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Gouna : Visions du réel

Dalia Chams, Mardi, 01 octobre 2019

La troisième édition du Festival international du film d'Al-Gouna, du 19 au 27 septembre dernier, a été marquée par l’émergence de plusieurs cinéastes lesquels ont décroché la majorité des prix avec leurs premiers métrages relatant des faits authentiques. Tour d’horizon du palmarès.

Gouna : Visions du réel

De notre envoyée spéciale —

A environ 400 km du Caire, à Gouna, on vit dans une sorte de bulle, pleine de mers et d’étoiles.Cette station balnéaire de luxe, qui regroupe 18 hôtels et plusieurs propriétés résidentielles, est en fait souvent décrite comme le Monaco de Hurghada. Elle ne cesse de se développer depuis sa fondation, il y a trente ans, multipliant les restaurants, les cafés et les boutiques de sa jolie marina. Ceux-ci servent les visiteurs, mais aussi ceux qui ont dû se résoudre à y mener une existence coupée du monde, tout au long de l’année.

Durant son festival annuel de cinéma, dont la troisième édition vient d’être clôturée le 27 septembre dernier, c’est le retour sur terre. Les habitants et les cinéphiles venus exprès pour l’occasion ont partagé les visions du réel, proposées par les 83 films projetés dans le cadre du Festival international, qui a réussi à s’imposer sur la carte des événements culturels de taille, organisés en Egypte.

Oui, c’est le retour à la terre où la violence est devenue un élément « normal » de la vie. Les courts et longs métrages sélectionnés, ainsi que les documentaires, ont fait la part belle aux cris, aux protestations et aux douleurs des peuples. Les prix de cette édition, au montant de 224 000 dollars, étaient en parfaite cohérence avec le slogan du festival, « cinéma pour l’humanité ». Ils ont mis sous le feu des projecteurs quelques cinéastes qui signent pour la plupart leurs premiers films, et qui sont nés aussi, pour la plupart, vers la fin des années 1970 ou au début de la décennie suivante.

Presque tous les lauréats, à quelques exceptions près, ont dû quitter leur pays natal, soit obligés, soit pour effectuer des études à l’étranger. On voit ainsi émerger des talents issus de territoires inédits, qui jettent un regard vigilant sur la réalité et l’histoire des leurs. Donc, eux aussi retournent sur terre, leur terre d’origine, pour exprimer tant de chagrins mal vécus. C’est le cas par exemple de la réalisatrice algérienne Mounia Meddour, née en 1978, qui est à son premier long métrage et laquelle était contrainte de partir en France, à l’âge de 18 ans, avec sa famille menacée par les islamistes, durant la décennie noire. Le film de Meddour, Papicha, a décroché le prix du meilleur long métrage arabe de fiction à Gouna, après avoir été projeté avec succès à Cannes, à travers la sélection Un certain regard. Comme son père, également réalisateur, Azzeddine Meddour, la fille parle des femmes, les premières victimes du fondamentalisme religieux.

C’est l’Algérie des années 1990 que l’on revisite, par les yeux de Nedjma, une étudiante de 18 ans qui vit dans la cité universitaire d’Alger et qui rêve de devenir styliste. La nuit tombée, elle se faufile à travers les mailles du grillage, avec sa meilleure amie, pour rejoindre la boîte de nuit où elle vend ses créations aux « papichas », qui veut dire les belles filles algéroises. On a affaire à des papichas qui s’assument et qui payent le prix de leur liberté.

Autre cas de figure, le documentaire Kabul city in the wind, du réalisateur afghan et néerlandais Aboozar Amini, sélectionné comme le meilleur film en compétition asiatique et le troisième de la compétition des longs documentaires (étoile de bronze de Gouna). Le réalisateur, qui signe son premier long métrage-documentaire, est parvenu à capturer les images d’une réalité complexe, jamais restituée auparavant sur grand écran, avec autant de force et de précision. Les membres du jury des films asiatiques étaient vite unanimes.

Né en Afghanistan en 1985, il a fait des études d’art à Amsterdam. Son film, qui a fait l’ouverture du 31e Festival international du documentaire à Amsterdam, est une coproduction internationale, à plusieurs parties, comme pas mal d’oeuvres présentées à Gouna. Il met en avant, tout en nuances, des Hommes qui se battent pour un avenir meilleur, dans un pays déchiré par la guerre. Les personnages s’adressent parfois à la caméra, pour livrer leurs souffrances et rêves. Il s’agit de Abbas, le chauffeur de bus, qui nous emmène dans toute la ville, et des deux adolescents : Afghin et Benjamin, qui vivaient à flanc de montagne avec leur famille et faisaient du cimetière leur terrain de jeu, jusqu’au départ forcé de leur père pour l’Iran. Là, ils devaient grandir.

Des banlieusards

Gouna : Visions du réel
Hend Sabri, meilleure interprétation féminine.

