Al-Ahram Hebdo : Quel est le bilan de la 2e édition du Festival du film arabe de Casablanca, qui s’est déroulée du 18 au 25 octobre dernier. Dans quelle mesure avez-vous atteint vos objectifs ?
Fatima Nouali : La première édition sert toujours à présenter le festival, les participants, à fixer les objectifs et à se faire connaître. C’est l’édition « fondatrice ». Comme si on commençait par faire une expérience, avant aujourd’hui de passer au stade de l’application, avec la 2e édition, qui prouve que le festival va continuer. Aujourd’hui, nous pouvons dire qu’il existe une sorte de professionnalisme au niveau de la programmation des films arabes (dans la compétition officielle ou dans le panorama), du choix des participants et des vedettes décorées.
— Pourquoi avez-vous choisi la comédie comme thème de cette 2e édition ?
— D’abord, notre objectif était de concevoir un thème, puis une fois qu’on avait choisi la comédie, il fallait sélectionner les stars auxquelles on allait rendre hommage et qui devaient être en rapport avec le thème principal de cette édition : la comédie. C’est pourquoi nous avons programmé des conférences et des projections, en présence des comédiens décorés : l’Egyptien Hani Ramzi, le Marocain Aziz Dadas, le Koweïtien Daoud Hussein, la Marocaine Zohour El Solimani et le Syrien Dorid Lahham, qui a eu un empêchement et n'a pas pu assister à la cérémonie.
Je pense que les stars de la comédie sont toujours très appréciés du public et, pourtant, ils viennent au deuxième rang dans les festivals de cinéma. Le film comique est un film populaire, oublié par les instances officielles et par les différents festivals. Cependant, de nombreux films du genre sont dignes d’être présents. Nous avons organisé également une conférence sur la comédie politique dans les films arabes. Nous savons que le politique ne figure pas dans nos films et que ce n’est qu’à travers la comédie qu’on arrive à aborder des sujets politiques.
— Vous avez aussi rendu hommage à deux grandes figures du cinéma arabe, lors de la clôture du festival …
— Nous avons voulu rendre hommage aux réalisateurs éminents qui ont présidé le jury, à savoir le Soudanais résident en Egypte depuis 40 ans, Saïd Hamed, qui a présidé le jury du court métrage, et le Marocain Abdel-Rahman El-Tazi, qui a présidé le jury du long métrage. N’oublions pas non plus les cours magistraux (Masterclasses) organisés pendant les jours du Festival, celui du réalisateur algérien, décoré à Cannes, Ahmed Rachdi, du réalisateur égyptien Khaïri Bichara, du Marocain Ahmed Boulane et du Soudanais Saïd Hamed.
— Vous êtes une figure médiatique populaire au Maghreb, pourquoi avez-vous décidé de vous lancer dans le monde du cinéma, avec un intérêt particulier pour les courts métrages. Qu’en est-il de votre parcours ?
— A partir de mon expérience préalable, en travaillant au Festival de Tanger sur les courts métrages, j’ai constaté qu’il existe une ambition, une fougue chez les jeunes, à présenter une vision autre que celle des grands cinéastes. Je suis convaincue que l’ère est celle des jeunes cinéastes arabes, et ils aboutiront. Ils veulent un nouveau cinéma qui dépasse toutes les barrières. Le jeune cinéaste arabe d’aujourd’hui ne se considère pas en tant qu’Arabe enfermé dans son espace géographique restreint, mais le monde est ouvert devant lui.
Pour ces jeunes, le monde est très grand, égal à leur ambition. Ce côté m’intéresse beaucoup, j’ai vu cela de près, surtout que je suis la mère de deux jeunes hommes qui travaillent dans le cinéma. A travers eux, j’ai fait la connaissance d’autres jeunes cinéastes arabes. Ce qui se passe est tout à fait passionnant ; le cinéma arabe sort de sa localité vers l’univers, sans se classer sous des labels d’Arabes, repliés sur soi, ayant des traditions désuètes. La preuve est que nous avons reçu plusieurs films très intéressants, tournés par des jeunes. Ceux-ci fouillent partout et ne cessent de frapper aux portes les plus verrouillées.
— Quels sont les défis que vous devez relever et quelles sont vos ambitions quant à l’avenir de ce festival ?
— Je rêve d’avoir le plus grand nombre de films arabes de qualité présents au Festival. L’an dernier, nous avions 9 films ; cette année, on a projeté 11 longs métrages et 20 courts métrages, outre les 150 films du Panorama marocain et du Panorama arabe. Nous espérons attirer le plus grand nombre de pays arabes, avoir tous les pays arabes représentés.
Malheureusement, certains pays ne produisent pratiquement pas de films de fiction. Les productions régulières viennent surtout de la Tunisie, de l’Egypte et du Liban. La Jordanie a participé avec un film plutôt commercial, que nous avons projeté dans le cadre du Panorama arabe ; l’Iraq n’était pas présenté, à titre d’exemple. Nous avons aussi une autre contrainte, celle de ne pas avoir plusieurs premières arabes à Casablanca, car ils vont plutôt au Festival de Carthage. Il serait difficile d’entrer en compétition avec de tels festivals. Carthage a une grande renommée, ainsi que le Festival du film du Caire. Les festivals les plus prestigieux demandent normalement d’avoir des films projetés en première. Nous espérons arriver au jour où les producteurs nous choisiront en premier, pour des projections mondiales.
— Que prévoyez-vous, pour la 3e édition 2020 ?
— L’année prochaine, nous consacrerons une compétition aux films documentaires. Car le film de fiction n’est pas présent dans tous les pays arabes, alors lançons-nous dans le documentaire ! L’important est de renforcer la présence de tous les pays arabes, donc celui qui n’a pas de production fictive aura sans doute un court métrage ou bien un documentaire à présenter.Je rêve que le festival aura sa place sur la liste des festivals arabes et qu’il restera intègre. C’est-à-dire que le seul critère reste la qualité du cinéma, grâce à un jury honnête et professionnel, sans intervention aucune de la part de la direction du festival. Avec comme devise : transparence et professionnalisme.
— Qu’en est-il du soutien des productions cinématographiques qui peut stimuler davantage le cinéma jeune et les visions différentes ?
— Nous avons sans doute cette ambition de consacrer des fonds pour le cinéma jeune. On attend toujours que les fonds arrivent des institutions de cinéma de l’Etat, alors qu’aujourd’hui, les initiatives indépendantes portent davantage leurs fruits. La volonté de coopérer, sur le plan arabe, s’est révélée clairement, lors de la table ronde organisée durant le festival sur la coproduction. Avoir un scénario d’un pays, le cameraman d’un autre, l’équipe de comédiens d’un troisième, ou du moins faciliter le déplacement d’un pays à l’autre. Nous y avons conclu que le festival serait une plateforme pour une nouvelle ère de coproduction.
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