elles existent et qu’elles vont laisser leur empreinte sur tout ce qui les entoure .

Jusqu’au 23 décembre, à la galerie Khan Maghrabi. 4 rue Al-Morsaline, Zamalek, de 10h à 21h (sauf le vendredi).

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