Sa sortie vient de marquer un tournant décisif dans le septième art égyptien. Au-delà de la prouesse technique et de la qualité du scénario, c’est l’originalité de l’expérience qui a bien scellé le succès de ce premier long métrage égyptien d’animation, Al-Farès wal Amira (le chevalier et la princesse). Coréalisé par l’Egyptien Béchir Al-Dik et le Saoudien Ibrahim Moussa, la copie finale du film vient de voir le jour après 20 ans de travail et de difficultés de production. Imaginez-vous plongé au coeur du VIIe siècle et être confronté à un choix cornélien: vivre en paix au sein de sa ville, Basra, ou partir à la conquête d’un autre monde, pour libérer des centaines de femmes et enfants qui souffrent sous le joug du règne du roi Dahir et des crimes des pirates. Le film nous invite à redécouvrir l’histoire réelle du chevalier arabe, Mohamad Ibn Al-Qassem Al-Saqafi, qui s’est lancé, à l’âge de 15 ans, dans une lutte contre l’injustice et l’abus dont était victime le peuple arabe à l’époque.
Et c’est au cours de son périple avec son ami intime, Ziyad, et son maître Aboul-Ossoud (chef des lions), dans son combat pour libérer les femmes et les enfants, qu’il rencontre une belle princesse dans les pays des Indes. Une belle idylle commence alors avec celle qui va l’aider à surmonter tous les problèmes auxquels il doit faire face dans cette aventure.
Un plaidoyer pour la paix
Mais c’est un film pour enfants, direz-vous?! Pas si sûr. Le ton est parfois un peu candide, mais la trame convient à tout âge, puisqu’elle aborde les thèmes de la liberté, du droit de vivre en paix, du courage et de la nécessité de vaincre les méchants. Et l’amour constitue l’élément constructif et le facteur aidant à réaliser nos rêves. A cela s’ajoutent les apartés musicaux et l’esprit du long métrage, qui se veut poétique et enchanteur au fil de ces voyages. Pour autant, Le Chevalier et la Princesse aborde des sujets plutôt forts de manière très explicite, adaptée à un très jeune public.
Le scénario, écrit il y a 20 ans, est un vibrant plaidoyer en faveur de la paix et des femmes contre les méchants qui, dans le film, considèrent celles-ci comme des êtres inférieurs. Le rejet de la différence donc, la question de l’origine et de la citoyenneté, le souhait de défendre et de réaliser nos rêves... des sujets toujours d’actualité, malgré l’ancrage du film dans le VIIe siècle. C’est une leçon de morale indirecte, adressée aux nouvelles générations et adaptée au jeune public. Le romantisme est toujours présent, comme dans la majorité des histoires d’animation. Difficile donc de ne pas tomber dans le cliché de la relation entre le chevalier et la princesse. Certaines scènes permettent néanmoins de décrire beaucoup de choses en peu de temps: le conflit des peuples, l’évolution de la femme et de ses choix, le manque de communication entre les hommes et l’appel à la tolérance et à l’égalité. Malgré quelques défauts, l’histoire est solide et intéressante, notamment dans la création de son univers oriental et de ses personnages mémorables. Le film se permet aussi des moments humoristiques avec le physique et le caractère de certains personnages, ou grâce aux démons ridicules— animés par le jeu vocal de Mohamad Héneidi et Magued Al-Kidwani— qui offrent souvent le sourire dans des situations désespérées. De même, on peut apprécier les quelques rebondissements de l’histoire, malgré la fin qui fait un peu cliché. Et la voix du narrateur, jouée par la comédienne Liqaa Al-Khamissi, est parfaite pour faire passer certains messages positifs de l’oeuvre.
Une animation de qualité
Mais quels efforts fournis pour offrir aux spectateurs une immersion colorée dans ce mythe arabe au goût oriental! Il y a tant de choses à dire sur Le Chevalier et la Princesse, que peu de critiques ont parlé du travail minutieux de ses réalisateurs. La réinterprétation du mythe, la composition de la musique, la qualité du montage ou l’interprétation vocale des personnages sont tous des éléments qui doivent être cités parmi les points positifs de cette oeuvre.
Malgré presque un quart de siècle de travail, entrecoupé de pauses, l’oeuvre paraît assez compacte et crédible, et les deux réalisateurs, l’Egyptien Béchir Al-Dik et le Saoudien Ibrahim Moussa, ont su surmonter tous les problèmes, et réussi à ne pas laisser transparaître les différences, comme le timbre des voix des comédiens qui pouvaient certes changer avec les années. Un succès visuel, tant au niveau technique qu’artistique. Chaque plan regorge de détails qui rendent le monde du chevalier assez réaliste. L’animation est aussi bien détaillée et complexe, et ce, même avec les personnages figurant présents en fond de champ. Les scènes d’action sont toutes aussi impressionnantes, dynamiques et bien dirigées, avec des poursuites cauchemardesques et quelques explosions vraiment réussies! La qualité de la direction artistique est à souligner. L’attention portée aux détails fait bien sûr écho au travail sur papier qui n’a rien perdu de sa qualité en passant en animation. Les décors tantôt urbains, tantôt ruraux, ont chacun leur propre palette de couleurs. L’ensemble reste toujours cohérent et bien réalisé. Les personnages, malgré leur grand nombre, sont tous reconnaissables et réalistes, avec une animation faciale qui peut paraître parfois un cliché, mais ajoute de la dynamique aux dialogues.
Travailler contre le temps
D’ailleurs, la bande musicale, signée Haïtham Al-Khamissi, s’ajoute aux éléments qui retiennent l’attention du spectateur. En voyant un film plutôt tourné vers les aventures au contexte oriental, certains pourraient penser entendre une bande-son typée, du style des Mille et Une Nuits ou Sindbad. Mais pas du tout. La musique est, comme plusieurs éléments du film, non conventionnelle. Al-Khamissi a composé la musique des chansons du film depuis une quinzaine d’années, alors qu’il a composé la bande sonore de l’oeuvre il y a 6 mois seulement. Mais il a réussi à ne pas laisser le public sentir beaucoup de changements ou plutôt d’évolutions dans le style durant ce fossé temporel entre ses deux tâches dans ce film.
Reste à mentionner le travail assidu et réussi du montage, signé par la douée Soulafa Noureddine, dont le travail nécessitait de longs mois pour tisser plus de 4000 scènes formant les 95 minutes, la durée du film, en dépit de toutes les circonstances exceptionnelles qui entouraient l’exécution de l’oeuvre.Finalement, Al-Farès wal Amira (le chevalier et la princesse) reste un must pour le public égyptien pas seulement pour sa prouesse technique ou artistique, mais pour son rôle de pionnier, qui peut ouvrir un nouveau marché de production de films animés en Egypte .
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