La détresse de ces enfants élevés au milieu des bombes et des armes à feu n’est pas très loin de celle des nouveaux misérables décrits par le réalisateur français d’origine malienne Ladj Ly, 39 ans. Son premier long métrage de fiction, Les Misérables, qui lui a valu le prix du jury à Cannes et celui du meilleur film sur l’humanité à Gouna, est adapté d’un court métrage qu’il a déjà tourné, en réaction à une bavure policière sur un jeune homme noir à Montfermeil, en Seine-Saint-Denis en 2008. Ayant grandi dans la banlieue parisienne, le réalisateur a pris sa caméra pour suivre le quotidien des quartiers difficiles. Il nous fait découvrir les tensions entre les différents groupes, à travers le regard de Stéphane, un jeune qui intègre la brigade anti-criminalité de Montfermeuil, dans le 93.

Le prix de la meilleure interprétation féminine a été décerné à Hend Sabri, pour son rôle dans la fiction Le rêve de Noura, de la réalisatrice tunisienne et belge Hind Boujemaa. De nouveau, on retrouve le même profil : une Tunisienne, éduquée en Belgique, qui signe son premier long métrage de fiction sur un sujet local. D’ailleurs, elle a obtenu, il y a un an, une aide financière du festival d'Al-Gouna, pour mettre son projet sur les rails et y a rencontré la comédienne Hend Sabri, sa compatriote installée en Egypte.

Cette dernière interprète le rôle d’une mère battante, vivant dans un quartier démuni, qui essaye de pro­téger ses enfants contre la violence de leur père. Celui-ci en tôle, elle-même découvre le vrai amour avec son collègue à l’hôpital où elle tra­vaille, Assaad, et tente d’obtenir le divorce. Son rêve risque de se trans­former en un cauchemar à tout moment.

La plateforme CinéGouna

Gouna : Visions du réel
Amjad Abu Alala, réalisateur de la meilleure fiction.

De plus en plus, le festival d'Al- Gouna sert de pépinière, notamment à travers sa plateforme CinéGouna, qui encourage le développement de nouvelles productions. Intishal Al-Timimi, le directeur du festival, a été parmi les parrains du film sou­danais Talking About Trees, alors qu’il était encore en projet.

Son réalisateur Suhaib Gasmelbari mentionne, vers la fin de la pre­mière projection arabe à Gouna, qu’Al-Timimi a été l’un des pre­miers à avoir lu le scénario en manuscrit. Ensuite, durant la céré­monie de clôture, lorsqu’il a reçu le prix du meilleur documentaire (étoile d’or de Gouna), Gasmelbari n’a pas manqué de saluer sa mère, qui l’a soutenu durant le tournage pendant deux ans, et qui cachait la matière filmée au fur et à mesure, afin de sauver le film, au cas où il serait interdit par les autorités sou­danaises. Son compatriote Amjad Abu Alala a été aussi l’une des révé­lations du festival ; il a décroché le prix du meilleur long métrage de fiction, pour You will die at 20. L’un et l’autre signent leurs premiers longs métrages, sur le Soudan, qu’ils ont quitté et y étaient de retour pour filmer (voir l’article sur les films soudanais en lice).

Succès des courts métrages

Gouna : Visions du réel
Papicha.

L’une des sections qui a attiré l’attention, pour la deuxième année consécutive, à la surprise de tous, a été la compétition des courts métrages. Car ceci n’est pas forcé­ment dans les habitudes égyp­tiennes. Les projections ont fait salle comble, également cette année, ce qui a poussé les organisateurs à les déplacer dans une autre salle plus large. La programmation a été excellente et les thèmes abordés se sont avérés novateurs et courageux, comme dans Omé (ma mère) deu­xième fiction de Wassim Geagea, lauréat du deuxième prix du court métrage (étoile d’argent). Le réali­sateur, né en 1989 à Barka au Liban, part du chagrin d’un enfant de 9 ans, qui vient de perdre sa mère et qui n’arrive pas à faire le deuil. Envahi par la douleur, il fantasme sur ce qui pourrait arriver. Il ne comprend pas pourquoi sa mère n’est plus de ce monde, et pourquoi Jésus l’a convo­quée chez lui, alors qu’il a sa propre mère. Pour se venger, il vole la sta­tue de Marie, placée à l’église du village, et essaye de négocier le retour de sa maman, directement avec Jésus : ma mère, contre la tienne !

Les monologues du petit ainsi que les évènements qui s’ensuivent sont assez poignants. Un beau film sur les pertes angoissantes, la séparation et le poids du religieux, sans trop de bavardage. Le réalisateur reviendrait peut-être, aux prochaines éditions, avec son premier long métrage qu’il est en train de préparer sur sa ville, Barka, aux alentours de Baalbeck. Une nouvelle génération de cinéastes se profile à l’horizon. Ils ont l’air d’être de plus en plus ancrés dans la terre, leur terre.

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